Martial Foucault : « La reconnaissance du vote blanc peut ouvrir une vraie crise de légitimité »
Martial Foucault : « La reconnaissance du vote blanc peut ouvrir une vraie crise de légitimité »
Le directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) a répondu aux questions des internautes sur différents types de vote.
Martial Foucault, directeur du Cevipof, dans les locaux du « Monde », le 30 mars. | Antonin Sabot/"Le Monde"
Reconnaissance du vote blanc, vote par notes, tirage au sort… Ou comment voter autrement. Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), a répondu aux internautes du Monde.fr, jeudi 30 mars.
Xav : Le scrutin par jugement majoritaire a t il été testé à grande échelle (en France ou à l’étranger) ?
Martial Foucault : Non, il n’a pas été testé à grande échelle, il y a eu une expérience réelle dans la ville d’Orsay (Essonne) lors de la présidentielle de 2007 qui donnait François Bayrou vainqueur. Le scrutin par jugement majoritaire donne l’avantage aux électeurs de s’exprimer sur chacun des candidats et donc d’établir une hiérarchie de valeur pour chacun d’entre eux. La principale limite est la suivante : deux candidats peuvent recueillir un jugement favorable et majoritaire, seul le premier d’entre eux serait élu alors que le second a quand même recueilli une majorité favorable. Par rapport au scrutin actuel, c’est probablement une piste institutionnelle à explorer pour réduire l’abstention.
Clinty : Est-ce que le Cevipof prévoit de tester le « jugement majoritaire » à grande échelle lors de la présidentielle ?
Nous n’avons pas prévu de tester le jugement majoritaire pour des raisons de priorité, en revanche nous nous sommes intéressés à la hiérarchie des candidats préférés par les électeurs, c’est-à-dire en demandant à chaque répondant qu’il ordonnance son candidat du préféré au moins aimé. Les résultats montrent qu’Emmanuel Macron devance Marine Le Pen au premier tour.
Pour les législatives, on réfléchit à tester une forme de jugement majoritaire entre les candidats réels dans les circonscriptions et le parti politique auquel ils sont associés. L’idée est de vérifier si les électeurs expriment des préférences différentes pour un candidat ou un parti.
Dikotomy : Pouvez-vous expliquer la différence entre abstention et vote blanc ? Les votes blancs peuvent-ils avoir un impact réel sur les élections ?
L’abstention est mesurée à partir de l’ensemble des électeurs inscrits sur listes électorales mais n’ayant pas exprimé un choix (un vote, un bulletin nul, un bulletin blanc). Le vote blanc correspond aux enveloppes déposées dans l’urne sans bulletin.
Aujourd’hui, la reconnaissance du vote blanc n’est pas actée par la loi pour l’élection présidentielle, par conséquent les résultats au soir de l’élection ne distingueront pas bulletins nuls et bulletins blancs. Ce qui pose problème, car autant un bulletin nul correspond à une démarche politique de rejet de l’offre électorale (y compris des négligences involontaires dans l’acte de vote), autant un bulletin blanc signifie une insatisfaction avec l’offre électorale mais un intérêt pour la politique.
Si le vote blanc était pleinement reconnu dans la comptabilisation des suffrages, il pourrait avoir pour conséquence de remettre en cause l’obtention d’une majorité absolue pour le vainqueur au second tour de l’élection présidentielle. Exemple : sur 100 électeurs, 10 votent blanc, 44 votent le candidat A et 46 le candidat B. Le candidat B est élu avec 46 % des votes, sans majorité absolue. La reconnaissance du vote blanc remet en cause le fait majoritaire qui existe depuis 1965 pour les élections présidentielles, et peut ouvrir une vraie crise de légitimité du président ainsi élu.
Igor : Y a-t-il des pays où les dirigeants sont choisis parmi les citoyens par tirage au sort, ce qui éviterait le vote ?
Non, il n’existe pas à ma connaissance de pays désignant l’exécutif par tirage au sort. En revanche, plusieurs expériences ont été menées pour désigner des responsables d’assemblées professionnelles, sportives voire associatives. Notamment dans le rapport « Refaire la démocratie » (PDF) de Michel Winock et Claude Bartolone, le politologue Gil Delannoi rappelle les mérites attendus du tirage au sort comme mécanisme de légitimité démocratique, telle qu’elle s’est exercée pour la première fois dans la Grèce antique.
