Martha : « J’ai dû m’enfuir et me cacher durant neuf jours à cause des tueurs »
Martha : « J’ai dû m’enfuir et me cacher durant neuf jours à cause des tueurs »
Par Amaury Hauchard (Phalombe, Malawi, envoyé spécial)
Les albinos du Malawi racontent leur quotidien (1/5). Martha et Félix vivent la menace permanente d’hommes de leur village qui ont déjà tenté de tuer la jeune femme.
Martha Chipeso a 22 ans. Elle vit avec son mari Félix et leur fils Vincent dans le district de Phalombe, dans l’est du Malawi, à plusieurs heures de piste de la première route bitumée. Jeunes mariés, ils survivent en pensant à l’avenir.
Martha « Vous voyez ce manguier ? Il n’y a plus rien dessus. C’est fini pour cette année, on n’a plus de fruits. Normalement, c’est ma fierté quand des gens viennent : il est devant la maison, au centre de la cour, je vais cueillir une mangue et la couper avec mes invités. Mais c’est fini. Trois mois avant la fin de la saison… On a tout mangé avec mon mari Félix et mon fils Vincent. Il faut qu’on se nourrisse, et l’argent ne suffit plus.
On gagne 10 000 kwachas (12 euros). C’est l’argent qu’on arrive à rassembler chaque mois avec Félix en allant récolter aux champs des petits pois. Mais le champ… C’est compliqué pour moi. »
Félix « Quand je vais à la ville acheter de la crème solaire pour Martha, je dois choisir entre nos repas ou la crème. On a un enfant, je choisis les repas. »
Martha « Ce n’est pas grave ça, tant pis. C’est la faute du soleil, pas la faute des hommes. Les hommes font déjà beaucoup de fautes. En mars de l’année dernière, j’ai dû m’enfuir à cause des hommes. Des mauvaises personnes, des tueurs.
Ils sont venus ici, chez moi, avec des pango, des longs couteaux. Ils criaient, ils me criaient dessus : “On va te tuer, on est là pour te tuer.” J’ai crié moi aussi, j’ai pleuré, je les voyais arriver par là, devant vous, là, par ce chemin.
Je suis partie, je me suis enfuie de ce côté, je suis partie le plus loin possible. Il y avait des plantes hautes dans les champs, heureusement. J’ai pu partir de ce côté, j’ai couru dans les champs, pendant longtemps.
J’y suis resté neuf jours, en mangeant ce que je trouvais dans les champs. J’avais soif. Mais j’ai eu de la chance, j’ai rencontré une bonne personne. Un révérend m’a trouvé dans les champs, il m’a recueillie et enfin j’ai pu boire. »
« Je n’ai pas sept couteaux »
Félix « Quand je vais au village, les gens qu’on connaît me disent qu’il faut que j’ai sept couteaux sur moi. Ils me disent que je devrais avoir sept couteaux pour protéger Martha, parce qu’ils vont venir la tuer. Ils me disent que je devrais dormir avec mes couteaux, car ils viendront la nuit. J’ai installé un cadenas sur la porte, là, celui-là, mais si vous êtes musclés vous pouvez le casser. Je n’ai pas sept couteaux. »
Martha « Je suis heureuse d’être avec Félix. Il est venu me demander en mariage quand j’étais seule avec mon fils Vincent, il y a un an. Vincent a 8 ans maintenant, il devient grand, il faudrait une nouvelle maison. On a des plans pour le futur, on veut acheter une maison ici, et moi je veux que les gens qui sont venus soient condamnés à mort. »
Félix « On a été voir la police pour dénoncer ces hommes, c’est des hommes d’ici, nos voisins les connaissent. La police les a arrêtés, mais ça n’a servi à rien, on sait qu’ils ont été relâchés. »
Martha « C’est ma sœur qui a organisé l’attaque. La police me l’a dit, et des voisins me l’ont dit aussi, ils ont vu les tueurs chez elle. Je ne veux plus la voir. Mais elle habite la maison qu’on voit là-bas, juste à côté d’ici. Ce n’est pas elle qui partira, ça sera moi. Mais sans l’argent je ne pourrais pas partir. On vivra toujours avec cette menace. »