John McCain, à la Conférence de Munich, le 17 février. | THOMAS KIENZLE/AFP

Un mois après l’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche, le correspondant du Monde à Washington, Gilles Paris, a répondu à vos questions. Voici les principaux extraits.

  • Les médias et les « fake news »

Capello : En tant que journaliste, comment envisagez-vous votre relation à un homme politique qui déclare que les médias sont l’ennemi du peuple ? Comment faire son métier en essayant d’être intellectuellement honnête en étant considéré comme un ennemi, c’est-à-dire potentiellement orienté ?

Gilles Paris : La tactique de Donald Trump est assez claire pour ce qui concerne les médias américains : il s’agit d’installer une conflictualité dans laquelle il espère que la presse perdra son rôle de contre-pouvoir. Par définition, les journalistes sont toujours des adversaires pour un pouvoir en place, quel qu’il soit. M. Trump pousse cette tension à son paroxysme, quand on regarde l’histoire récente américaine, mais il n’y a rien de très neuf, en fait.

En concentrant ses critiques sur les médias, qui souffrent actuellement d’un problème de crédibilité, M. Trump fait par ailleurs diversion. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a haussé le ton au cours d’une semaine marquée par une démission embarrassante, celle de son conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, et par le renoncement de son candidat au poste de secrétaire du travail, Andrew Puzder.

G. Robinson : Comment Donald Trump peut-il inventer un attentat sans être inquiété ? Le mensonge n’est-il pas un délit aux Etats-Unis ?

Gilles Paris : Lorsqu’il s’est exprimé, samedi 18 février, Donald Trump n’a pas mentionné explicitement un attentat en Suède, il a laissé penser qu’il y en avait eu un en citant immédiatement après des villes touchées par des attaques terroristes. Il s’est ensuite défaussé sur la chaîne d’information Fox News, dans un demi-aveu d’erreur publié sur son compte Twitter.

Pendant la campagne, M. Trump s’est distingué par cette aptitude à s’arranger avec les faits, ou à les arranger, en recourant par exemple très souvent à la formule « on m’a dit que… moi je ne sais pas, mais on me dit que… ». Ce qui lui a permis de relancer des thèses parfois complotistes sans pour autant donner l’impression de les soutenir.

  • La relation au Parti républicain

Janice : Sait-on comment réagit et que pense l’aile non populiste du Parti républicain ? La rivalité entre les partisans du conseiller du président, Stephen Bannon, et cette partie des républicains est-elle réelle au sein de l’administration Trump ?

Gilles Paris : Il est encore trop tôt pour apprécier ce rapport de force mais effectivement, les deux premières années de ce mandat vont être marquées par cette tension entre un Parti républicain « maintenu », si j’ose dire, et une base hybride, insurrectionnelle, que M. Trump a su canaliser sur la base d’un message que Stephen Bannon a théorisé. Ces deux courants peuvent s’entendre sur la question des valeurs conservatrices, même si on a vu qu’il ne s’agit pas d’une priorité absolue de M. Trump. Ils divergent en revanche sur la place de l’Etat et son action.

L’axe Trump-Bannon a déjà fait plier le Parti républicain sur la question du libre-échange. Il va essayer d’en faire autant sur celle de la dette. En 2018, les choix politiques de la nouvelle administration seront confrontés à l’épreuve des élections de mi-mandat.

Robert : Est-ce que l’on peut mesurer l’influence du sénateur John McCain au Sénat et peut-il vraiment freiner certaines orientations de Trump en politique étrangère ?

Gilles Paris : John McCain s’est imposé comme le contradicteur le plus constant de Donald Trump sur la politique étrangère. Il représente un courant républicain pour lequel les Etats-Unis restent « la Nation indispensable ». Il est par ailleurs plus interventionniste que Donald Trump. Ce sénateur, réélu en novembre 2016 pour un dernier mandat et qui a donc les coudées franches, s’est également démarqué des propos agressifs du président visant la presse, au milieu d’un silence républicain assourdissant.

