La « trumpisation » de la campagne présidentielle
La « trumpisation » de la campagne présidentielle
Editorial. Réduction de la politique aux affaires, insinuations sans preuves, affirmations sans fondement, allégations mensongères, hystérie médiatique… L’escalade verbale pathétique et inquiétante de François Fillon a mobilisé tout l’arsenal du « trumpisme ».
Editorial du « Monde ». Depuis deux mois, la campagne présidentielle est déjantée. La confrontation normale, attendue, légitime des candidats et de leurs projets, le débat national permettant aux Français de mûrir leur choix électoral ont été remplacés par le feuilleton des affaires. En particulier, même s’il n’est pas le seul sur la sellette, par celles qui touchent le candidat des Républicains.
En effet, depuis qu’il a été mis en cause par la presse puis par la justice, François Fillon a considéré que la meilleure défense était l’attaque. Il s’est donc engagé dans une escalade verbale sans fin et sans limite, dans l’espoir de couvrir le bruit incessant des casseroles qu’il traîne derrière lui. Très vite, il a dénoncé l’« assassinat politique » dont il serait la cible.
Il y a deux jours, à la radio, il accusait « les services de l’Etat » d’avoir organisé une « machination » et « une attaque sans précédent contre le processus démocratique ». Et il en tenait pour responsables le PS, Emmanuel Macron et François Hollande qui, « comme par hasard, se jettent sur ces pseudo-révélations qui n’apportent rien de nouveau pour exiger qu’il n’y ait pas de candidat de droite ».
Prétendu complot
Jeudi 23 mars, à la télévision, il a poussé encore plus loin ses philippiques. C’est désormais le président de la République qu’il accuse d’être l’instigateur direct de ce prétendu complot. Il en veut pour preuve les « allégations » de trois journalistes, Didier Hassoux, Christophe Labbé et Olivia Recasens dans leur livre Bienvenue place Beauvau. Les secrets inavouables d’un quinquennat (Robert Laffont).
Selon M. Fillon, ce livre expliquerait que M. Hollande ferait « remonter sur son bureau toutes les écoutes judiciaires qui l’intéressent ». Et d’ajouter, sur un ton de procureur : « On cherchait un cabinet noir. On l’a trouvé. Un chef de l’Etat n’a jamais été aussi loin dans l’illégalité. C’est un scandale d’Etat. » L’Elysée a immédiatement dénoncé ces « allégations mensongères ».
Cette escalade est pathétique, tant elle témoigne de l’affolement rageur d’un candidat prêt à tout – même aux accusations les plus graves – pour tenter de sortir du piège où l’ont enfermé ses propres turpitudes. Mais elle est surtout inquiétante de la part d’un homme qui aspire aux plus hautes fonctions.
Semer le trouble
M. Fillon puise sans hésiter, en effet, dans l’arsenal des thèses et du vocabulaire dont l’extrême droite est d’ordinaire la plus friande : chronologie trop parfaite pour « être le fruit du hasard », machination « orchestrée » depuis des semaines, « complot » organisé au sommet de l’Etat… Le tout sans l’ombre d’une preuve sérieuse, mais dans l’espoir de semer le trouble dans l’esprit des Français.
Plus inquiétante enfin est l’irruption dans la campagne française d’une tonalité et de certaines des pratiques qui ont permis à Donald Trump de remporter l’élection présidentielle américaine. Réduction de la politique aux affaires, insinuations sans preuves, affirmations sans fondement, allégations mensongères, hystérie médiatique : c’est tout l’arsenal du « trumpisme » qui est mobilisé. Celui d’un monde où triomphent le déni de la réalité et le mépris des idées.
On imaginait pourtant François Fillon assez expérimenté et avisé pour le comprendre : avant d’être le fruit d’une déliquescence intellectuelle, le « trumpisme » est celui d’une faillite morale. Lui emprunter ses armes est une faute politique inexcusable.