La chambre criminelle de la Cour de cassation a saisi l’occasion d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour rendre, mardi 6 février, un arrêt important qui dénie aux Etats étrangers le droit d’intenter une procédure en diffamation devant les tribunaux nationaux. Cette décision intervient alors que plusieurs poursuites sont en cours devant les tribunaux correctionnels de Paris ou de Nanterre.

L’Azerbaïdjan a ainsi porté plainte en diffamation à la suite d’un article dans lequel il lui était imputé un « comportement terroriste. » Le Maroc poursuit l’hebdomadaire L’Obs, pour un article d’octobre 2015, évoquant la tentative de corruption d’un champion de boxe marocain par des dignitaires du royaume.

L’usage de ces poursuites susceptibles de restreindre la liberté d’expression, voire de bâillonner des adversaires politiques, en les engageant dans des procédures coûteuses et forcément déséquilibrées, a conduit la Cour de cassation à préciser sa jurisprudence.

Dans son arrêt, elle souligne qu’un Etat ne saurait être assimilé à un particulier et qu’il ne peut en conséquence « engager une poursuite en diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ». Les poursuites ne peuvent être engagées que par les responsables ou les représentants de cet Etat s’ils estiment que des propos portent atteinte à leur honneur ou à leur considération.

« Aucun besoin social impérieux »

La Cour considère que cette limite apportée au droit de poursuite « opère une juste conciliation entre la libre critique de l’action des Etats ou de leur politique, nécessaire dans une société démocratique, et la protection de la réputation et de l’honneur de leurs
responsables et représentants »
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L’arrêt de la Cour de cassation vient ainsi compléter la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui, en 2002, avait condamné la France pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, à la suite d’une procédure intentée par le roi du Maroc contre le directeur du Monde de l’époque, Jean-Marie Colombani, et le journaliste Erich Inciyan, sur le fondement du délit d’« offense à chef d’Etat étranger ».

La CEDH avait jugé que ce délit, prévu par l’article 36 de la loi sur la presse de 1881, ne répondait à « aucun besoin social impérieux » et qu’il accordait « un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui », portant en conséquence atteinte à la liberté d’expression. Cet article a été abrogé en 2004. Le délit d’offense au chef de l’Etat français a quant à lui été supprimé en 2013.