ISABEL ESPANOL

« Un passage à la machine, essorage compris. » C’est ainsi que l’étudiante ­Viviane Lipskier et certains de ses camarades de promotion définissent, en plaisantant, l’Executive MBA qu’ils sont en train de terminer à l’Institut français de la mode (IFM).

Dix-huit mois de cours intensifs, de travaux de groupe sans discontinuer, de déplacements à l’étranger, de téléphone qui tintinnabule au gré des notifications WhatsApp. Dix-huit mois dont la quadragénaire sort rincée, mais heureuse…

Tout comme son conjoint, pas mécontent de voir la formation se terminer. Car sur le plan conjugal comme familial, le MBA n’a rien d’anodin. Pourtant, le choix de se lancer dans l’aventure a souvent été discuté en amont.

Pour les candidats, le timing semble souvent favorable. Viviane Lipskier s’engage dans son MBA alors que trois des quatre enfants de sa famille recomposée, qui habitent jusque-là sous son toit, quittent le nid.

Jacques Rossard entame le sien à Paris-I-Sorbonne alors qu’il songe à une expatriation en Australie. Pour Mahina Djenno-Billard, cadre chez L’Oréal, le moment semble également idéal pour commencer un Executive MBA à l’IFM : « J’étais arrivée à la fin d’un cycle dans mon travail. Sur le papier, m’engager dans ce projet me paraissait extrêmement bénéfique. »

Associé au projet, le conjoint se montre souvent aidant. « Au début, se souvient Viviane Lipskier, je demandais à mon ami et à mon fils de m’aider. Mes PowerPoint n’étaient franchement pas terribles, ils me donnaient un coup de main. »

Un sentiment d’exclusion

Il n’empêche : entre la projection et la réalité, il existe souvent un fossé que les couples n’avaient pas imaginé devoir enjamber. Dans le cas de Mahina Djenno-Billard, l’actualité s’en est mêlée. Son mari travaille au 36, quai des Orfèvres et son MBA à l’IFM débutait, peu ou prou, au moment des attentats parisiens de 2015. « Lui n’était pas beaucoup là, moi non plus, se souvient-elle. Du coup, on culpabilisait et on avait facilement tendance à rejeter la faute sur l’autre. »

Car aux cours s’ajoute une charge de travail personnel souvent dense. Après la journée de travail classique, il faut se remettre à plancher. Ce que l’autre ne comprend pas toujours.

En MBA à Paris-I-Sorbonne, Jacques Rossard a eu du mal à faire comprendre à sa femme qu’il ne pouvait pas regarder le film du soir avec elle. Bilan : « Je regardais le film et je travaillais après. D’où de la fatigue et donc du stress… » D’autant que sa fille aînée est née quelques mois après le début de ses cours.

« Allez expliquer à votre conjoint que vous travaillez alors que vous postez sur les réseaux sociaux des photos de fête ! », commente Viviane Lipskier, ancienne étudiante MBA à l’Institut français de la mode

Parce qu’il favorise les travaux en groupe, le MBA crée une collégialité très forte entre ses membres. Si cette fraternité aide à tenir, le conjoint peut facilement se sentir exclu. Groupes WhatsApp, sessions sur Skype en soirée : les travaux menés en commun empiètent parfois sur la vie conjugale. « Mais vous sortez ou vous bossez ? », s’interrogeait l’ami de Viviane Lipskier quand celle-ci partait pour travailler sur les projets de groupe.

Sans compter les sessions à l’étranger. « C’est un peu la colo, admet la quadragénaire, dont la promo est partie, notamment, à New York et à Hongkong. Et allez expliquer à votre conjoint que vous travaillez alors que vous postez sur les réseaux sociaux des photos de fête ! » Pour éviter l’incompréhension, elle a choisi d’associer son ami à l’aventure : « Il m’a accompagnée à New York ! »

Peu de temps à consacrer aux enfants

Reste à composer avec les enfants. Qu’ils soient grands ou petits, la chose n’est pas forcément aisée. En Executive MBA à HEC, Olivier Decrouille reconnaît ne pas avoir eu assez de temps, ces derniers mois, pour ses deux enfants de 6 et 8 ans : « C’est sûr, admet-il, on est moins présent physiquement et mentalement. Avec mes cinq groupes de travail sur WhatsApp, j’avais plus l’œil sur mon téléphone que sur leurs devoirs… »

Mahina Djenno-Billard se souvient encore de ses appels Skype nocturnes qui réveillaient son fils de 18 mois. Et d’une virée à Disneyland effectuée lors d’une escale de trois jours à Paris, qu’elle a réussi à glisser entre un déplacement professionnel à Tokyo et son voyage de MBA à Hongkong. Sa mère et sa belle-mère ont aussi été mises à contribution pour assurer la garde de son fils.

Etudiante à Milan, la fille de Viviane Lipskier a eu du mal à comprendre que sa mère ne soit pas forcément disponible quand elle revenait en France. Et puis, avoir une maman à l’école alors qu’on y est soi-même… « La comparaison n’est pas forcément souhaitable », résume Viviane Lipskier.

« Dimension thérapeutique » et catalyseur

« Je ne sais pas si on peut se préparer à l’épreuve du feu qu’est un MBA, estime Mahina Djenno-Billard. Une chose est sûre : c’est un catalyseur. Si le couple est vacillant au départ, le MBA peut le faire exploser. » Le sien a tenu le choc.

Pas celui de Jacques Rossard. Si, avec son épouse, ils se sont séparés sept ans après le diplôme, le quadragénaire estime que cette phase a contribué à les éloigner. « Au moment du divorce, le sujet du MBA est revenu sur la table », se souvient-il.

Pour Viviane Lipskier, les quelques difficultés organisationnelles ont fait place à un bénéfice individuel qui irrigue jusqu’à la vie domestique : « Durant ces dix-huit mois, on se découvre soi-même, dit-elle. Certes, vous êtes sous l’eau, mais il y a une vraie dimension thérapeutique. Mon conjoint me trouve plus sereine, j’ai appris le lâcher-prise. Quand il y a du ­positif pour l’un d’entre nous, toute la famille en bénéficie. Cela a d’ailleurs incité mon frère, en fatigue professionnelle, à se lancer dans l’aventure. »

Olivier Decrouille, pour sa part, reconnaît s’en être bien sorti : « Cela fait vingt ans que ma femme et moi sommes ensemble. On peut encaisser pas mal de choses. Le véritable enjeu se situe tout compte fait avant. Comment évoque-t-on en amont ce projet avec l’autre ? Qu’est-ce que cela représente pour celui qui se lance ? Finalement, le MBA parle aussi de la qualité de la communication dans le couple. »

Faisant la nique aux Cassandre, il a même poussé l’audace encore plus loin : il attend son troisième enfant pour dans quelques mois. Un bébé MBA, en somme.

Un supplément et un salon du « Monde » pour tout savoir sur les MBA

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