A gauche, le président du Conseil européen Donald Tusk. A droite, Jaroslaw Kaczynski, le chef du Droit et Justice (PiS), le parti au pouvoir à Varsovie. | JANEK SKARZYNSKI, PAULO NUNES DOS SANTOS / AFP

Editorial. Dans un monde rationnel, on pourrait imaginer qu’un pays membre de l’Union européenne ayant la chance d’avoir un de ses hommes politiques à la tête de l’une des trois plus importantes institutions de l’Union, en l’occurrence le Conseil européen, se batte pour l’y maintenir. Le président du Conseil européen n’est pas supposé défendre les couleurs de son pays d’origine, mais avoir un représentant à ce poste est précieux, à la fois en termes de prestige, d’engagement, et de soft power.

C’est compter sans l’irrationalité de Jaroslaw Kaczynski, le chef de Droit et Justice (PiS), le parti nationaliste au pouvoir à Varsovie. M. Kaczynski, qui contrôle tous les leviers de l’Etat polonais sans occuper de fonction gouvernementale, paraît obsédé par Donald Tusk. Avant de devenir président du Conseil européen en décembre 2014, M. Tusk était premier ministre de centre-droit lorsque le PiS était dans l’opposition.

Jaroslaw Kaczynski accuse Donald Tusk d’être « moralement responsable » de la mort de son frère jumeau, le président Lech Kaczynski, tué tragiquement en 2010 avec son épouse et de nombreux dirigeants polonais dans la catastrophe aérienne de Smolensk. Après lui avoir reproché de ne pas défendre les intérêts polonais à Bruxelles, oubliant que ce n’est pas son rôle, il considère à présent qu’il utilise sa fonction européenne pour s’immiscer dans la vie politique polonaise.

Méconnaissance du fonctionnement de l’Union

M. Kaczynski a fait connaître il y a quelques mois son opposition à une reconduction de M. Tusk à la tête du Conseil européen lorsque le mandat de ce dernier arriverait à échéance, en mai. A l’approche du sommet des vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à Bruxelles, jeudi 9 et vendredi 10 mars, qui doit notamment décider du renouvellement du mandat de Donald Tusk, la première ministre polonaise, Beata Szydlo, a donc proposé un autre candidat polonais, le député européen Jacek Saryusz-Wolski – qui n’a aucune expérience gouvernementale – et retiré le soutien de Varsovie à M. Tusk.

C’est une situation inédite. Le problème pour Varsovie, c’est que l’écrasante majorité des Etats membres de l’UE soutiennent la candidature de Donald Tusk. Le président Hollande a déclaré qu’il « ne participerait pas à l’éviction » de l’actuel président du Conseil européen, et Berlin, qui avait mis en selle M. Tusk en 2014, n’a pas fait mystère de sa volonté de le voir rester à son poste. Cet appui a fait dire à M. Kaczynski que le germanophone Donald Tusk était un « candidat allemand », visiblement l’insulte suprême par les temps qui courent en Pologne.

En réalité, la Pologne risque fort de subir un camouflet, jeudi à Bruxelles, qu’elle ne pourra se reprocher qu’à elle seule. En proposant un autre candidat polonais, Varsovie a donné l’impression de considérer que le poste lui revenait d’office, révélant une profonde méconnaissance du fonctionnement de l’Union. Mais surtout, la Pologne s’est exposée à ce que son isolement soit révélé au grand jour.

Exiger un vote, alors qu’une majorité qualifiée de 21 voix suffit pour reconduire M. Tusk, c’est prendre le risque de constater les défections : même la Hongrie de Viktor Orban, théoriquement l’allié le plus sûr de M. Kaczynski, a ostensiblement tenté de rester à l’écart de cette triste affaire. Il est grand temps pour la Pologne, sixième pays le plus peuplé d’Europe, de reprendre dans l’Union le rôle qui lui revient, celui d’un Etat membre responsable, actif et constructif.