Ce que contient le livre « Bienvenue Place Beauvau », cité par Fillon
Ce que contient le livre « Bienvenue Place Beauvau », cité par Fillon
Par Franck Johannès
L’ouvrage, évoqué par le candidat jeudi pour dénoncer un « scandale d’Etat », met en lien des événements souvent déjà connus, pour construire une machine à soupçons.
Un exemplaire du livre « Bienvenue Place Beauvau » par Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbe, au salon du livre de Paris. | CHARLES PLATIAU / REUTERS
Bienvenue Place Beauvau, police : les secrets inavouables d’un quinquennat, d’Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé (Robert Laffont, 246 p., 19,50 euros) s’inscrit dans la lignée d’un précédent ouvrage des trois mêmes auteurs, chez le même éditeur, L’espion du Président : au cœur de la police politique de Sarkozy (2012), dont il reprend d’ailleurs plusieurs passages. Les auteurs – deux d’entre eux travaillent au Canard enchaîné, Olivia Recasens est journaliste indépendante –, mettent systématiquement en lien des événements, souvent déjà connus, pour construire une machine à soupçons, qui n’est jamais très loin des théories conspirationnistes et qui fait douter qu’il puisse exister un seul policier républicain. L’ouvrage a naturellement plu à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, qui en a fait sa « une » le 23 mars et en a publié « les bonnes feuilles », sans doute une première pour Le Canard enchaîné.
François Hollande a-t-il mis en place un cabinet noir ?
« Le retour aux affaires de ces [policiers] chiraquiens [par François Hollande] nourrit bien évidemment le soupçon sarkozyste de l’existence d’un cabinet noir, relèvent les auteurs. Il n’est pas possible d’en apporter la preuve formelle. Comme il n’est pas possible de prouver le contraire ! Mais l’addition d’indices troubles et de témoignages étonnants interroge. Plusieurs observateurs bien placés dans l’appareil policier nous ont ainsi décrit par le menu l’existence d’une structure clandestine, aux ramifications complexes, et dont le rayon d’action ne serait pas cantonné au seul renseignement territorial. »
La plupart des citations de policiers sont anonymes et très accusatoires, les rares fonctionnaires à être cités nommément se contentent de propos anodins, d’autres, et le moyen est très discutable, pensaient qu’ils participaient à un déjeuner informel et se retrouvent cités avec la mention « entretien avec l’auteur ». C’était déjà le cas pour l’ouvrage précédent, consacré au chef du contre-espionnage, Bernard Squarcini, enregistré à son insu.
Le poids du ministère de l’intérieur
Les auteurs relèvent avec raison que le ministère de l’intérieur est au cœur de l’appareil d’Etat, « la présidentielle se joue à l’intérieur », notent les journalistes, et nombre d’« anciens premiers flics de France » se sont « tous servis du tremplin de la place Beauvau pour atterrir sur le trottoir d’en face, à l’Elysée ». Le livre a été écrit avant les mésaventures de Bruno Le Roux.
Les auteurs s’attachent dans un premier chapitre à expliquer comment la gauche au pouvoir a recruté des policiers pour « désarkozyser » le ministère de l’intérieur. Les policiers rendent évidemment compte à leur hiérarchie, et donc au ministre, mais les mécanismes sont moins sommaires que ne l’expose le livre, qui évoque une police tenue en laisse. Le directeur des affaires criminelles et des grâces à la chancellerie est accusé de faire remonter toutes les affaires sensibles au président parce qu’il « a partagé la même chambrée que François Hollande et Michel Sapin lors de leur service militaire ».
« Sarkozy, je le surveille, je sais tout ce qu’il fait », aurait dit François Hollande devant 19 députés socialistes en février 2014, dont pas un n’est cité. Le chapitre suivant assure que le président faisait surveiller Manuel Valls « pour brider les ambitions de son premier ministre ». Pour preuve, le chef de cabinet de Valls a été photographié avec le patron d’un cercle de jeux. Mais c’est aussitôt pour expliquer que ce patron était suivi depuis trois ans par les douanes.
Les amis de Manuel Valls
L’ouvrage s’attarde sur deux amis bien connus de l’ancien premier ministre, Alain Bauer, insubmersible conseiller police sous tous les quinquennats et ancien grand maître du Grand Orient (« le Raspoutine de l’intérieur », pour les auteurs), et Stéphane Fouks, vice-président d’Havas. Leurs relations ont été racontées à de très nombreuses reprises dans la presse.
Un chapitre entier est ensuite consacré à l’ascension du général de gendarmerie Denis Favier : François Mitterrand avait une confiance telle dans la gendarmerie qu’il avait monté une cellule semi-clandestine à l’origine de nombre de scandales ; Nicolas Sarkozy avait au contraire privilégié les policiers. Avec François Hollande, la gendarmerie a pris sa revanche, dans l’éternelle guerre police-gendarmerie
La police des polices
Parmi « les secrets inavouables » mais déjà publiés du quinquennat, figure en bonne place l’inspection générale de la police nationale (IGPN), présenté comme « une machine de guerre », qui a fait le ménage chez les fonctionnaires les plus douteux. Les lecteurs familiers des affaires de police n’apprendront rien, pas plus que dans le chapitre consacré à la séculaire rivalité entre la préfecture de police et la place Beauvau. Les auteurs égrènent les affaires qui ont valu aux policiers de premier rang d’être écartés, de la Pasqua connection aux affaires de stupéfiants
L’autre espion du président
Autre passage obligé, les rivalités entre la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mise en place par Nicolas Sarkozy, et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), dont le patron, le diplomate Bernard Bajolet, est effectivement un proche du président et ne s’en est jamais caché. Que François Hollande choisisse, en ces périodes de terrorisme, un homme en qui il a entièrement confiance pour diriger les services secrets est-il tellement scandaleux ? Même s’il a fallu discrètement prolonger son mandat.
Le dernier chapitre est consacré au Front national, sachant qu’un policier sur deux a voté pour Marine Le Pen en 2012. Les auteurs assurent que le préfet Christian Lambert, qui a débuté comme gardien de la paix avant de diriger le RAID et gravir tous les échelons, et que Nicolas Sarkozy avait pris en affection, aurait proposé ses services au FN, par l’intermédiaire de Gilbert Collard. Le passage illustre à merveille les ambiguïtés du livre : « Cette rencontre nous a été racontée par plusieurs témoins. Christian Lambert ne nous l’a pas confirmée. En revanche, lorsque nous avons interrogé Gilbert Collard à ce propos, il nous a répondu : “Vous êtes bien renseignés. Mais vous comprendrez que je ne peux vous confirmer cette information. Ni l’infirmer”. »