La ministre des familles, Laurence Rossignol, voudrait interdire l’accès aux sites pornographiques pour les mineurs. | Le Monde.fr

Laurence Rossignol éclaire la salle d’un sourire satisfait. Parmi toutes les propositions qui viennent de lui être soumises au terme des « sessions créativité » qu’elle a organisées mardi 21 mars, la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes semble persuadée que se cachent celles qui feront bouger les choses. Celles qui permettront de tenir les mineurs à l’écart de tout contenu pornographique.

Depuis plusieurs semaines, elle ne cesse en effet de réaffirmer son ambition en ce sens : d’abord dans un entretien vidéo, puis en publiant une feuille de route intégrée dans le Plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants.

Elle est, dans ce combat, soutenue par plusieurs associations, dont Osez le féminisme. Dans un communiqué, cette dernière a réagi à une étude de l’IFOP, rendue publique lundi 20 mars. Les résultats (qui démontrent notamment que de plus en plus d’adolescents sont exposés à la pornographie et ce, de plus en plus jeunes) sont jugés « alarmants » par l’association. « Quand on sait que près d’un(e) adolescent(e) sur deux estime que les vidéos pornographiques qu’il ou elle a vues au cours de sa vie ont participé à l’apprentissage de sa sexualité, on ne peut que s’alarmer. »

Donner son code de carte bleue pour prouver sa majorité

Encore restait-il à déterminer les méthodes pour empêcher les plus jeunes d’accéder à la pornographie. Pour ce faire, c’est quelques dizaines de chercheurs, juristes et membres d’associations que Laurence Rossignol a réunis dans un espace de travail partagé du 2e arrondissement de Paris. A la nuit tombée, des « rapporteurs » se sont chargés de résumer leurs discussions. De nombreuses propositions s’en sont dégagées.

Certaines sont plutôt du côté des normes, et du juridique. C’est le cas d’une éventuelle généralisation du contrôle parental, qui pourrait être activé « par défaut » sur « tout site qui serait basé en France ou en Europe ». Pour ne pas y être soumis, il faudrait prouver que l’on est majeur, en donnant son numéro de carte bleue, ou même… Son numéro de Sécurité sociale – Laurence Rossignol nous confiera plus tard qu’elle n’envisage pas de concrétiser cette dernière option.

Une autorité de régulation, spécialement créée pour cette tâche, serait ensuite chargée de vérifier que les règles sont bien appliquées, et que chacun respecte ainsi le code pénal, qui interdit d’exposer une personne mineure à un contenu pornographique.

L’accent mis sur la prévention

Les mêmes rapporteurs ont évoqué des « campagnes de prévention » massives, que les pouvoirs publics pourraient mener. Elles pourraient être diffusées en « négociant avec les réseaux sociaux un espace dédié sur leurs sites », ou via une plateforme de « contre-discours » à destination des enseignants, parents et enfants.

On trouve aussi du côté de la prévention un dénommé « plan à l’éducation sexuelle numérique ».

« Il s’agit de déconstruire les discours véhiculés par l’industrie du porno, avec un travail de présentation de l’envers du décor par exemple. On pourrait penser à des témoignages, ça marche très bien en général. Bon, bien sûr, ils devront être adaptés [au public]. »

Une rapporteuse fait quant à elle mention d’un « jeu de rôle » mettant en scène des situations concrètes. « On pourrait y introduire des notions qui ne sont pas abordées dans les films pornographiques comme celles de plaisir et de consentement », propose-t-elle.

Parce que tout ceci coûterait potentiellement cher à mettre en place, le groupe de travail préconise de faire de la protection de l’enfant vis-à-vis des contenus pornographiques une « grande cause nationale ». Au premier rang, Laurence Rossignol hoche la tête.

La nécessité d’une « volonté politique durable »

C’est à elle que revient ensuite la tâche de clôturer cette journée, durant laquelle ont parfois fusé des idées des plus insolites (comme celle d’obliger les parents à regarder avec leur enfant des films pornographiques, lorsque celui-ci en fait la demande). Dans un bref discours ponctué de remerciements, la ministre est revenue sur la nécessité de « toujours associer les politiques normatives aux politiques de répression et de sanction ».

« Il faut les concevoir de manière articulée, car certains [outils] ne marchent pas pour tout le monde. Dans mes fonctions de responsable politique, j’ai par exemple pu observer que ceux qui sont les plus sensibles aux campagnes de prévention que l’on mène, ce sont déjà ceux qui sont le mieux informés. »

La ministre a aussi rappelé qu’il serait très difficile, sans une « volonté politique durable », de faire face à certains de ses détracteurs. On y trouve certains pays européens, « ceux qui hébergent des tournages de films X qui font gonfler leur produit intérieur brut », mais aussi un certain nombre de défenseurs des libertés numériques, notamment fermement opposés à l’idée de demander aux adultes leur numéro de carte bancaire.

Le « devoir de protection des enfants » avant tout

A ces derniers, Laurence Rossignol réserve un discours sans équivoque. « Il ne faut pas croire que c’est un prétexte à restreindre la liberté des adultes, pour qui par ailleurs le droit à la pornographie n’a jamais été érigé en droit fondamental, a-t-elle ainsi confié au Monde. Simplement, les [majeurs] doivent parfois accepter que le devoir de protection des enfants passe avant d’autres choses ».

Lorsqu’on lui demande où en sont les discussions avec ces groupes de défenseurs des libertés numériques, la ministre poursuit avec le même ton désabusé : « Pour le moment, je ne les ai pas eus sur le sujet. Je sais tout le mal qu’ils pensent [de ce projet], mais pas un ne m’a proposé de solution alternative. »

Quant à ceux qui militent en faveur de la liberté pour les mineurs de consulter des sites pornographiques, Laurence Rossignol est claire. Elle n’envisage même pas de compromis avec ces militants qu’elle considère comme influencés par « des lobbys de l’industrie » du X. « Ce “droit des enfants”, il m’échappe un peu. Ce n’est pas un sujet », conclut-elle. Un autre groupe de travail devrait être organisé prochainement.