De Guantanamo à Mossoul, le troublant parcours du kamikaze « indemnisé »
De Guantanamo à Mossoul, le troublant parcours du kamikaze « indemnisé »
Par Madjid Zerrouky
Dédommagé à hauteur d’un million de livres en 2010, pour trois années passées à Guantanamo, Ronald Fiddler a récemment participé à un attentat-suicide de l’Etat islamique près de Mossoul, en Irak.
Ronald Fiddler le 13 décembre 2001 à Kandahar, en Afghanistan. | BANARAS KHAN / AFP
La polémique tombe à point nommé pour Donald Trump, qui a affiché sa volonté de garder ouverte la prison militaire controversée de Guantanamo et « de la remplir de mauvais gars ». Le 13 février, l’organisation Etat islamique (EI) diffusait les images d’une série d’attentats-suicides qui ont frappé des positions irakiennes près de Mossoul, fief de l’EI pris d’assaut depuis octobre 2016 par les forces de Bagdad.
Au volant d’un véhicule chargé d’explosifs apparaissait, hilare, un certain « Abou Zakarya Al-Britanni », que ses proches ont vite fait de reconnaître : Ronald Fiddler, un ancien détenu britannique du camp américain de Guantanamo devenu au début des années 2000 un symbole de l’arbitraire de la « guerre contre la terreur » menée par les Etats-Unis.
Fiddler, devenu Jamal Al-Harith après sa conversion à l’islam dans les années 1990, a été relâché en 2004 à la suite de demandes insistantes de Londres. Il avait été intercepté par les Américains à la fin de 2001 à Kandahar, en Afghanistan, où il était détenu par les talibans, qui le soupçonnaient d’être un agent britannique. Il dit avoir été enlevé par ces mêmes talibans sur une route pakistanaise en septembre 2001 alors qu’il voyageait dans le pays pour un « séjour religieux ».
Un dédommagement d’un million de livres
C’est le dédommagement que Londres lui aurait versé en 2010 et d’éventuelles failles sécuritaires qui lui auraient permis de rejoindre la Syrie et l’Irak en 2014 qui provoquent aujourd’hui une polémique au Royaume-Uni.
Le ministre de la sécurité, Ben Wallace, a refusé de donner des détails sur le sort de Ronald Fiddler, arguant que « la politique de longue date des gouvernements successifs de ne pas commenter les affaires de renseignement ».
Au centre de la controverse, un million de livres. La somme qui lui a peut-être été versée en 2010 par le gouvernement britannique en dédommagement des trois années qu’il a passées entre 2002 et 2004 dans le centre de détention américain sans jamais être inculpé. Le djihadiste a toujours affirmé que des agents britanniques n’ignoraient rien des mauvais traitements qu’il y a subis.
M. Wallace, qui a reconnu que les gens étaient en droit d’être « indignés » par les informations faisant état de compensations généreuses qui auraient été versées à Ronald Fiddler, a refusé de commenter la somme : « Les détails de ce règlement étaient soumis à des accords de confidentialité juridiquement contraignants. Nous ne sommes donc pas en mesure de confirmer si un particulier a reçu un tel paiement », a-t-il ajouté.
Pour ne rien arranger, son épouse, qui vit aujourd’hui dans un pays du Moyen-Orient et qui a elle-même séjourné en Syrie en 2015, a affirmé à la BBC que si la somme perçue était « sensiblement inférieure » au million annoncé, elle pourrait avoir été utilisée pour financer ses activités, à commencer par son voyage vers les « terres » de l’EI.
« Une personne paisible et douce »
Sur sa « fiche d’admission » établie par l’« administration des frontières » de l’EI, Ronald Fiddler, qui s’est identifié aux djihadistes du poste-frontière de Tal-Abyad sous les prénom et nom de Jamal Al-Harith et le pseudo de « Meftah Eddine Al-Britani », est entré en Syrie le 18 avril 2014. Curieusement, il n’y fait pas mention d’un séjour au Pakistan ou en Afghanistan ni de son incarcération à Guantanamo, mais déclare avoir traversé ou voyagé en Algérie, Egypte, Libye, Soudan, Allemagne, Espagne, Turquie, en Arabie saoudite et en France.
Le Soudan, où il s’est rendu dans les années 1990, était alors un haut lieu de passage des islamistes radicaux. Ronald Fiddler a lui toujours prétendu avoir voyagé dans les pays musulmans par désir de s’imprégner de leur culture religieuse.
