Olena Zerkal, vice-ministre des affaires étrangères de l’Ukraine, le 6 mars à La Haye. | BAS CZERWINSKI / AFP

L’affrontement entre la Russie et l’Ukraine s’est déplacé, lundi 6 mars, devant la Cour internationale de justice de La Haye. Ni Moscou ni Kiev ne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (qui prévoit sa compétence automatique pour tout conflit les opposant), l’Ukraine a lancé, mi-janvier, une double procédure visant à accuser la Russie de violer les conventions – dont elle est signataire – sur le financement du terrorisme et sur l’élimination des discriminations raciales.

Les débats sur le fond pourraient prendre des années, mais, dans l’immédiat, l’Ukraine demande aux juges de prendre des mesures d’urgence : ordonner à la Russie de stopper son soutien aux séparatistes du Donbass, et cesser les discriminations, notamment à l’égard des Tatars de Crimée. « La Russie met en œuvre sa politique étrangère sans égard pour la vie humaine », a dénoncé Olena Zerkal, vice-ministre des affaires étrangères de l’Ukraine, selon laquelle l’intensification récente des bombardements dans l’est du pays prolonge une situation « dangereuse et imprévisible ». Depuis le printemps 2014, la guerre s’enlise dans l’est du pays et a déjà fait plus de 10 000 morts.

Pour Mme Zerkal, les tactiques russes « comprennent le soutien au terrorisme et aux actes de discrimination raciale, ainsi que la propagande, la subversion, l’intimidation, la corruption politique et les cyberattaques ». Et, assure Harold Koh, l’un des avocats de Kiev, l’approvisionnement en fonds et en armes de « groupes illicites » se poursuit même durant les audiences.

« Violations du droit humanitaire de part et d’autre »

En face, le directeur juridique du ministère des affaires étrangères russe, Roman Kolodkine, dénonce une procédure politique, visant à « stigmatiser une partie importante de la population ukrainienne » et « à qualifier la Russie de terroriste et persécutrice ». Kiev évoque un soutien aux terroristes, Moscou parle de rebelles qui, « face à la haine antirusse, ont demandé l’autonomie » et affirme que la convention sur le financement du terrorisme n’a pas été violée parce qu’elle ne peut s’appliquer « au seul motif qu’un Etat a décidé de qualifier certains groupes de terroristes ».

La Russie assure également que les armes viennent « des arsenaux hérités par l’Ukraine de l’armée soviétique en 1991 » et seraient tombées aux mains des rebelles. Le conflit est « tragique », fait valoir un autre représentant du ministère des affaires étrangères russe, et il y a eu « des violations du droit humanitaire de part et d’autre ».

Roman Kolodkine, directeur juridique du ministère russe des affaires étrangères, le 6 mars à La Haye. | BAS CZERWINSKI / AFP

Autre argument avancé par la partie ukrainienne : le drame du MH17 est bien un acte terroriste et « une attaque contre l’humanité », selon son représentant, qui prévient que des lance-missiles comme celui qui a permis d’abattre l’avion de ligne de la Malaysia Airlines en juillet 2014, au-dessus du Donbass, entraînant la mort de ses 298 passagers, pourraient de nouveau entrer en action. En face, Moscou marche sur des œufs. L’enquête pénale est toujours en cours, et la Russie en rejette les premières conclusions selon lesquelles le lance-missiles a été acheminé depuis son territoire. « Si on doit prendre en compte ces preuves, dit Ilia Rogatchev, un diplomate russe, on ne peut prouver qu’il y avait l’intention de financer un acte intentionnel contre un avion civil. »

Si l’Ukraine ne demande pas à la Cour de se prononcer sur sa souveraineté sur la Crimée, elle dénonce les discriminations contre les Tatars, dont certains « ont disparu, ont été enlevés », tandis que des élus « ont été exilés ». Et le professeur Koh de rappeler que les Tatars ont déjà subi « des exils de masse du régime stalinien » en 1941. La Russie y répond par des statistiques, affirmant qu’ils n’ont pas fui la péninsule en masse. Pour ses avocats, jusqu’à février 2014, date du retour de la Crimée dans le giron russe, la minorité a toujours été discriminée, même après l’indépendance de l’Ukraine, en 1991. Les juges commenceront à délibérer à partir de jeudi, et leur décision sur d’éventuelles mesures d’urgence devrait être rendue dans les prochaines semaines.