L’envoyé spécial de l’ONU Staffan de Mistura, le 25 février à Genève. | PIERRE ALBOUY / AFP

A peine commencées et déjà enlisées ? Les nouvelles discussions inter-syriennes, dites de « Genève 4 », inaugurées jeudi 23 février, ne suscitaient guère d’espoir, du fait de la méfiance régnant entre les deux camps et de la poursuite des bombardements russo-syriens sur les zones tenues par l’opposition. Les chances de réussite semblent encore plus minces depuis l’attaque dévastatrice de samedi 25 février contre deux bâtiments des services de sécurité gouvernementaux, à Homs, dans le centre du pays, qui a fait 42 morts.

« A chaque fois que nous avons des pourparlers, il y a toujours quelqu’un qui essaie de faire dérailler le processus et nous nous y attendions », a réagi l’envoyé spécial de l’ONU Staffan de Mistura, tout en pressant « les parties opposées au terrorisme (…) de ne pas permettre le succès de ces tentatives ». « Ce qui s’est passé jette une ombre sur les pourparlers », a déclaré pour sa part Bachar Al-Jaafari, le chef de la délégation du régime, qui semble avoir fermé la porte à toute discussion en face-à-face avec les anti-Assad affirmant ne vouloir parler « qu’à une opposition unifiée, patriotique et condamnant le terrorisme ». « Nous sommes toujours au point mort il ne s’est rien passé depuis l’ouverture des pourparlers », soupire un diplomate occidental.

Parmi les victimes de l’opération, menée par plusieurs kamikazes, qui sont parvenus à s’infiltrer à l’intérieur des casernes, figure le chef de la branche locale des renseignements militaires, le général Hassan Daaboul, une personnalité de l’appareil sécuritaire syrien, proche du président Bachar Al-Assad. L’assaut n’a pas été revendiqué explicitement, mais la coalition rebelle Tahrir Al-Cham, dominée par le groupe djihadiste Fatah Al-Cham, familier de ce genre d’action, l’a salué sur les réseaux sociaux, affirmant que les assaillants étaient au nombre de cinq.

Selon Rami Abdel Rahmane, le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, qui dispose de contacts au sein du régime syrien, les kamikazes se seraient fait exploser l’un après l’autre, à mesure de l’arrivée des renforts. Les affrontements auraient duré près de deux heures, ce qui fait de cette attaque l’une des plus spectaculaires jamais perpétrée contre un centre de commandement syrien, depuis l’attentat de juillet 2012, au siège de la sécurité nationale, à Damas. L’explosion avait notamment tué le ministre de la défense et son adjoint, Assef Chaoukat, un beau-frère de Bachar Al-Assad.

Représailles

En représailles, l’aviation syrienne a bombardé le quartier d’Al-Waer, l’ultime secteur d’Homs encore aux mains des insurgés, et intensifié ses frappes sur d’autres zones, comme la banlieue est de Damas, où 10 morts ont été récensés samedi. Bachar Al-Jaafari a aussi mis en demeure son homologue de l’opposition, Nasser Al-Hariri, de condamner le terrorisme et l’attaque de Homs en particulier. « Nous condamnons toutes les opérations terroristes, et si ce qui s’est passé à Homs est une opération terroriste, alors mes déclarations sont claires », a riposté M. Hariri.

« Jaafari tergiverse, il ne veut pas démarrer la discussion sur la transition politique », a accusé Salem Al-Meslet, le porte-parole des opposants, en référence à l’ordre du jour théorique des négociations. D’autres membres de la délégation antirégime, s’étonnant que les kamikazes aient pu s’introduire dans des QG probablement très sécurisés, ont insinué que le pouvoir syrien est à l’origine de l’attaque.

Vidéo atroce

La recrudescence des violences pourrait hâter l’effondrement du cessez-le-feu proclamé le 30 décembre 2016, et qui n’a produit qu’une simple baisse du niveau des hostilités. Les bombardements sur les zones rebelles n’ont jamais cessé, comme l’a montré une vidéo particulièrement atroce, filmée le 16 février dans la région d’Idlib. On y voit un jeune garçon, assis par terre, dont les jambes viennent d’être réduites à l’état de moignons par un tir de l’aviation syrienne, et qui supplie son père de le porter. Agé de 9 ans, Abdel Basset Al-Satouf a depuis été transféré en Turquie où ses deux membres ont été amputés.

Le 18 février, une semaine avant l’attaque d’Homs, les forces loyalistes ont aussi lancé une violente offensive contre Qaboun, dans la banlieue de Damas. Une cible stratégique puisque c’est par les tunnels, creusés sous cette localité, que passe le ravitaillement de la Ghouta, le fief de la rébellion à l’est de la capitale. La pluie de roquettes lancée sur la ville a fait plusieurs dizaines de morts, dont de nombreux civils, rompant un accord de trêve local, en vigueur depuis deux ans et demi. Les médias prorégime justifient cet assaut en arguant que la localité est sous la coupe des extrémistes de Tahrir Al-Cham, ce que conteste l’opposition.

Une semaine plus tôt, dans le sud de la Syrie, à Deraa, ce sont les anti-Assad qui ont rallumé les hostilités, gelées depuis plus d’un an, en vertu d’un arrangement entre la Russie et la Jordanie. Redoutant une attaque des troupes gouvernementales sur un poste-frontière qu’ils contrôlent, des combattants de l’Armée syrienne libre, la branche modérée de l’insurrection, alliés à des éléments de Tahrir Al-Cham, ont donné l’assaut à un quartier de la ville aux mains des loyalistes. En réaction, l’aviation russe a pilonné les secteurs rebelles.

Le refus persistant du régime Assad de laisser l’aide humanitaire circuler librement dans le pays entretient aussi la tension. Depuis le début de l’année, aucune des zones assiégées par les forces loyalistes n’a pu être ravitaillée. Un convoi des Nations unies, le premier depuis cent dix-huit jours, devait rentrer mercredi dans Al-Waer. Mais des tirs à l’entrée du quartier ont obligé les chauffeurs à rebrousser chemin. Sur la route du retour, les cargaisons de 22 des 35 camions composant le convoi ont été pillées par des miliciens prorégime.