Igor : Au lieu d’un vote unique pour un mandat de 5 ans, pouvons-nous imaginer des votes sur chaque grand sujet (référendum simplifié), ce qui permettrait de recentrer à chaque fois la délégation donnée entre les citoyens et le gouvernement ?
Cette proposition soulève une question fondamentale sur ce qui est attendu d’une démocratie représentative. Aujourd’hui, en France, le peuple délègue son pouvoir à des représentants qui vont incarner par le fait majoritaire un mandat de 5 ans, quels que soient les enjeux sur lesquels l’exécutif va légiférer.
Si ce principe de délégation est abandonné, alors on tourne la page de la démocratie représentative pour s’acheminer vers une démocratie plus directe. Ainsi les électeurs auraient théoriquement la possibilité de soutenir ou rejeter plusieurs propositions de loi (exemple des votations en Suisse), mais cela soulève deux problèmes majeurs : 1. Est-on certain que les électeurs se mobiliseront en grand nombre pour la répétition de ces microréférendums ? 2. La stabilité des gouvernements serait remise en cause dès lors que, au premier référendum, le gouvernement ne recueillerait pas une majorité.
L’importance du sujet porté au vote doit être suffisamment élevée pour limiter la répétition des consultations et rendre légitime le vote, c’est-à-dire pour le gouvernement accepter de changer de politique en fonction du résultat sorti des urnes. Cela correspond au fond à l’émergence d’une démocratie de responsabilité, ce que les pays anglo-saxons appellent l’« accountability ».
Raphaël : Pensez-vous qu’il faut rendre le vote obligatoire comme dans certains pays ?
Il y a très peu de pays où le vote est obligatoire. On peut citer la Belgique, le Luxembourg, l’Australie ou encore le Brésil. Décider du vote obligatoire suppose de poser la question de l’objectif attendu.
Si l’objectif est d’augmenter le niveau de participation, alors le résultat sera atteint. Pour autant, est-on certain que le choix exprimé par les électeurs n’est pas contraint, et donc que cela ne remet pas en cause le choix de vote libre et souverain ? Si l’objectif est d’améliorer la légitimité démocratique issue du vote, alors rendre le vote obligatoire ne peut garantir un meilleur fonctionnement du processus électoral.
Ce qui compte, c’est davantage l’exercice d’une démocratie où les électeurs votent pour plutôt qu’ils ne votent contre. C’est d’ailleurs ce que l’historien Pierre Rosanvallon soulignait en 2006 dans son ouvrage La Contre-démocratie (Seuil) expliquant que certaines démocraties comme la France sont entrées dans une ère où les électeurs votent davantage par défaut que par adhésion.
Dans l’enquête électorale du Cevipof parue début mars, on interroge les Français sur le candidat qu’ils souhaitent voir gagner l’élection (ce qui est différent de l’intention de vote). Leurs réponses donnent Emmanuel Macron en tête avec 24 % de souhaits de victoire, 20 % à Marine Le Pen et 14 % à François Fillon.
Geek : Si les élections se tenaient dans la semaine, et non le week-end, en créant un « congé spécial élection », pensez-vous que cela aurait une incidence sur la participation des citoyens au vote ? La participation au vote est sans doute le point faible de notre démocratie, avant d’envisager tout autre moyen visant à améliorer la représentativité de nos institutions, ce problème devrait être réglé.
D’autres pays comme le Canada organisent leur journée d’élection un jour de la semaine, souvent le lundi. Pour autant, on n’observe pas d’effet sur la participation avec des niveaux plus faibles au Canada qu’en France, donc le choix d’organiser un scrutin le dimanche n’est pas a priori le facteur clé pour comprendre la baisse de la participation pour différentes élections (municipales, régionales, législatives). De la même manière, l’incidence d’un jour de scrutin la veille ou le lendemain d’un jour férié n’a pas été démontrée empiriquement comme décisive sur le taux de participation.
Autre idée reçue, l’effet de la météo sur la participation. Plusieurs travaux (d’Eric Dubois et Christian Ben Lakhdar) ont démontré que depuis 1958, les dimanches ensoleillés ne diminuaient pas le niveau de participation comparativement aux dimanches pluvieux. Le devoir civique est encore un des principaux ressorts du niveau de participation électorale.