« Je veux voir des boulons qui sautent ! » : Sumobot, la compétition de robots déjantée
« Je veux voir des boulons qui sautent ! » : Sumobot, la compétition de robots déjantée
Par Morgane Tual
Une cinquantaine de robots sumos se sont affrontés samedi lors d’un tournoi à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis. Jus de cerveau, bidouille et humour au programme.
« Je veux voir des composants qui fondent ! Je veux voir des boulons qui sautent ! », s’exclame le commentateur dans son micro. « Ça va être un bain de sang ! » Le départ est donné : une vingtaine de petits robots roulants, placés dans une arène ronde, démarrent dans un joyeux chahut, se foncent dessus, se poussent et s’éjectent hors du cercle blanc qui délimite le terrain.
Le public s’exclame, applaudit et retient son souffle dans les dernières secondes. Seules deux petites machines sont encore dans l’arène, se confrontent, jusqu’à la victoire finale de Speedy, qui réussit à expulser son ultime adversaire sous les hourras des spectateurs.
La victoire est d’autant plus délectable que, quelques minutes plus tôt, ce petit robot rouge venait de perdre la grande finale de la Sumobot organisée samedi 25 février par l’ESIEE, une école d’ingénieur à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), dans un tête à tête avec Aïe Robot.
Et voici une petite "battle royale" improvisée lors de la Sumobot : plusieurs robots s'affrontent au lieu de deux. https://t.co/Qk143FR5OZ
— morganetual (@Morgane Tual)
Car cette compétition se joue traditionnellement à deux – la « battle royale », qui convie tous les participants d’un coup, étant surtout là pour clore spectaculairement le tournoi.
Une sumobot, combat de sumo version robot, oppose généralement deux machines, disposées sur un terrain circulaire noir bordé d’une ligne blanche, appelé le « dohyo ». Ici, cette arène mesure 77 centimètres de diamètre. Quant aux robots, le règlement est très strict : ils ne doivent pas peser plus de 500 grammes et ne peuvent pas occuper plus de 10x10 centimètres de surface. Une fois le combat lancé, c’est à eux de jouer : entièrement autonomes, ils doivent repérer leur ennemi et le faire sortir du cercle par tous les moyens possibles, sous le regard inquiet et impuissant de leur créateur.
Une raclée par un gamin
Bullbot et le Rodis n’ont pas de roues, mais des chenilles. Bullbot est équipé d’une pelle pour éjecter plus efficacement ses adversaires. | Morgane Tual / Le Monde
Ceux-ci doivent donc déployer des trésors d’inventivité pour l’emporter. Quitte à pirater un peu les règles du jeu… Thierry Biaujou, président de l’association de robotique Caliban, a par exemple doté son Bullbot d’une très longue pelle « pour soulever l’adversaire ». Mais pour ne pas dépasser la limite des 10 centimètres, celle-ci est au départ positionnée verticalement, et ne se déploie à l’horizontale qu’une fois le combat lancé. C’est ce qu’il explique tout en remplaçant les chenilles de son robot, après un combat seulement. « Il y avait de la poussière !, se justifie-t-il. C’est le secret de l’adhérence. Et sur un robot de 500 grammes, le moindre gramme compte. »
Thierry Biaujou, président de l’association Caliban. | Morgane Tual / Le Monde
Les autres secrets d’un robot sumo réussi, selon lui : des capteurs efficaces pour localiser son adversaire et la ligne blanche, un système de pelle ou de pare-choc pour éjecter l’ennemi et s’en protéger, et « une programmation assez simple pour que le robot réagisse vite ». Cet ingénieur de 44 ans en sait quelque chose : son autre robot, le Rodis, avait fini deuxième de la compétition en 2016. Et avait remporté le prix du design, avec son look de Tardis, le vaisseau spatial de la série Doctor Who.
Mais la victoire n’est pas ce qui l’intéresse le plus dans cet événement. En tant que président d’une association de robotique, il considère que la Sumobot est « un projet moteur de la robotique, qui donne envie aux jeunes de s’y mettre ». Pour réaliser un robot sumo, « ce n’est pas très difficile », assure-t-il, soulignant que des kits existent pour les débutants autour d’une centaine d’euros. « Tout le monde peut se lancer. » Comme pour lui donner raison, un tout petit garçon s’approche et lui serre solennellement la main : « Bravo, lui dit-il très sérieusement, vous avez bien combattu. » Il venait de lui mettre une raclée quelques minutes plus tôt en catégorie « expert ».
« C’est un peu comme les Lego d’aujourd’hui »
Myriam Vépierre n’avait jamais créé de robot avant de fabriquer Scratina. | Morgane Tual / Le Monde
Du gamin au senior, de l’étudiant au pro, du débutant au spécialiste : on croise ici des profils très différents, et ce ne sont pas toujours ceux que l’on croit qui atteignent les plus hautes sphères de la compétition. Avec son robot à l’allure improbable, Myriam Vépierre, 46 ans, gravit une par une les étapes du tournoi, là où certains pros ont déjà été éliminés. Il s’agit pourtant de son tout premier robot, baptisé Scratina – « au départ c’était Scrat », en hommage au personnage nigaud de L’Âge de Glace, « et puis, je lui ai mis des cils et c’est devenu Scratina ». Outre son look entre l’ananas roulant et Monsieur Patate, Scratina a pour originalité de disposer de capteurs sur les côtés et pas seulement à l’avant. Une stratégie efficace : « ça permet de se dégager tout de suite si l’autre arrive sur le côté », ce qui serait synonyme de défaite, le robot ne pouvant pas résister dans ce sens.
