« Mass Effect Andromeda » : « On a l’habitude de placer l’espèce humaine au-dessus des autres »
« Mass Effect Andromeda » : « On a l’habitude de placer l’espèce humaine au-dessus des autres »
Propos recueillis par Corentin Lamy
Après nous avoir posé la question de l’intégration de l’espèce humaine au sein d’un système plus vaste, le prochain « Mass Effect » nous met dans la peau de migrants spatiaux.
Jeux de rôle, jeux d’action, les titres du studio Bioware sont aussi devenus des jeux de séduction, où les relations humaines ont une importance particulière. | Electronic Arts
Entre 2007 et 2012, le commandant Shepard a tenté de sauver l’humanité et les autres peuples de la galaxie de la destruction – parfois, à leur corps défendant : c’était l’objet de la trilogie Mass Effect.
Le 21 mars 2017, un nouveau chapitre de la saga s’écrira sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, avec de nouveaux héros, et, pour eux, un nouvel objectif : abandonner la Voie lactée pour trouver refuge dans la galaxie d’Andromède.
« Contrairement à ce qu’on nous demande souvent, ce n’est pas une métaphore de la conquête de l’Ouest », tient à souligner Fabrice Condominas, producteur de la série depuis Mass Effect 3. Et pour cause, il semble clair que c’est bien de la condition des migrants dont il est question ici et de la nécessité de l’exil, parfois au mépris du danger. Entretien avec le producteur du studio Bioware.
Vous pensez que si des extraterrestres cherchaient demain refuge sur Terre, nous les accueillerions les armes à la main, comme au début de « Mass Effect Andromeda » ?
Fabrice Condominas. C’est une question théorique, on n’en sait rien fondamentalement… Mais si on se projette un peu, qu’on fait un peu d’anthropomorphisme, l’étranger fait toujours peur. Je ne sais pas si la première réaction serait agressive, mais elle serait craintive en tout cas. Mais même dans le jeu, dans la première scène, le joueur a le choix : une approche agressive et une qui l’est beaucoup moins. C’est la base de nos jeux : les choix. Au final, ça ne se passe pas nécessairement bien dans tous les cas : ces deux approches ont pour point commun que quelque chose de si différent provoque forcément une réaction au minimum de crainte, et au maximum d’agressivité.
Ici, Ryder, le héros, et ses compagnons sont des naufragés de l’espace, on pense forcément à la crise des migrants…
Bien sûr… Comme tous les créateurs, on s’inspire de ce qui se passe autour de nous, de l’actualité. Quand on a commencé ce jeu il y a cinq ans, ces questions n’étaient pas aussi importantes qu’elles le sont maintenant, mais elles étaient déjà là. On en sentait les prémices, donc évidemment ça a joué.
Il y a aussi le contexte du jeu, de l’univers en général. Il faut se rappeler que même si l’espèce humaine occupe le rôle centrale de la première trilogie, on y pose tout de même cette question : comment est-ce que l’espère humaine va s’intégrer au sein d’une galaxie dans laquelle elle n’est qu’une race secondaire ? Alors qu’on a un peu trop souvent l’habitude de faire de l’anthropomorphisme, de placer l’espèce humaine au-dessus des autres… Il y a beaucoup de choses comme ça dans la fiction, de films comme Avatar, où l’homme arrive en sauveur…
Dès le départ, dans notre univers, ce n’est pas du tout le cas. Ce n’est pas le cas dans Andromeda non plus, parce que quand les personnages arrivent dans cette galaxie, ils ne savent pas à quoi s’attendre. Mais on a pris la décision de dire que le rapport de force allait être compliqué, parce que les gens qu’ils trouvent là-bas sont technologiquement plus avancés qu’eux. Il n’y a pas d’égalité dans leur rapport de force, d’autant qu’ils sont chez eux.
Les jeux de Bioware sont souvent loués pour l’épaisseur de leurs personnages. | Electronic Arts
Vous avez déclaré que vos histoires n’étaient pas « si extraordinaires », que « votre truc », c’est plutôt de « raconter des relations ». Vous avez fait des rapports, notamment amoureux, entre vos personnages le cœur de vos jeux. C’est une décision consciente ?