Sa capacité d’action est cependant limitée. il n’est « que » le président de la commission des forces armées. Il est évident que des affinités le rapprochent du président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Bob Corker, du secrétaire à la défense, James Mattis, et sans doute aussi du secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, même si ce dernier tarde à s’installer à la tête de la diplomatie américaine. C’est cet axe qui pourrait faire contrepoids à celui incarné par Stephen Bannon.

  • Les relations internationales

KevInThePlace : Doit-on s’attendre à des conflits internationaux avec la gouvernance de Donald Trump ?

Gilles Paris : On ne peut présumer de rien. Il faut se souvenir que la présidence de Ronald Reagan, en dépit d’un discours public offensif, a été l’une des moins interventionnistes. M. Trump, par ailleurs, n’a pas fait mystère de sa conviction selon laquelle les Etats-Unis n’ont pas à jouer le rôle de « gendarme du monde ». Comme ses prédécesseurs, M. Trump va devoir trouver une stratégie et une tactique par rapport aux puissances étatiques et non-étatiques considérées comme des menaces pour les intérêts américains.

KiKiTiTi : Comment pourrait-on expliquer le revirement spectaculaire récent de Donald Trump après sa remise en cause de la politique de la Chine unique après son élection ?

Gilles Paris : Ce revirement n’est pas le seul. Sur le nucléaire iranien, le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, pour n’en citer que deux autres, le président a découvert que ce que le candidat considérait comme une forme de pensée unique répondait à des fondamentaux difficiles à ne pas prendre en compte. Pour autant, l’obsession néomercantiliste de Donald Trump fait que la Chine, et dans une moindre mesure l’Allemagne, sont des ennemis jugés plus menaçants que la Russie.

Gabrielle : Trump s’était engagé à maintenir la loi d’exception « pieds secs, pieds mouillés », selon laquelle un Cubain posant un pied à terre sur le sol américain obtiendra automatiquement ses papiers, alors que s’il est attrapé en mer il sera renvoyé à Cuba. Barack Obama a annulé cette loi, Trump est-il parti pour la réinstaurer ?

Gilles Paris : Comme dans beaucoup de dossiers de politique étrangère, on ne sait pas encore vraiment ce que va faire Donald Trump. L’exemple de Cuba est d’ailleurs assez éclairant. Dans les débats des primaires républicaines, il avait ainsi été le seul à dire que la politique américaine de l’embargo avait été un échec. Après son élection, il a tenu des propos très fermes sur le régime cubain. Mais il a également supprimé dans son discours la question des « valeurs » américaines. Dans un entretien accordé à Fox News, il a même créé la stupeur en assurant que les Etats-Unis n’étaient peut-être pas plus exemplaires que la Russie.

Lire notre entretien avec Karl Rove : « Il ne faut pas prendre Donald Trump littéralement »
  • L’« impeachment »

Yves : Si Donald Trump était destitué, il serait remplacé par son vice-président, Mike Pence, qui irait jusqu’au bout des quatre ans, n’est-ce pas ? A quels changements pourrait-on s’attendre ?

Gilles Paris : Effectivement, si M. Trump était empêché pour toutes sortes de raisons, s’il avait par exemple un accident de santé, le vice-président prendrait la suite. M. Pence réorienterait sans doute la présidence sur un axe républicain-conservateur plus classique, avec une politique étrangère sans doute assez proche de celles des administrations Reagan et Bush aîné. Mais il ne s’agit là que de spéculations.

Patriote FR : Quelles sont les raisons pour lesquelles Donald Trump pourrait être révoqué de la présidence des Etats-Unis ?

Gilles Paris : La procédure d’impeachment est prévue à la section 4 de l’article II de la Constitution américaine. Cette section stipule que le président est destitué en cas de « trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ». Cette formulation est assez floue et donne un pouvoir d’appréciation important au Congrès, qui en est le maître d’œuvre. Compte tenu du fait que le Parti républicain contrôle les deux Chambres, il faudrait donc une affaire majeure pour que M. Trump soit inquiété. Après seulement quatre semaines passées à la Maison Blanche, on est très loin du début de l’esquisse de quoi que ce soit.

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Donald Trump, à bord de l’Air Force One, l’avion présidentiel, le 18 février. | NICHOLAS KAMM/AFP