Rue des casseroles
Rue des casseroles
LE MONDE IDEES
Les tapages qui accompagnent les déplacements de François Fillon s’inscrivent dans une longue tradition républicaine qui trouve des échos à l’étranger.
1. Casseroles debout
A La Réunion, défilé contre la venue de François Fillon, le 11 février | LAURENCE GEAI POUR "LE MONDE"
Depuis le début du mois de février, François Fillon a été accueilli par des concerts de casseroles lors de ses apparitions publiques : orchestrés par des groupes de syndicalistes et de sympathisants de gauche, ils ont notamment retenti à Athis-Mons le 8, à Poitiers le 9, à Compiègne le 16, à Tourcoing le 17, à Nîmes le 2 mars. Le 19 février, place de la République à Paris, lors d’un rassemblement contre la corruption des élus, plusieurs centaines de personnes ont fait de même. Elles voulaient rappeler avec drôlerie « les casseroles » que « traîne » le candidat. Dénonçant, entre autres, ces manifestations, François Fillon a reproché au gouvernement de laisser « se développer un climat de quasi-guerre civile ». Ce type de protestation sonore, pourtant, n’est ni violent ni très inhabituel. Le 17 juin 2016, déjà, le mouvement Casseroles debout avait organisé 400 rassemblements dans le pays pour protester contre la nouvelle loi travail.
2. Les charivaris républicains
Dessin de Grandville daté de 1831. Un député confronté à un concert de casseroles | Maison de Balzac / Roger-Viollet
Les concerts de casseroles s’inscrivent dans une tradition républicaine qui remonte aux années 1820, sous la Restauration. Les républicains en organisaient pour brocarder les prêtres monarchistes. Ils continuent après l’insurrection des Trois Glorieuses en 1830. A chacun de leurs déplacements, les nouveaux députés sont reçus par des tintamarres de casseroles. Les républicains leur reprochent d’avoir trahi les idéaux de la révolution pour pactiser avec Louis-Philippe. Ces manifestations reprennent une tradition populaire du XIVe siècle, les charivaris. A l’époque, des cortèges de moqueurs allaient percuter des chaudrons sous les fenêtres d’un vieux notable marié à une femme très jeune, ou s’en servaient pour railler des curés ou des bourgeois. Au début du XIXe siècle, les charivaris se politisent. Et en 1832 sort le journal satirique Le Charivari, le Canard enchaîné d’alors.
3. Le « printemps érable » canadien
Manifestation contre les hausses des frais de scolarité, à Montréal, le 26 mai 2012 | ROGERIO BARBOSA / AFP
Le 18 mai 2012, au Québec, les libéraux menés par le premier ministre Jean Charest font passer la « loi 78 », qui interdit tout rassemblement de plus de 50 personnes. Ils veulent contenir les manifestations répétées des étudiants contre la hausse des frais de scolarité – plus 75 % sur cinq ans. Dès le lendemain, à 20 heures, des « casserolades » de plus de 50 personnes se multiplient à Montréal. Le 22 mai, 250 000 personnes manifestent : le « printemps érable » des étudiants a rallié la population. Une ambiance à la Mai 68 s’installe, chaque soir les gens sortent dans les rues à Montréal, à Québec. Ils discutent, organisent des concerts de casseroles. Les arrestations en série et les matraquages attisent la contestation : fin mai 2012, le boucan des casseroles s’étend à tout le pays. Aux élections anticipées de septembre, le Parti libéral est battu, et Jean Charest quitte la vie politique.
4. La « cacerolada » d’Amérique latine
Contre la corruption, à Buenos Aires (Argentine), en décembre 2001 | Enrique Marcarian / Reuters
En Amérique latine, les caceroladas se pratiquent couramment. Ce sont les opposants au régime socialiste de Salvador Allende qui les ont inaugurées au Chili entre 1971 et 1973, dans les beaux quartiers, pour protester contre les hausses des impôts. Ces mouvements reprennent sporadiquement sous le régime de Pinochet, dans les années 1980, au sein des quartiers pauvres. En Argentine, les caceroladasdémarrent dans les années 1980, après la dictature, pour protester contre les hausses des prix. Ils prennent de l’ampleur dans les années 1990 pour sanctionner la présidencede Carlos Menem et culminent le 12 septembre 1996, à Buenos Aires, lorsque des milliers d’habitants paralysent la ville. Les tapages reprennent fin 2001, pour protester contre la nouvelle loi sur le travail : les 19 et 20 décembre, les caceroladaset les manifestations se multiplient jusqu’à la démission du président Fernando de la Rua, le 20 décembre 2001.