« Pline », ou l’homme face aux désastres naturels
« Pline », ou l’homme face aux désastres naturels
Par Pauline Croquet
A la fois critique de la société contemporaine et formidable voyage dans l’Antiquité romaine, le manga « Pline » est aussi une métaphore de la triple catastrophe de 2011 au Japon.
Le séisme et le tsunami, suivis de la catastrophe nucléaire survenus au Japon en mars 2011, ont fortement inspiré de nombreux auteurs de mangas, qu’il s’agisse de science-fiction ou d’œuvres plus sociétales. Avec Pline, c’est par le prisme de l’histoire antique et d’une libre biographie du naturaliste romain éponyme, que Mari Yamazaki et Tori Miki abordent ce fléau qui a causé des dizaines de milliers de morts et dont leur pays, six ans plus tard, ne s’est pas encore remis.
Des phénomènes du quotidien
Ainsi, les premières cases de cette série ouvrent sur l’impressionnante éruption du Vésuve qui ravagea Pompéi en 79. « A la vérité, ce qui s’est passé en mars 2011 est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu commencer ce manga. Pour nous, Japonais, les éruptions et séismes sont des phénomènes avec lesquels nous vivons au quotidien, explique l’auteure Mari Yamazaki, lors de leur venue au festival de BD d’Angoulême fin janvier. J’ai fait moi-même l’expérience d’une éruption volcanique, Tori [Miki] celle d’un séisme… J’aurais la prétention de penser que les auteurs japonais sont peut-être les plus à même de décrire ces phénomènes naturels en manga. »
©Shinchosha / Casterman
La Rome antique est le décor de prédilection des mangas de Mari Yamazaki, qui aime à dépeindre et critiquer la société japonaise. Dans Pline, elle adresse aussi quelques clins d’œil à l’actualité occidentale en caricaturant brièvement Donald Trump et Hillary Clinton lors d’une élection à Pompéi dans un chapitre à venir de la série.
D’abord scientifique et historien de la nature, Pline était aussi un personnage marqué par la politique de son temps. « Il s’exprimait sur le monde, mais contrairement à un Trump par exemple, il émettait des opinions uniquement après les avoir consciencieusement vérifiées », défend Mari Yamazaki.
Exploiter le manque d’éléments historiques
Electron libre de l’industrie du manga installée en Italie, Mari Yamazaki s’est fait connaître avec sa série à succès Thermae Romae. Ne voulant pas s’enfermer dans un registre comique, elle a préféré cette fois sortir des contraintes de la comédie pour imaginer la vie du naturaliste, contemporain de l’empereur tyrannique Néron. Tout en conservant une documentation précise du quotidien de l’époque et un sens des dialogues savoureux qui siéent très bien à l’écrivain romain.
« Il nous reste de Pline que son Histoire naturelle, qui est un texte monumental, mais de sa vie personnelle et privée on sait extrêmement peu de chose. En tant qu’auteurs, c’est une brèche dans laquelle on a sauté les deux pieds joints parce qu’il y avait une grande part d’imagination. On se l’est permis d’autant qu’il n’y aurait personne, aucun écrit, pour vous dire que ce qu’on écrivait était faux ou historiquement pas vraisemblable. » Autant de blancs dans la vie du héros qui vont lui permettre d’insuffler du mystère et des péripéties.
©Shinchosha / Casterman
Pour cette nouvelle série, la mangaka a souhaité collaborer avec Tori Miki, dessinateur atypique porté sur le fantastique et chantre de la culture alternative au Japon, dont elle est très complice. « De par mon parcours et ma vie à l’étranger, même si je reviens régulièrement, je m’entends souvent dire que je ne suis plus japonaise. Quand je parle avec Tori Miki, je ne me sens pas renvoyée à cette différence, étrangeté là », explique-t-elle.
Moins féru d’Antiquité que Mari Yamazaki, Tori Miki est le gardien d’une histoire rythmée, destinée même à ceux qui ne sont pas passionnés par cette époque.
Une collaboration peu conventionnelle
Dans ce travail perpétuel, à quatre mains et à distance entre l’Italie et le Japon, les deux amis veillent à ce que le lecteur ne puisse distinguer sur les planches la patte de deux artistes. « Si Pline avait été publié chez un éditeur de mangas classique cela aurait été sans doute très difficile d’imposer cette manière de travailler qui est la nôtre. Sauf qu’il est prépublié dans un magazine généraliste culturel [Shinchô 45]. C’est pour ça qu’on peut dessiner sans être contraint par les règles qui prévalent dans les règles du manga, à savoir celles d’un maître avec ses assistants », estime Tori Miki.
Les mangakas Mari Miyazaki et Tori Miki. | ©Shinchosha
Cette collaboration peu conventionnelle dans le milieu de l’édition japonaise a permis de donner à Pline des décors détaillés et soignés, traités sur un pied d’égalité avec les personnages. Comme si la nature figurait au casting principal.
« Pline est une façon de voir comment les hommes prennent conscience de leur fragilité et vivent avec l’imminence d’une catastrophe naturelle, que ce soit il y a deux mille ans ou aujourd’hui. Dans tous les cas, c’est la nature qui décide, qui a le dernier mot », affirme Mari Yamazaki. C’est d’ailleurs une catastrophe qui prendra la vie de Pline : « Il avait une curiosité insatiable et il est mort de cette curiosité pour l’éruption du Vésuve. Alors que tout le monde fuyait, lui se rapprochait, ce qui lui a coûté la vie. »
Pline, tomes I et II, de Mari Yamazaki et Tori Miki, Casterman Sakka, sortie le 18 janvier, 200 pages, 8,45 euros.