Informations personnelles concernant Ronald Fiddler établies par l’organisation Etat islamique (document « Le Monde »)
S’était-il radicalisé à Guantanamo ? C’est la thèse défendue par sa famille dans un communiqué diffusé le 22 février : « Le Jamal [que l’on connaissait] avant 2001, quand il a été emmené à Guantánamo, n’aurait pas été impliqué dans une organisation méprisable comme le soi-disant Etat islamique. C’était une personne paisible et douce. Quoi qu’il ait fait ou non depuis, nous pensons qu’il a été complètement changé par la cruauté physique et mentale et le traitement inhumain qu’il a endurés pendant deux ans là-bas. »
Direction Guantanamo
Auditionné le 17 décembre 2004 à Paris par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Ronald Fiddler prétend alors qu’il n’avait jamais imaginé que les Américains puissent l’emprisonner : « Lorsque j’ai été informé pour la première fois en Afghanistan que je serais placé sous la garde des Américains, j’ai été soulagé. Car je pensais que je serais convenablement traité et que je retournerais chez moi sans trop tarder. » Ce sera en fait direction Guantanamo, où début février 2002, il est « accueilli » par les gardiens du camp : « Tu es désormais la propriété du corps des marines des Etats-Unis. »
A ce moment-là, l’armée américaine ne prend la décision de le transférer au Camp X-Ray, sur l’île cubaine, que pour la seule raison qu’« il est susceptible d’avoir connaissance du traitement des prisonniers et des techniques d’interrogatoire pratiquées par les talibans », selon la fiche de synthèse établie par l’administration militaire américaine du camp de Guantanamo (documents révélés par WikiLeaks).
Le 27 septembre 2002, le major général Michael E. Dunlavey, qui commandait alors le camp, recommande la « libération ou le transfert à un autre gouvernement du détenu ». Une recommandation basée sur « l’évaluation selon laquelle [Fiddler] n’était pas affilié à Al-Qaida ou à un chef taliban ». Mais on y apprend le 3 juillet de l’année suivante, alors que le Britannique est toujours détenu, que tout compte fait Fiddler est dangereux : « Le détenu a probablement été impliqué dans une attaque terroriste visant les Etats-Unis. » Laquelle ? Mystère. Sachant, précise son « dossier », que le « détenu n’a pas été interrogé sur ses liens avec ceux qui sont impliqués dans cette attaque ni sur sa propre implication ».
Ronald Fiddler est désormais suspecté d’être « affilié à Al-Qaida ». Un compagnonnage qui daterait des premiers voyages qu’il a effectués dans le monde arabe, en particulier au Soudan. Les diplomates britanniques qui l’avaient rencontré à Kandahar l’ont en outre trouvé « arrogant et évasif ». Au regard de ces nouveaux éléments, Geoffrey D. Miller, le nouveau commandant de Guantánamo, recommande donc de le garder détenu à « des fins de renseignement ». Il sera donc finalement libéré en 2004.
« Atrocités en Syrie »
« Ce gars est sorti de Guantanamo dix ans avant de partir pour la Syrie. Ce serait bien long de maintenir quelqu’un sous une surveillance étroite, presque impossible, et contre ses libertés civiles », s’est justifié Richard Barrett, l’ancien chef du contre-terrorisme britannique, à la télévision ITV. « Lorsqu’il est revenu, l’évaluation qui a été faite était qu’il ne représentait aucune menace. Et pendant ces dix ans, il n’a représenté aucune menace directe contre la population britannique. » Ronald Fiddler passe donc ces années-là sous les radars des services de renseignement.
Pourtant, son épouse affirme aujourd’hui qu’il se serait radicalisé vers 2013 à cause des « atrocités commises par le régime en Syrie » et surtout – comme le confirme le document de l’EI – au contact de l’ancien rappeur Raphael Hostey, dit Abu Qaqa Al-Britani, considéré comme l’un des principaux recruteurs de l’EI. Tué au printemps 2016, le djihadiste faisait partie d’un réseau de jeunes qui avaient quitté Manchester pour rejoindre la Syrie en octobre 2013. Très actif sur les réseaux sociaux, il aurait convaincu plus d’une centaine de Britanniques de le rejoindre.
A peine la moitié des quelque 850 ressortissants du Royaume-Uni sont revenus de la zone irako-syrienne et 15 % y auraient été tués, selon les derniers chiffres de Londres.