De la naissance d’un nouveau « djihadistan » au Sahel
De la naissance d’un nouveau « djihadistan » au Sahel
Par Mohamed Fall Oumère
La région sahélo-saharienne est au bord d’une explosion de violences sans précédent, décrypte le journaliste mauritanien Mohamed Fall Oumère, spécialiste des mouvements terroristes.
L’image postée sur les réseaux sociaux le 2 mars a de quoi inquiéter les états-majors de la France et de ses alliés au Sahel : Iyad Ag-Ghali, le chef incontesté du mouvement Ansar Eddine, entouré par les représentants de quatre autres organisations djihadistes actives au nord du Mali et dans le Sahel en général.
A sa droite, Abul Hammam commandant de l’Emirat du Sahara, neuvième région militaire d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), et Amadou Koufa, chef de la brigade Macina, katiba peule d’Ansar Eddine. A sa gauche, Al-Hassan Al-Ansari, deuxième figure du mouvement de Al-Mourabitoun, dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, alias Belawar, et Abderrahmane Sanhaji, cadi (juge) d’AQMI dont la présence est une sorte de légitimation pour l’acte fondateur que viennent annoncer ces chefs du djihadisme dans la région sahélo-saharienne.
Il s’agit de la fusion de ces mouvements et katibas en une seule organisation ayant pour objectif « le soutien à l’islam et aux musulmans » (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM). L’émir du mouvement, dont c’est là l’acte de naissance, n’est autre que le chef touareg Iyad Ag-Ghali.
L’opération de communication intervient dans un contexte particulier. Les Etats-Unis d’Amérique, jusque-là fer de lance de la lutte antiterroriste, s’apprêtent à vivre un cycle de repli sur soi que la nouvelle administration exprime dans la bouche du président Donald Trump par le mot d’ordre « l’Amérique d’abord ! ».
L’Europe est affaiblie par l’épisode du Brexit au moment où, dans bien des endroits, pointent les risques de voir les populistes arriver au pouvoir. La France, en première ligne sur les théâtres de la lutte contre le terrorisme, vit les derniers moments d’un pouvoir qui a accentué son déclin aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. La récente tournée qu’on a voulue « triomphale » du ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, dans les pays du Sahel a mal caché les échecs cuisants de l’intervention française dans la région.
Sans paix, sans démocratie, pas de développement
Les Etats du Sahel montrent des signes de faiblesse encore plus évidents. A commencer par le Mali, point de départ de la déstabilisation de la région et dont l’occupation par les groupes djihadistes, en 2012, avait justifié l’intervention étrangère l’année suivante. Quatre ans après, rien de ce qui a été fixé comme objectifs n’a été réalisé.
La paix est loin d’être assuré dans le nord du pays, où les groupes armés continuent de sévir. Sans cette paix, on ne peut envisager de démocratie, encore moins de gouvernance, parce qu’une bonne partie de la population se trouve exclue de fait. Sans la paix, sans la démocratie, il n’y a pas de développement possible.
Pis, le pourrissement de la situation et l’incapacité de l’Etat malien à imposer son autorité sur son territoire ont favorisé l’éclatement de nouveaux clivages sur une base ethnique. C’est ainsi que la problématique peule est venue compliquer une situation qui l’était déjà. Une guerre civile est déjà en gestation au Mali, où la communauté peule subit un arbitraire qui profite largement aux organisations djihadistes, notamment la Katiba du Macina, une aile d’Ansar Eddine dirigée par Amadou Koufa.
On oublie souvent que cette communauté peule compte environ 20 millions de ressortissants disséminés dans toute l’Afrique de l’Ouest. Qu’elle est aussi la dernière communauté à avoir fait une conquête au nom du djihad islamique dans cette région (aux côtés d’Al-Haj Oumar Tall, illustre conquérant du XIXe siècle). Que pour cela, elle est restée profondément imprégnée par le radicalisme religieux.
La fusion de ces mouvements doit être lue à plusieurs niveaux. C’est d’abord la confirmation que ces mouvements sont encore très actifs dans la région. Ils ont la capacité de coordonner, de se réunir et de décider la stratégie à suivre. De menacer aussi les Etats et leurs armées déployées dans la région.
Embrasement général
Les activités de ces groupes ne se limitent plus aux opérations dans le nord du Mali, mais s’étendent vers le Burkina Faso, deviennent plus fréquentes au Niger et visent la Côte d’Ivoire, bientôt la Guinée et pourquoi pas le Sénégal. La mutualisation de l’expérience et des capacités de nuisance des mouvements djihadistes ne peut qu’inquiéter la France et les pays de l’espace sahélo-saharien.
Le choix d’Iyad Ag-Ghali comme chef du nouveau mouvement et la présence d’Amadou Koufa attestent de l’existence d’un ancrage populaire du mouvement dans le tissu social. Représentatifs de leurs communautés respectives – Touaregs et Peuls -, les deux hommes trouvent ainsi la possibilité de faire la démonstration qu’ils sont incontournables. Surtout que l’annonce de la fusion arrive au moment où le Mali tente d’installer de nouvelles autorités dans les provinces du nord dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Alger.
Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dirigé par Iyad Ag-Ghali se présente donc comme le plus grand rassemblement de djihadistes de la région. Ce qui le prépare à récupérer ce qui restera du théâtre libyen et pourquoi pas à recycler les combattants de l’Etat islamique fuyant la Syrie et l’Irak.
Mais cette fusion ne prend un sens que si elle est scellée par un acte d’envergure. C’est pourquoi il faut craindre le pire dans les semaines à venir. Soit l’occupation d’un grand centre urbain du Mali, soit une opération spectaculaire dans un pays de la région encore épargné. Suffisant pour acter la naissance du mouvement et faire la démonstration de l’échec de la stratégie adoptée par la France et ses alliés. Surtout que le djihad sert désormais à légitimer les velléités communautaristes attirant de plus en plus de jeunes frustrés par les traitements subis par leurs ensembles ethniques et/ou tribaux. La région sahélo-saharienne n’est plus à l’abri d’un embrasement général. A qui la faute ?