TV : « Fatima », une héroïne invisible
TV : « Fatima », une héroïne invisible
Par Thomas Sotinel
Notre choix du soir. Philippe Faucon dessine avec sensibilité le portrait d’une femme de ménage prête à tout pour payer les études de ses filles (sur Canal+ à 21 heures).
FATIMA de Philippe Faucon - EXTRAITS (Cannes 2015)
Durée : 04:12
Fatima est un film si délicat qu’il est difficile d’en parler sans l’abîmer. Ce n’est pas tout à fait une histoire, on pourrait dire « une tranche de vie », si la vie était de la viande. La vie n’est pas faite que de chair, c’est aussi du temps, de l’espace, des souvenirs qui reviennent, des espoirs, des regrets…
Tout ça, Philippe Faucon le fait tenir dans les quatre-vingts minutes de Fatima. Le centre de gravité, ce qui ordonne ce chaos vital, porte le prénom de la fille du Prophète. C’est une femme entre 40 et 50 ans qui vit et travaille dans l’agglomération lyonnaise, seule avec ses deux filles depuis que son mari l’a quittée pour une autre.
Fatima (Soria Zeroual) ne parle pas bien le français, elle fait des ménages, pour des particuliers puis pour une société de nettoyage. Ce travail supplémentaire, elle l’a entrepris pour aider son aînée, Nesrine (Zita Hanrot), qui commence sa première année de médecine. En plus de son salaire, cet emploi lui vaut le mépris de Souad, sa fille cadette, collégienne de 15 ans (Kenza Noah Aïche) qui trouve que sa mère est « un torchon ».
Si Fatima, par sa présence paisible, la profondeur de son regard et la patience de son écoute, reste le corps autour duquel gravitent tous les éléments du film de Philippe Faucon, le réalisateur s’autorise à la quitter du regard pour suivre Nesrine et Souad sur leurs chemins qui s’écartent, celui de l’aînée vertueuse, celui de la fille prodigue.
Simplicité et rigueur
Dans un amphithéâtre bondé, la première prend ses premiers cours d’embryologie. Faucon porte son attention sur la complexité de terminologie (comme sa mère qui peine à comprendre le français, Nesrine doit, pour avancer encore plus loin, apprendre un autre langage), sur la diversité des visages et des attitudes des étudiants. Cette inscription dans une réalité familière est si puissante, si assurée qu’on pourrait ignorer la portée poétique de cette séquence, le lien que le cinéaste tisse entre cet enseignement scientifique de la genèse d’un être humain et la gestation d’une société nouvelle qui fera une place, volens nolens, aux derniers venus.
Enoncer ces réflexions qui effleurent l’esprit à la vision de Fatima, c’est leur donner une place qui n’est pas tout à fait la leur dans ce film qui se refuse à tout didactisme. Ces pensées procèdent d’émotions et de sensations parfaitement justes et ce sont elles qui font la texture et la beauté de Fatima, bien plus que les idées.
Soria Zeroual, Zita Hanrot | Pyramide
Cela tient à la simplicité et à la rigueur de Philippe Faucon, à son talent pour composer un plan, pour lui donner sa durée idéale. La simplicité de la mise en scène autorise aussi la complexité des personnages et des situations, aussi ordinaires que soient leurs vies, banales les situations de leur quotidien.
Si bien que lorsque Fatima sort de sa condition, ce n’est pas un événement exorbitant du quotidien – romanesque. Si Fatima se met à écrire, comme l’a fait Fatima Elayoubi, l’auteure des textes dont s’est inspiré Philippe Faucon pour son scénario, c’est que la vie l’a menée au point où elle ne peut faire autrement, où sa frustration à ne pouvoir communiquer pleinement faute de maîtriser la langue du pays où elle vit la force à confier ses pensées, ses sentiments à un cahier, en arabe.
Ce geste d’abord secret a trouvé sa traduction en images, en sons, en temps qui passe doucement mais trop vite – en cinéma : Fatima existe aux yeux de tous ceux et celles qui voudront la voir. Ceux qui préféreront détourner le regard auront tort.
Fatima, de Philippe Faucon. Avec Soria Zeroual, Zita Hanrot (Fr.-Can., 2015, 80 min).