« Rien ne me prédestinait à fabriquer un robot, c’est un ami qui m’a poussée à participer à ce tournoi », explique cette dessinatrice industrielle.
« C’était un défi et c’était drôle : ce n’est que du système D, il faut trois fois rien pour y arriver. C’est un peu comme les Lego d’aujourd’hui : ça demande de la logique, de l’assemblage et de l’imagination. »
Elle admet toutefois avoir connu quelques difficultés, notamment pour faire entrer tous les éléments nécessaires dans le robot. « C’est passé au chausse-pied ! », souligne-t-elle, en précisant avoir utilisé une boîte de chocolat pour réaliser la coque censée protéger les cartes électroniques.
Las, celle-ci n’a pas tout à fait résisté à la dureté des combats : un morceau a explosé lors d’un affrontement. Et ce ne sont pas les seuls dégâts subis par les machines tout au long de la journée. Des boulons ont volé et des circuits ont cramé. Les robots ont d’ailleurs la mauvaise habitude de se jeter dans le vide : s’ils sont éjectés du cercle, certains continuent leur course infernale sans se soucier de la limite de la table, et s’écrasent au sol sans élégance, malgré les mains qui s’empressent pour éviter le drame. Une catastrophe pour les concepteurs, car si le robot se casse, impossible pour eux de continuer la compétition.
Ce jour-là, une cinquantaine de robots s’affrontent, dans des combats qui s’enchaînent sur plusieurs arènes simultanément. Tout va très vite, chaque match ne durant qu’une poignée de secondes. Souvent, un des robots est expulsé quasi immédiatement. Parfois, la lutte s’éternise : les deux machines se rencontrent et se poussent mutuellement, avec une force équivalente, tournent en duo collées l’une à l’autre dans un curieux ballet qui n’en finit pas. « C’est “Danse avec les stars” ? » plaisante un spectateur, avant que l’arbitre ne décide d’interrompre le duel.
Les combats de Sumobot sont souvent vite expédiés. https://t.co/BGVyoGpIln
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Un combat de Sumobot qui dure, c'est souvent un combat de Sumobot bloqué... https://t.co/vyZZ7YaGrR
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Le vainqueur, un robot sérieux
Numéro 9 a quant à lui immédiatement pulvérisé son adversaire, qui a cogné le sol. Cet autre robot iconoclaste a, lui, été développé par de vrais pros : Maxime Hanicote, 28 ans, ingénieur dans les objets connectés, et son ami Jean-Michel Mourier, le même âge, directeur technique dans l’entreprise Blue Frog Robotics. Ce dernier a beau avoir contribué à la fabrication d’un des robots les plus mignons du marché, Buddy, cela ne semble pas lui suffire : « je suis passionné, je fais aussi de la robotique en dehors du travail ».
Baptisé Numéro 9, ce robot fait de bric et de broc a été terminé le matin même de la compétition. | Morgane Tual / Le Monde
En découvrant l’existence de la Sumobot il y a deux mois, ils se sont lancés dans la fabrication de leur propre compétiteur, à partir d’un châssis déjà existant, qu’ils ont affublé… d’un Iron Man hochant la tête, collé avec de la Patafix et du Scotch. « Ça nous permet de monter jusqu’à 500 grammes ! Plus c’est lourd, plus les roues accrochent. » Pour arriver pile au poids maximum, les deux amis ont ajouté le matin même ce qu’il fallait de fil de fer, et lui ont posé une sorte de cape « avec ce truc qui traînait sur le bureau ». « Comme ça si on perd, au moins notre robot est beau ! » Leur stratégie : « un robot lent, pour ne pas basculer, mais qui pousse fort ».
Sonia Antunes et Maxime Michau ont remporté le tournoi avec Aïe Robot. | Morgane Tual / Le Monde
Ce qui n’aura pas suffi à obtenir la victoire. Celle-ci a été arrachée par un robot à l’apparence bien plus classique. Contrairement à d’autres, Aïe Robot n’a pas de cape, pas d’oreilles de lapin et ne joue pas la musique de Super Mario. Petit, robuste et rapide avec sa carapace bleue sur mesure, il tourne sur lui-même à toute allure pour repérer l’adversaire, et se rue sur lui avec une efficacité désarmante. Lui n’a pas été développé par un pro, mais par deux étudiants de 22 et 23 ans de l’ESIEE, Sonia Antunes et Maxime Michau, qui en ont fait leur projet de fin d’études.
« On ne voulait pas jouer sur le fun, juste sur l’efficacité », soutient Maxime. Ils ont choisi de le concevoir le plus bas possible, « pour abaisser le centre de gravité au maximum », explique Sonia. « Et plus ils sont hauts, plus ils sont détectables par les autres. » Ils ont aussi équipé leur robot de moteurs très petits et puissants, pour lui donner « le plus de force possible » et lui ont donné une forme oblique. Une combinaison gagnante. Les autres ont pu se consoler avec d’autres prix, plus ou moins sérieux, comme celui du « fail » (« échec »). Qui a récompensé Grégorobot, un robot ayant vaillamment combattu sans capteurs… car ceux-ci avaient brûlé lors des entraînements du matin.