On a testé… « Nier Automata », le jeu vidéo qui mélange « Terminator » et Malraux
On a testé… « Nier Automata », le jeu vidéo qui mélange « Terminator » et Malraux
Par Daniel Andreyev
Ce jeu d’action et de tir met en scène une héroïne androïde en costume inspiré d’une soubrette gothique, dans une aventure où l’on cite tout autant « Ghost in the Shell » que Jean-Paul Sartre. Fou et merveilleux à la fois.
Dans un futur lointain et dystopique, 2B est une androïde chargée de nettoyer la Terre des robots extraterrestres qui l’ont rendue inhospitalière. La planète n’est plus qu’un champ de ruine lugubre. Le reste de l’humanité se cache quelque part sur la Lune, réduite à l’état de secte groupusculaire. 2B ne ressent rien, tandis que son partenaire, Jean-Paul, essaye de comprendre les sentiments humains, d’où les dialogues éthiques et parfois sidérés de ce duo improbable.
Jean-Paul est un robot-vestige. On le rencontre dans un village de robots intelligents et pacifistes, situé à côté d’un parc d’attractions que l’on atteint en traversant une forêt. Il est l’objet d’une quête complètement subalterne, où l’on doit courir lui ramener les cadeaux de ses admiratrices robots. Et il répond avec des phrases existentialistes. Un peu poseur et complètement à côté de la plaque, ce « Sartre » robotique symbolise toute la beauté de cette expérience.
Tous les éditeurs n’osent pas forcément transformer leur bon gros jeu d’action en réflexion mélancolique et méta sur le devenir du genre humain. Plus que Sartre, c’est La Condition humaine que Nier Automata, sorti le 10 mars sur PlayStation 4 et à sortir sur PC, cite. Imaginez un reboot de Terminator réécrit par Malraux. C’est bon, vous y êtes.
Voilà les bases de Nier Automata, l’œuvre de Yokô Tarô, excentrique et très timide, qui porte un masque grotesque à chacune de ses apparitions et de ses interviews. Son jeu lui ressemble. Peut-être qu’ils sont un peu fous, lui autant que son œuvre.
NieR: Automata – "Death is Your Beginning" Launch Trailer | PS4
Durée : 02:15
Impression de grandeur
Dans le monde du jeu vidéo, on aime la nostalgie, particulièrement quand elle implique une œuvre méconnue en son temps. Oublié des critiques, le premier Nier est devenu culte simplement par le bouche-à-oreille. C’est un de ces jeux qui ne se donne pas facilement, qui demande que l’on y plonge à plusieurs reprises pour l’explorer à fond et qui change au fur et à mesure de son expérience.
Sa suite spirituelle (qui ne nécessite absolument pas d’avoir joué au précédent) ne donne jamais réellement ce que recherche le joueur. Ce qui est acquis, en revanche, ce sont d’autres ambitions et une finition bien meilleure. On pense particulièrement aux musiques parfois surréalistes puisant dans les chœurs et les chants d’enfant, accompagnés d’instruments tout autant que de techno. Après tout, c’est logique, le jeu se transforme souvent.
Le système de jeu bascule avec aisance entre une mécanique de jeu d’action et de tir. Normal, à la mécanique on retrouve les génies de Platinum Games, à qui l’on doit Bayonetta et Metal Gear Rising Revengeance. Ce qu’ils savent faire, ce sont des combats qui ressemblent à des ballets, fluides, virevoltants et même grisants quand on commence à esquiver les attaques ennemies. Leur science du corps-à-corps, de l’arme blanche en jeu vidéo fait merveille ici, un peu plus accessible que par le passé mais quand même pleine de subtilité.
Le jeu jouit par ailleurs d’une impression de grandeur, créant parfois des boss de fin de niveau et des environnements aux échelles démesurées. Souvent inférieur en service commandé, le studio d’Osaka s’en donne à cœur joie. Ce coup-ci, le contrôle qualité est optimal. La touche Square Enix, c’est le fond de RPG (jeu vidéo de rôle), omniprésent quand il s’agit de permettre à son héroïne de passer des niveaux, customiser son arme ou le pod qui accompagne chacun de ses pas.