Non c’était plutôt une surprise. C’est la même chose pour les romances, pour certaines questions politiques, le traitement de l’homosexualité, etc. Tout ça ce sont des choses qui nous ont un peu prises de court, il y a des années. Il faut se rappeler que la base de nos jeux, c’est le choix. On ne s’est pas posé la question de laisser ou pas la possibilité d’incarner un personnage hétérosexuel, homosexuel, etc., c’était juste du bon sens.
Ce qui est particulier, c’est que les gens se sont rendu compte que contrairement à d’autres jeux, leurs choix allaient changer l’histoire et les personnages, qu’ils allaient pouvoir « romancer ». C’est devenu une sorte de jeu dans le jeu : nos joueurs restant des humains, ce sont forcément des sujets qui les intéressent ! Mais on ne pensait pas que ça prendrait cette importance-là, si c’est la question.
L’univers de « Mass Effect » était très nouveau il y a dix ans. Aujourd’hui, les jeux dans l’espace pullulent. Vous avez l’impression de les avoir inspirés ? Et vous ne craignez pas la saturation ?
Dans tous les cas, on est très contents, absolument, sans hésitation. Plus il y a d’intérêt autour de la question de l’espace, et plus les défis sont intéressants, parce que ça devient aussi plus compliqué de se démarquer. Est-ce qu’on est des pionniers ? Je ne sais pas. Je sais que les développeurs de No Man’s Sky nous ont cités comme influence, que des réalisateurs comme J.J. Abrams [réalisateur de Star Wars Episode VII et de deux des récents films Star Trek] considèrent que c’est un univers de science-fiction important, que James Gunn [réalisateur des deux Gardiens de la galaxie] a dit attendre le prochain Mass Effect… Mais en interne on ne se pose pas vraiment la question !
Dans l’univers de « Mass Effect », les humains ne sont qu’une espèce parmi d’autres. | Electronic Arts
Mais vous posez-vous la question de savoir pourquoi les gens sont fascinés par l’espace ?
Absolument ! Enfin, oui et non. Ce qu’on essaye de comprendre, ce sont les vagues. Nos équipes ont toujours aimé l’espace. Par contre, d’un point de vue historique, depuis le milieu du XXe siècle, plus il y a de tensions, notamment politiques, plus la science-fiction connaît un regain d’intérêt. Si on se base sur les données historiques, le récent regain d’intérêt n’est pas très bon !
C’est une échappatoire, peut-être ?
Je pense que la science-fiction a la particularité de cumuler les avantages de l’échappatoire imaginaire, mais comme beaucoup d’autres choses, avec la notion d’anticipation : les gens projettent un certain nombre d’angoisses, ou alors se persuadent, à l’inverse, que ça ira mieux demain. Les premiers films Terminator montrent bien cette évolution, entre l’angoisse provoquée par ces machines et puis, tout d’un coup, c’est l’inverse, elles deviennent rassurantes.
Ce qui est intéressant, c’est que « Mass Effect », au contraire de la plupart des œuvres de science-fiction, ne prend pas la planète comme unité de base, mais la galaxie. Qu’est-ce que ça change de raconter une histoire à l’échelle galactique ?
D’abord il y a le côté épique, sur lequel on a toujours travaillé. C’est un aspect purement créatif : on a toujours voulu faire quelque chose de massif. La première trilogie prenait place dans l’ensemble de la Voie lactée, parce qu’on introduisait de nouvelles races extraterrestres, et il fallait pouvoir expliquer pourquoi l’humanité ne les avait pas rencontrées plus tôt.
Ensuite, c’est une histoire d’échelle : avec la galaxie d’Andromède, on continue d’étendre l’univers, littéralement. Maintenant, et tout le jeu le mentionne, on ne s’intéresse quand même qu’à un petit secteur de cette galaxie. Ce Mass Effect s’appelle Andromeda, parce qu’on va sans doute continuer d’explorer cette galaxie, mais cet épisode ne s’intéresse qu’à Héléus, qui est un petit secteur très spécifique. Evidemment, on parle aussi à l’échelle astronomique : quand on dit « petit secteur », on parle de centaines de planètes !