Un premier barrage contre l’obésité dans le Pacifique
Un premier barrage contre l’obésité dans le Pacifique
M le magazine du Monde
Pour lutter contre ce fléau qui touche près de 50 % de la population des îles du Pacifique, une province de l’archipel du Vanuatu a décidé de limiter les aliments importés et de privilégier l’alimentation locale.
Selon l’OMS, les îles du Pacifique sont en tête des pays avec la plus importante proportion d’obèses. Ici, à Nouméa, en 2014. | Théo Rouby/AFP
C’est peu dire que les îles Torba sont isolées. Elles forment la plus septentrionale des six provinces du Vanuatu, dans le Pacifique. On parle parfois de la « province oubliée ». Ce n’est pas forcément un mal, à en croire Luc Dini, le président du conseil du tourisme. « Les habitants de Torba observent les erreurs des régions plus développées et en tirent des leçons », expliquait-il récemment au journal The Vanuatu Independent.
Alors que la plupart des îles du Pacifique, où vivent environ 10 millions de personnes, ont sombré dans la malbouffe et l’obésité, Torba, jusqu’ici plutôt préservée, a décidé de mettre l’accent sur la prévention. Luc Dini raconte avoir vu ailleurs trop de personnes amputées à cause du diabète et trop de petites filles aux dents pourries pour avoir mangé des sucreries.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les dix pays comptant la plus importante proportion d’obèses sont des îles du Pacifique. Pour que Torba ne vienne pas allonger cette liste, de nouvelles règles commencent à être mises en place. Le principe : limiter les aliments importés en faveur des produits locaux. L’agriculture de subsistance est déjà bien développée à Torba. Priorité est donnée aux poissons, aux crabes des cocotiers, au manioc, aux ananas etc. Au placard, les nouilles en paquet, les conserves de poisson, les sodas, les barres chocolatées…
La décision commence à s’appliquer ces jours-ci dans les établissements touristiques et lors des réceptions du gouvernement local. Torba compte près de 10 000 habitants et un millier de visiteurs par an. À terme, la province veut bannir l’importation de junk food. La mesure, qui nécessitera l’accord du gouvernement national, à Port-Vila, ne devrait pas être appliquée avant plusieurs années.
Les experts de la santé saluent l’initiative. « C’est excellent : cela envoie un message clair aux citoyens. Si les mauvais produits ne sont plus disponibles, cela les aidera évidemment à changer leur alimentation », s’est félicitée Elaine Rush, professeure à l’université de technologie d’Auckland (Nouvelle-Zélande), spécialisée dans la nutrition. « D’autres îles scrutent ce qui se fait à Torba. Si ça marche, certaines pourraient suivre l’exemple », estime Wendy Snowdon, qui travaille pour l’OMS aux Fidji.
Le Pacifique, région très pauvre, est en quête de solutions car dans de nombreuses îles, selon l’OMS, plus de 50 % de la population est obèse. C’est notamment le cas des îles Cook, de Nauru, de Palau ou de Samoa. En comparaison, aux États-Unis, ce pourcentage est de 34,9 %. En Nouvelle-Zélande, où 28 % des habitants d’origine européenne sont obèses, la proportion s’élève à 70 % pour les hommes originaires des îles du Pacifique.
« La situation est grave et l’obésité continue de progresser », déplore Marj Moodie, économiste de la santé à l’université Deakin, en Australie. Comme ailleurs dans le monde, les raisons sont multiples, selon les experts. Mais il y a une spécificité à cette région : « En quelques décennies seulement, les petites îles du Pacifique ont changé radicalement de mode de vie. Les habitants sont passés d’une vie traditionnelle, où l’on mangeait des produits locaux, à une vie urbaine, où l’on accède plus facilement à des aliments transformés », plus sucrés, plus gras, explique Wendy Snowdon.
Les dangers pour la santé sont nombreux, au premier rang desquels le diabète. Dans plusieurs îles, comme à Nauru, près d’un tiers de la population est atteint de cette maladie, contre 9 % aux États-Unis. « Les données qui nous parviennent de certaines îles montrent que l’espérance de vie n’augmente plus. Les maladies non transmissibles, dont le diabète, la feraient même baisser dans certaines zones du Pacifique », explique Wendy Snowdon. « Le diabète gestationnel est en augmentation, en partie parce que l’obésité chez les jeunes femmes croît », déplore Elaine Rush. Dès la naissance, il y a désormais un risque accru d’obésité et de diabète pour les enfants du Pacifique.