L’aventure va se recréer, ajouter différentes nuances à chaque fois. | Platinum Games
Une histoire, de multiples fins
Un jeu signé Yokô Tarô, c’est aussi la garantie d’une histoire polymorphe, qui va changer à chaque fois qu’on le refait. Du haut de ses vingt-six fins potentielles, l’aventure va se recréer, ajouter différentes nuances à chaque fois. Traversé une première fois en une quinzaine d’heures, Nier Automata n’apporte que peu de réponses. Certaines fins ouvrent des pans entiers d’histoires et de nouveaux chapitres.
Une deuxième aventure va peut-être proposer des manières complètement différentes de venir à bout de ses ennemis, de les pirater ou encore d’incarner un autre personnage. Chaque épée récupérée, chaque lance ramassée au cours de l’aventure a sa propre histoire à débloquer. C’est tellement extrême qu’une option d’autodestruction existe dans l’inventaire, mettant immédiatement fin à l’histoire dans l’instant.
Nier ose tout, et c’est à ça qu’on le reconnaît. Le joueur a la possibilité de mettre son androïde en mode automatique, que ce soit pour la visée, le combat ou les soins, et de se contenter d’apprécier le récit pour ce qu’il est. Sa force est de laisser le joueur choisir, et de sélectionner les éléments qu’il aime le plus, lui apportant la satisfaction de découvrir lui-même ses secrets.
A aucun moment Nier Automata n’oublie qu’il est un jeu, laissant place à une forme d’humour qui évite de sombrer dans la morosité. Soyez certain que 2B va vous donner son avis sur votre manière de faire. Le fameux quatrième mur, celui de l’écran, se brise à chaque instant.
En jouant avec ses propres fins, Nier Automata réussit à faire en sorte qu’elles ne soient, justement, jamais vraiment finales. Il n’y a pas de happy ending paresseux, juste une solution en pointillé, à recomposer soi-même avec les parties. C’est une forme de radicalisme que seuls des chefs-d’œuvre comme Xenogears ont eu l’audace de proposer. Car Nier Automata est aussi une compilation de toutes les bonnes raisons pour lesquelles on aimait les grandes productions japonaises de l’ère PlayStation 1 et 2.
Il y a certes une certaine frustration à faire des allers-retours dans ces abîmes, dans ses décors postapocalyptiques vides. Mais s’offusquer de cela, c’est oublier tout le reste, la qualité d’écriture, l’incroyable quantité de choses à débloquer, la musique ou la customisation qui permet de transformer l’expérience à sa guise.
Nier Automata est une œuvre improbable, une véritable élégie sur fond de Terre abandonnée où l’on incarne une machine prise entre les dilemmes éthiques. C’est un mariage improbable d’humour et de tristesse, d’alternance de joie et de peine, où chaque réponse ne correspond jamais à la question qu’on se posait.
Aucun jeu depuis Metal Gear Solid 5 ne s’est autant mis en danger en permanence. On peut très facilement passer à côté ou y être hermétique. Mais comme disait justement Jean-Paul Sartre : « Ce qui est terrible, ce n’est pas de souffrir ni de mourir, mais de mourir en vain. » En prenant des risques, Nier Automata s’est assuré que tous ses efforts ne seraient pas vains – au moins pour les joueurs qui accepteront son pacte étrange.
L’avis de Pixels
On a aimé :
- L’histoire, génialement méta
- Le design hallucinant, les musiques de folie
- Les combats hyperdynamiques
- Une profondeur sidérante et complètement optionnelle
- La mélancolie absolue du jeu
On a moins aimé :
- Des longueurs, ça et là
- Les murs invisibles
C’est plutôt pour vous si :
- Vous aimez passer des heures entières à expérimenter toutes les fins
- La désolation ne vous pèse pas
- Vous aimez l’exploration des ruines urbaines
- Vous aimez monter à dos d’élan
Ça n’est pas pour vous si :
- Vous n’aimez pas les allers-retours ni la répétition
- Vous aimez les œuvres simples, à une seule lecture
- Vous déprimez, c’est aussi drôle que tragique
La note de Pixels :
2001/2112, L’Odyssée de l’espace.