Le microparti de Marine Le Pen visé par un redressement fiscal
Le microparti de Marine Le Pen visé par un redressement fiscal
Par Simon Piel, Olivier Faye, Anne Michel, Maxime Vaudano
Jeanne pourrait être requalifié en société commerciale, ce qui l’empêcherait de prêter de l’argent aux candidats du FN aux législatives.
Les jours de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen, sont-ils comptés ? Déjà en attente d’un procès pour escroqueries et recel d’abus de biens sociaux, dans l’affaire du financement des campagnes législatives et présidentielle du Front national en 2012, cette entité financière créée en 2010 pour promouvoir l’essor du Front national (FN) se trouve également dans le collimateur du fisc.
Jeanne fait en effet l’objet depuis le 26 décembre 2015 d’une procédure de redressement fiscal, liée à sa requalification, par le fisc, en société commerciale. Cette procédure, révélée dans ses comptes de 2015, publiés le 7 février par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), est contestée par le FN et fait l’objet d’un contentieux entre les deux parties.
Cagnotte pour 2017
Selon nos informations, l’administration fiscale conteste à Jeanne le statut d’association (partagé par tous les partis politiques) en raison de l’activité commerciale qu’a développée le microparti de Marine Le Pen et qui lui permet de réaliser des bénéfices : la vente de kits de campagne aux candidats portant les couleurs du FN (tracts, affiches, sites Internet, etc.).
Cette activité est très éloignée du rôle d’un parti (qui est notamment de recueillir des fonds pour financer des candidats) et difficilement compatible avec le statut associatif propre aux partis politiques… Elle vaut d’ailleurs à Jeanne ses déboires judiciaires, la justice soupçonnant le microparti d’avoir surfacturé ces fameux kits de campagne aux candidats aux législatives, afin de maximiser les remboursements que verse l’Etat aux partis au titre des frais de campagne engagés (sous réserve que les candidats obtiennent plus de 5 % des voix). L’argent engrangé indûment aurait pu servir à financer une partie de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2012, voire à alimenter une cagnotte en vue de la présidentielle de 2017.
Le fonctionnement présumé de Jeanne | Les Décodeurs
Interrogé par Le Monde, Axel Loustau, conseiller régional d’Ile-de-France et trésorier du microparti, a confirmé ces informations. « On va aller au contentieux, nous sommes dans les premiers échanges avec l’administration, assure-t-il. On suit le parcours classique d’un contribuable français qui est en contentieux avec l’administration. » Ce redressement fiscal va-t-il empêcher Jeanne de prêter de l’argent aux candidats frontistes aux législatives, à l’image de ce qui avait été mis en place en 2012 ? « C’est prématuré de répondre », explique M. Loustau.
600 000 euros de produits financiers
De fait, les enjeux à la clé sont lourds pour le fonctionnement futur de la mécanique FN. Une telle requalification de Jeanne en société commerciale l’empêcherait de continuer à financer les candidats du FN. Elle compromettrait donc son rôle central dans la galaxie du FN.
La position du FN face au fisc sera difficile à tenir. Car les faits pointés par l’administration fiscale ne sont pas seulement corroborés par la justice. Ils sont aussi confortés par l’analyse de la CNCCFP dans son avis du 7 février sur les comptes du microparti. Cette commission, chargée de contrôler la comptabilité des partis politiques, reproche à Jeanne d’avoir déclaré 8 millions d’euros en « propagande et communication », alors qu’il s’agissait en réalité de « dépenses refacturées aux candidats aux élections de 2015 ». Aucun chiffre n’est donné pour la « facturation des services rendus aux candidats ». Interrogé par la CNCCFP, le parti n’a pas répondu à ses demandes d’explications « pour la deuxième année consécutive ».
L’examen des comptes détaillés du microparti de la présidente du FN, qu’a conduit Le Monde, est riche d’enseignements. Faute d’adhérents (à peine 120 euros de cotisations encaissées en 2015) et de salariés (31 962 euros de salaires versés), Jeanne n’a rien d’un parti politique. Sa principale activité consiste à jouer le rôle d’intermédiaire financier entre les candidats du FN et les prestataires de la galaxie frontiste, qui leur proposent les « kits de campagne ». Jeanne propose aussi aux candidats frontistes des prêts pour se financer. Ce qui lui a permis d’empocher 600 000 euros de produits financiers. Or, objecte la CNCCFP, les prêts entre deux formations politiques ne sont pas censés « procurer un enrichissement sans cause » au prêteur.
Jeanne est un parti riche, qui totalisait, fin 2015, plus de 6 millions d’euros d’actifs, dont près d’un million dans sa trésorerie.