Pendant que Macky Sall parcourt le pays pour présenter son vaste programme d’assainissement visant à transformer les villes de Dakar, Pikine, Tambacounda, Lou, Tivaouane, Kaolack, Rufisque, Matam et Saint-Louis, toute la presse sénégalaise ne parle que de ce qui est devenu, en moins d’une semaine, « l’affaire Khalifa Sall ».

Incarcéré dans la nuit du 7 mars à la prison de Rebeuss, le maire de la capitale sénégalaise depuis 2009 est accusé de « détournements de fonds » de plus de 2,7 millions d’euros prélevés, selon la justice sénégalaise, dans les caisses de sa mairie « sans justification ». Des charges que l’édile nie en bloc.

Un procès politique ?

« Comment se fait-il que cela arrive juste à quelques mois des élections législatives, avec la bataille de Dakar qui se profile à l’horizon ? », s’interroge le site en ligne Dakaractu. Des « interrogations amènent l’opinion à dire que l’inculpation de Khalifa Sall relève purement d’une machination politique visant à éliminer un adversaire potentiel à l’élection présidentielle de 2019. »

Le camp de l’édile dakarois s’est très vite exprimé dans la presse sénégalaise. Dès la fin de l’audition du maire par le juge du tribunal de grande instance de Dakar mardi, ses avocats ont dénoncé une « manœuvre politique ». « Cette arrestation et cette détention n’ont pour but que de freiner Khalifa Sall dans ses ambitions politiques », ont-ils avancé, évoquant les législatives de juillet, et la présidentielle de 2019, pour laquelle l’édile de Dakar n’a pas caché ses ambitions.

En effet, Khalifa Sall avait annoncé ces dernières semaines qu’il présenterait sa propre liste de candidats aux législatives du 30 juillet. Pourtant investi comme l’un des responsables du Parti socialiste (PS), il est aujourd’hui en dissidence dans son parti, et de fait en dissidence de la coalition autour de l’actuel président Macky Sall.

Sur le site leral.net, Barthélémy Dias, maire de Mermoz-Sacré Cœur, proche du maire, n’hésite pas à prévenir : « Le président Macky Sall doit définitivement comprendre qu’il n’y aura pas d’élections si le président Khalifa Sall est en prison. »

Nombreux soutiens

Sur Dakaractu, les soutiens politiques du maire ont dénoncé la chasse aux opposants menée par le président de la République. Ousmane Sonko, le chef du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, opposition), suspecte « un laboratoire niché au cœur du régime qui passe tout son temps à essayer de fabriquer des armes de destruction d’opposants ». « Nous en avons assez des arrestations arbitraires, s’agace Modou Diagne Fada, le leader du nouveau parti Les démocrates réformateurs (Yessal). Hier c’était Karim Wade, avant-hier Bamba Fall et aujourd’hui Khalifa Sall. Demain, ce sera quelqu’un d’autre. »

Le Forum social sénégalais (FSS) a lui aussi condamné « la politique de deux poids deux mesures” » et dénoncé « l’utilisation sélective des rapports des corps de l’Etat contre des opposants » et « fustige l’utilisation de la justice pour régler des comptes à des adversaires politiques ».

Les maires du Sénégal et de la Francophonie ont eux exprimé leur soutien dès mercredi à leur confrère : « Khalifa Sall est une personnalité dans ce pays. Vouloir le jeter en pâture comme ça, en le mettant en prison alors que le dossier est en instruction, c’est trop, a déclaré sur la radio privée Futurs Médias (RFM) le secrétaire général de l’Association des maires du Sénégal (AMS), Mbaye Dione. On pouvait continuer l’instruction et [le] mettre sous contrôle judiciaire », a poursuivi le responsable de l’AMS, présidée par Aliou Sall, frère du chef de l’Etat.

De leur côté, les membres de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) ont « réaffirmé leur soutien », jeudi, dans un communiqué « leur amitié et leur solidarité à l’égard d’un grand maire qui demeure un modèle pour les élus locaux du continent africain ». L’AIMF, dont Khalifa Sall est le secrétaire général, fait « appel aux autorités sénégalaises pour que cette affaire soit traitée selon les règles internationalement reconnues de l’Etat de droit. » La Française Anne Hidalgo, maire de Paris et présidente de l’AIMF, a dit le même jour sa « préoccupation » et appelle les autorités sénégalaises à « soutenir l’Etat de droit » dans un communiqué commun avec Metropolis, l’association mondiale des grandes métropoles, et Cités et gouvernements locaux unis (CGLU).

« Fausseté et fourberie »

Mais les soutiens au président sénégalais n’ont pas manqué. La Convergence des jeunesses républicaines, le rassemblement de jeunes unis derrière Macky Sall, ne doute pas, lui, de « la solidité des accusations qui pèsent sur [Khalifa Sall] » et déplore qu’une « opposition en mal d’arguments dont certains de ses membres sont pris la main dans le sac procède à une politisation hideuse sur fond de fausseté et de fourberie de ce dossier qui interpelle aussi la conscience publique. »

Dans son édito, le journaliste de Dakaractu et conseiller municipal à Thiès, Al-Malick Seck, détaille les factures de la mairie et pointe les « graves errements de Khalifa Sall », lui adressant ses reproches : « Votre première erreur a été de signer pendant de longues années un document consistant à se faire livrer du riz et du mil en sachant que vous trichez. S’il s’agissait de fonds politiques, aviez-vous besoin de confectionner de faux documents, de faux bordereaux de livraison et j’en passe, pour vous faire livrer du faux riz ou du faux mil ? »

Le porte-parole du PS, Abdoulaye Wilane, pourtant coriace adversaire de l’édile dissident, a battu en brèche le long développement de l’éditorialiste sur le site d’information en ligne leral.net : « On a beau être champion de la traçabilité, de la recevabilité, il y a toujours des réalités au Sénégal qui font qu’on ne peut pas tout prouver, encore moins tout prouver sur la place publique. »

Argument balayé par le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, interrogé ce vendredi sur RFI, affirmant qu’il s’agit d’une simple « affaire de détournement de deniers publics, comme nous en connaissons tous les jours » et s’empressant d’évoquer la situation politique française : « Est-ce que vous allez accepter qu’on dise que, par rapport à Fillon, par rapport à Macron, il s’agit d’un règlement de comptes en France ? Non. »

La journaliste politique sénégalaise Bineta Diallo, jointe par La Tribune Afrique, estime quant à elle que « le maire n’a pas trop convaincu lors de ses séances d’explications sur l’affaire (…). Il y va pourtant de sa survie politique ».

A quatre mois et demi des législatives, la contre-offensive du maire de Dakar devra être rapide pour l’équipe « Khaff », comme le surnomment ses compatriotes.