« Ce glissement sémantique des biotechnologies vers le soin n’a rien d’anecdotique. C’est le patient dont on s’occupe désormais », relève Valérie Ferreboeuf, directrice de la prospective formation-recherche de CentraleSupélec. / The Paper Boat Creative Ltd/GO Vision/GraphicObsession

Dès sa création, il y a vingt-cinq ans, l’IMT Mines Albi-Carmaux (Tarn) a fait du génie pharmaceutique l’un de ses thèmes phares d’enseignement et de recherche, à côté des plus traditionnels aéronautique ou énergie. L’influence des laboratoires Pierre Fabre, situés non loin, sans doute. En 1999, l’école lance même un double diplôme pharmacien/ingénieur. Près de vingt ans plus tard, plus de 250 pharmaciens sont passés par ce cursus pour obtenir une double compétence. « L’industrie pharmaceutique est une industrie comme une autre, mais avec des procédés très complexes et des validations très normées. C’est ce génie des procédés que viennent chercher les pharmaciens », souligne Laurence Galet, la responsable de la filière.

« Les capacités d’adaptation et de travail en mode projet des ingénieurs gagnent en réputation dans les laboratoires pharmaceutiques. » Marion Colas, analyste stratégique chez Novartis

Si le cursus n’est pas nouveau, l’enseignante note, depuis quelques années, une demande grandissante de la part des entreprises : « Les diplômés ont le choix entre plusieurs offres. » Marion Colas, 26 ans, double diplômée en 2017 et aujourd’hui analyste stratégique chez Novartis, le confirme : « Mon insertion professionnelle a été très fluide. J’ai eu une proposition tout de suite après mon stage de fin d’études, qui n’était pourtant pas dans la même entreprise. Les capacités d’adaptation et de travail en mode projet des ingénieurs gagnent en réputation dans les laboratoires pharmaceutiques. »

Une augmentation des besoins des entreprises que constate également Florence Dufour, directrice de l’Ecole de biologie industrielle (EBI), à Cergy (Val-d’Oise) : « Avec de plus en plus de médicaments d’origine biologique, les processus de fabrication se sont sophistiqués. » Mais les mutations technologiques vont bien au-delà. « L’essor de la santé connectée, avec le développement de cabinets de médecine virtuels, va ouvrir de nouveaux champs, notamment sur la sécurisation des données », prédit Florence Dufour. Les conclusions du premier observatoire d’ingénieurs dans les biotechnologies, réalisé pour l’école Sup’Biotech par Ipsos à l’été 2018, vont dans ce sens. Sur 300 dirigeants d’entreprise dans les biotechnologies ou ses secteurs d’application, la moitié estime que la médecine personnalisée va être la plus porteuse d’emplois, suivie à 34 % par les dispositifs médicaux, appelés aussi « medtech ». Avec un profil star : l’ingénieur R&D.

Des évolutions qui influent sur les formations. En quatre ans, l’EBI a fait passer ses promotions de 120 à 170 étudiants. Le programme de cette école de biologie se transforme aussi pour introduire davantage de numérique. L’établissement a signé un double diplôme avec l’école d’ingénieurs Efrei, à Villejuif (Val-de-Marne). Entre dix et vingt étudiants de chaque établissement font un an de cursus en plus pour obtenir le double sésame.

Au-delà des biotechnologies et de l’industrie pharmaceutique, c’est tout le secteur de la santé qui requiert davantage d’ingénieurs aujourd’hui. Valérie Ferreboeuf, directrice de la prospective formation-recherche de CentraleSupélec, à Gif-sur-Yvette (Essonne), a repéré cette tendance qui « est arrivée à bas bruit sur une dizaine d’années pour prendre toute son ampleur aujourd’hui. Il y a trois ans, nous avons fait un état des lieux de notre recherche. Alors que nous n’avons aucun laboratoire de biologie ou de médecine, un quart de nos enseignants-chercheurs travaillaient sur des applications scientifiques en lien avec la santé ».

