Au Sénégal, ce nouveau calife des tidjanes qui tance une classe politique « querelleuse »
Au Sénégal, ce nouveau calife des tidjanes qui tance une classe politique « querelleuse »
Par Marie Lechapelays, Salma Niasse (contributrice Le Monde Afrique, Dakar)
Serigne Abdoul Aziz Sy redoute que les luttes partisanes mènent le pays à la « guerre civile ». Lors de son premier discours, il a aussi apporté son soutien au maire de Dakar.
Enfoncé dans son fauteuil de cuir rouge, le nouveau guide spirituel des tidjanes est à l’aise dans son rôle d’orateur. Serigne Abdoul Aziz Sy, 89 ans, aussi appelé Al-Amine (« l’honnête »), vient de prendre les rênes de la confrérie tidjane après la mort de son frère aîné, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, à l’âge de 91 ans dans la nuit du 15 mars.
Trois jours plus tard, à Tivaouane, fief de la confrérie situé à 90 km de Dakar, le nouveau calife général des tidjanes s’exprime devant un parterre de religieux et de leaders politiques de bords opposés, dont Idrissa Seck, le président du parti d’opposition Rewmi, mais aussi des représentants de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakar, avec à sa tête Mor Ngom ou encore Me Oumar Youm, le directeur de cabinet du président sénégalais. Une délégation a également été envoyée par le roi Mohammed VI du Maroc.
Le nouveau calife doit rassembler, rassurer. Pourtant, ses premiers mots sont inquiétants :
« Si ce que nous redoutons tant survient, le pays sera sens dessus dessous. Il n’y aura plus de pouvoir encore moins de partis politiques. Les gens s’entretueront », dit-il.
Des mots forts. Le décor est posé. Le chef religieux ne se cantonnera pas à la vie de la confrérie musulmane la plus présente en Afrique de l’Ouest. Car son allocution fédératrice pour « la réconciliation des cœurs et des esprits » prend rapidement un ton accusateur, notamment à l’encontre des hommes politiques sénégalais, qui « s’alimentent de querelles et d’invectives », les sommant de respecter leurs opposants et les règles démocratiques.
« Il faut revenir à une pratique orthodoxe de la politique. Mettre de côté les injures, la médisance, la calomnie, le bavardage inutile, les accusations gratuites. Car si les acteurs politiques ne cessent pas les invectives et autres attaques verbales entre eux, cela pourrait nous conduire à la guerre civile, comme c’est actuellement le cas dans bien des pays arabes », a tonné le calife.
Certains dans l’assistance ont cru comprendre entre les lignes que Serigne Abdoul Aziz Sy parlait de l’affaire qui secoue le pays depuis deux semaines : celle du maire de Dakar, Khalifa Sall, incarcéré depuis le 7 mars 2017, accusé par la justice de « détournement de fonds publics ». Quelques jours plus tôt, alors que son frère calife était encore en vie, celui qui n’était encore que le porte-parole de la confrérie avait demandé au chef de l’Etat « d’accorder le pardon à Khalifa Sall ». Le maire, lui-même tidjane, est un proche de la famille Sy, à laquelle il est lié par son épouse.
Message reçu
Depuis ce discours, Tivaouane voit défiler les personnalités. A l’instar de Macky Sall, le chef de l’Etat, bon nombre de leaders politiques comme Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du Parti socialiste (PS), l’imam Mbaye Niang, chef du Mouvement de la réforme pour le développement social (MRDP), ont fait le déplacement pour présenter leurs condoléances à la famille du défunt calife.
Les hommes politiques ont reçu le message. « Les tensions répétées et non gérées ne débouchent que sur la violence, retient Idrissa Seck de la mise en garde du calife. C’est une responsabilité que nous partageons. C’est un appel que nous accueillons respectueusement ». Mor Ngom, leader de la délégation de Benno bokk Yaakaar, a affirmé que l’appel à l’unité « a fait plaisir » au camp de Macky Sall, et que le pouvoir en place doit « œuvrer pour l’émergence du peuple sénégalais », sans pour tant relever le soutien du calife au maire de Dakar, perçu comme un adversaire potentiel du chef de l’Etat sénégalais à la présidentielle de 2019.
« La volonté divine, a poursuivi le proche du président, nul ne peut s’y soustraire et Macky Sall est le président de tous les Sénégalais. Nous lui devons respect parce que c’est l’institution, nous lui devons aussi le support parce que nous sommes Sénégalais, et nous devons tous travailler ensemble dans la même direction. »
Les prochains épisodes de l’affaire Khalifa Sall, et plus généralement la préparation de la campagne des législatives de juillet, diront quel impact aura eu l’appel du nouveau calife des tidjanes. Le maire de Dakar, pour l’instant détenu à la prison de Rebeuss, est à nouveau convoqué par le juge jeudi 23 mars. Lui et son directeur financier Mbaye Touré seront confrontés à des agents du Trésor. A l’issue de ces auditions, les avocats du maire ont l’intention de demander sa mise en liberté provisoire.