La Caisse des dépôts (CDC) offrirait-elle à ses dirigeants et, plus largement, à ses agents et aux membres de sa commission de surveillance un régime particulièrement avantageux ? En janvier, un livre-enquête de Sophie Coignard et Romain Gubert, La Caisse (Seuil, 256 pages, 19,50 euros), épinglait l’« opacité » et la « gabegie » du « coffre-fort des Français ». Mardi 7 mars, la Cour des comptes a, à son tour, publié un référé d’une rare sévérité sur les dépenses de fonctionnement de la CDC.

La CDC, que l’on a coutume d’appeler « le bras armé financier de l’Etat », est un groupe public, placé sous la surveillance du Parlement, qui brassait environ 133 milliards d’euros et employait près de 6 000 agents en 2015. Durant la période étudiée, entre 2007 et 2015, la Cour des comptes constate « une progression anormalement rapide » des dépenses de la caisse, qui « ont été entachées d’irrégularités en matière de rémunération ».

Cette hausse des dépenses (+ 23 %) est notamment due à l’expansion de la masse salariale, qui, pendant cette période « caractérisée pour le pays par des difficultés économiques et de fortes contraintes sur les finances publiques », a connu une croissance de 35 %. L’une des raisons tient au fait que la proportion d’agents de droit privé, dont la rémunération moyenne est plus élevée, dans le personnel de la CDC, s’est nettement accrue, passant de 26 % à 35 %. Cette pluralité au sein de la Caisse a aussi pour conséquence, pour les agents, un cumul des avantages des statuts public et privé, note la Cour.

Depuis le décret du 16 janvier 2013, la rémunération du directeur général de la CDC a été plafonnée à 450 000 euros ; elle atteignait 547 972 euros l’année précédente. Cependant, les deux directeurs généraux en poste depuis cette date, Jean-Pierre Jouyet jusqu’à avril 2014 et Pierre-René Lemas depuis, le premier ayant succédé au second au secrétariat général de l’Elysée, ont perçu une rémunération inférieure à ce plafond, de 349 871 euros.

S’agissant des directeurs de l’établissement public, la moyenne des rémunérations s’établit à 302 301 euros. Ce montant, note la Cour, est « très sensiblement supérieur à la rémunération moyenne, voisine de 200 000 euros brut, perçue par les directeurs des ministères économiques et financiers ». Une réalité que ne conteste pas le directeur général de la CDC, M. Lemas, mais, selon lui, « ces niveaux tiennent nécessairement compte de la réalité du marché dans lequel la Caisse des dépôts intervient et des conditions de rémunérations de leurs homologues de droit privé ». Autrement dit, pour attirer des cadres de haut niveau, la caisse doit s’aligner sur les conditions du secteur bancaire.

Les écarts de salaires moyens entre la CDC et les ministères économiques et financiers se répercutent à tous les échelons : + 31 % pour les fonctions de sous-directeur, + 66 % aux postes de chef de service, + 38 % pour un attaché principal. La Cour remarque, en outre, que « le coût moyen de l’action sociale de la CDC est particulièrement élevé ». Il atteignait 5 380 euros par agent en 2015, soit un montant équivalent au salaire mensuel moyen. « Parmi les prestations dont elle fait bénéficier ses personnels, la CDC octroie des prêts immobiliers dans la limite de 300 000 euros à des taux inférieurs aux conditions de marché. Ces montants ne sont pas compatibles avec la notion de prêt à vocation sociale », relève l’institution.

Indemnités

La Cour des comptes pointe également des irrégularités en matière d’indemnités. Ainsi, si le versement d’indemnités de départ en retraite est prévu par le code du travail pour les salariés de droit privé, il est irrégulier pour les fonctionnaires. Or, à la CDC, tous les agents publics remplissant les conditions d’âge légal ont bénéficié d’une indemnité de départ d’un montant moyen de 36 000 euros, pour un coût total de 45 millions d’euros. Le directeur général de la CDC s’est engagé à mettre un terme à cette pratique « dans le cadre d’une approche progressive à l’issue d’une concertation avec les représentants du personnel ».

Autre anomalie relevée par la Cour : les indemnités versées aux treize membres de la commission de surveillance, présidée par Henri Emmanuelli, député (PS) des Landes. Le montant des indemnités perçues par les dix membres bénéficiaires – les représentants de l’Etat et de la Banque de France n’y ont pas droit – est passé de 34 300 euros en 2007 à 274 500 euros en 2015, soit un montant individuel moyen de 27 450 euros. Depuis, la commission de surveillance a adopté, le 8 février, une modification de son règlement intérieur fixant une rémunération forfaitaire pour les travaux de contrôle auxquels procèdent ses membres. L’enveloppe prévisionnelle consacrée au versement des indemnités reste cependant plafonnée à 275 000 euros.

Certes, la Cour note que « des efforts récents dans le sens d’une gestion plus rigoureuse » ont été accomplis. Mais elle appelle à « mettre un terme sans délai aux irrégularités constatées ». Une semonce qui risque de ne pas être prisée dans l’institution bicentenaire.