Un phénomène qui se répercute du côté des diplômés, et que Valérie Ferreboeuf a analysé : « La question que se posent les médecins désormais, c’est : quelle thérapie pour quel patient ? On va vers une hyperpersonnalisation des traitements, qui va de pair avec l’émergence du patient connecté. Une personne diabétique pourra être équipée d’un capteur adaptant la prise d’insuline à ses besoins. La conception de ce capteur, sa fiabilité, le traitement de ses données font partie d’une chaîne technologique qui relève du métier de l’ingénieur et est porteuse d’emplois à haute valeur ajoutée, comme dans l’aéronautique, par exemple. »

Des biotechnologies au soin

CentraleSupélec, qui a complètement remanié son cursus pour la rentrée 2018, a intégré cette nouvelle donne. « Nos enseignements qui touchaient à la santé étaient jusqu’à présent très éparpillés. Nous avons réuni tout ce qui a trait à ce secteur dans l’un de nos huit pôles d’enseignement afin d’identifier clairement un secteur d’emplois pour nos étudiants », explique Estelle Iacona, directrice générale déléguée chargée de la formation et de la recherche à CentraleSupélec. Dès les huit premières semaines du cursus, les étudiants travaillent dorénavant sur des disciplines traditionnelles des sciences de l’ingénieur – automatique, électronique, mathématiques –, mais appliquées à un domaine. Une centaine d’étudiants sur 900 ont choisi la santé pour ce baptême du feu. Ils pourront se familiariser avec d’autres domaines économiques avant de choisir une spécialisation en dernière année. L’une d’elles a été baptisée « Healthcare ». « Ce glissement sémantique des biotechnologies vers le soin n’a rien d’anecdotique. C’est le patient dont on s’occupe désormais », relève Valérie Ferreboeuf.

« L’idée est de nous appuyer sur des algorithmes pour aller chercher les informations pertinentes dans un dossier médical et, ainsi, de pouvoir prescrire le bon traitement. » Philippe de Vomécourt, data project manager à l’Institut Gustave-Roussy

Le parcours de Philippe de Vomécourt illustre ces nouvelles perspectives. A 24 ans, le jeune diplômé de CentraleSupélec et de l’Institut de formation supérieure biomédicale (IFSBM) a été embauché en septembre 2018 comme data project manager à l’Institut Gustave-Roussy (IGR), l’un des plus grands centres européens de lutte contre le cancer. Il y avait auparavant conduit une mission de six mois comme ingénieur de recherche. « Mon rôle est de faciliter les projets autour de l’intelligence artificielle et du big data au sein de l’Institut », confie le jeune homme, qui voulait trouver un travail qui ait du sens. A l’IGR, il est servi. « L’intelligence artificielle a beaucoup à apporter à l’imagerie médicale. Elle peut repérer des informations sur les clichés que les radiologues ne peuvent déceler. »

Depuis son arrivée, Philippe de Vomécourt a contribué à l’organisation du premier « data challenge » des Journées francophones de radiologie mi-octobre. Une vingtaine d’équipes, composées de radiologues, d’élèves ingénieurs, de chercheurs et d’industriels, se sont confrontées pour développer le meilleur outil d’intelligence artificielle possible à partir de bases de données d’imagerie médicale fournies par l’Institut Gustave-Roussy. « L’idée est de nous appuyer sur des algorithmes pour aller chercher les informations pertinentes dans un dossier médical et, ainsi, de pouvoir prescrire le bon traitement, voire de prédire plus précisément des éventualités de rechute, par exemple », détaille Philippe de Vomécourt, enthousiaste. Le jeune diplômé a conscience de faire partie des pionniers dans ce champ immense. « Il n’y a pas encore d’offres d’emploi types dans ce secteur, ni même de fiche de poste bien définie. J’ai décroché ce job grâce aux contacts que j’ai noués avec la directrice de l’IFSBM, qui est également professeure de radiologie à l’Institut Gustave-Roussy. » Des offres qui devraient rapidement se structurer, au vu des enjeux autour de l’intelligence artificielle.

« Le Monde » organise son Salon des grandes écoles les 10 et 11 novembre

La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures.

Plus de cent cinquante écoles de commerce, d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées et prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac + 2, + 3 ou + 4). Lycéens, étudiants et parents pourront également assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » pourra également conseiller lycéens, étudiants et parents pour définir leur projet d’orientation, préparer les concours ou rédiger leur CV.

L’entrée en sera gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.