Présidentielle : médiocres jeux de rôle à gauche
Médiocres jeux de rôle à gauche
Editorial. Historiquement, la gauche française n’a jamais réussi à accéder au pouvoir en étant désunie. Malgré cela, elle aborde l’élection présidentielle en ordre dispersé.
Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Yannick Jadot. | JOEL SAGET / AFP
Editorial du « monde ». La gauche française est-elle vieillie, usée et divisée au point d’avoir, en son for intérieur, fait une croix sur l’élection présidentielle ? Est-elle à ce point affaiblie qu’elle préfère, dès à présent, se disputer le leadership de l’opposition dans une France dirigée, demain, par la droite ou l’extrême droite ? Quoi qu’elle dise ou prétende, elle en donne en tout cas l’impression. Et ce n’est pas le jeu de rôle engagé ces dernières semaines entre le socialiste Benoît Hamon, l’écologiste Yannick Jadot et l’« insoumis » Jean-Luc Mélenchon qui démontrera le contraire.
Chacun, en son sein, le sait depuis… un siècle : la gauche ne peut espérer conquérir le pouvoir et gouverner le pays que si elle parvient à surmonter ses divisions et à réaliser son unité d’une manière ou d’une autre. C’est encore plus vrai depuis que le scrutin majoritaire à deux tours – présidentiel et législatif – a fait de ce rassemblement un impératif catégorique. Telle a été la stratégie gagnante de François Mitterrand, engagée dès 1965, maintenue contre vents et marées dans les années 1970 et victorieuse en 1981. Telle a été la démarche de la « gauche plurielle » de Lionel Jospin dans les années 1990 et, à un moindre degré, celle de François Hollande en 2012.
L’aspiration des électeurs
Benoît Hamon connaît ses classiques : à peine désigné par la primaire socialiste, le 29 janvier, il a donc ostensiblement tendu la main aux autres candidats de gauche (Emmanuel Macron étant exclu du cercle). Mais il n’est pas naïf au point d’ignorer les trois conditions nécessaires à la réussite d’un tel rassemblement : un leader reconnu, un parti dominant (le PS depuis quarante ans) et une dynamique politique et sociale. Or aucune des trois n’existe aujourd’hui. Lui-même ne peut sérieusement prétendre imposer son autorité à un Jean-Luc Mélenchon émancipé depuis bientôt dix ans ou à des écologistes rétifs à toute férule. Comme épuisé par l’exercice du pouvoir, ses contraintes et ses contradictions, le Parti socialiste n’est plus en mesure aujourd’hui ni d’imposer sa prééminence ni de fournir à la gauche son moteur principal.
Le geste du candidat socialiste n’avait donc qu’un objectif : apparaître comme le chantre de l’unité indispensable pour faire face à la menace de la droite et du Front national ; répondre ainsi à l’aspiration de bon nombre d’électeurs de gauche ; tenter de rallier le candidat écologiste à la peine et renvoyer sur Jean-Luc Mélenchon la responsabilité de la division. Après bientôt un mois de tractations opaques, la manœuvre n’est guère convaincante.
Sans surprise, les écologistes sont déterminés à faire payer leur éventuel ralliement au prix fort. Voilà donc Benoît Hamon, s’il veut un accord, contraint à de lourdes concessions sur son programme et, plus encore, sur le nombre de circonscriptions législatives réservées à ses partenaires. Sans garantie que les électeurs écologistes lui en seraient reconnaissants. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il connaît lui aussi ses classiques : depuis le temps que son ambition est de reconstruire la gauche après avoir plumé la volaille socialiste, il ne s’est pas privé de pointer les artifices ou l’arrogance de la proposition de Hamon.
Le peuple de gauche, ou ce qu’il en reste, sera donc condamné à disperser ses voix sur des candidats concurrents dont aucun n’apparaît à ce stade en mesure de prétendre être présent au second tour de la présidentielle. Joli fiasco en perspective.