Présidentielle : le débat à onze en cinq affrontements
Présidentielle : le débat à onze en cinq affrontements
Par Elvire Camus, Adrien Pécout
Les onze prétendants à l’Elysée ont débattu mardi soir pour la première fois ce soir sur CNews et BFMTV, un format inédit dans l’histoire politique française.
Dix des onze candidats à la présidentielle, mardi 4 avril, sur le plateau de BFMTV et CNews, Philippe Poutou étant hors-champ. | Lionel Bonaventure / AP
Exercice inédit dans l’histoire des élections françaises, le débat télévisé réunissant la totalité des onze candidats à la présidentielle avant le premier tour a surtout été l’occasion pour les « petits » candidats d’apostropher les « grands », mardi 4 avril. Mais ce débat rythmé, parfois confus – onze participants obligent – a aussi été marqué par quelques passes d’armes.
Retour sur le débat entre Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), François Asselineau (Union populaire républicaine), Jacques Cheminade (Solidarité et progrès), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), François Fillon (Les Républicains), Benoît Hamon (Parti socialiste), Jean Lassalle (Résistons !), Marine Le Pen (Front national), Emmanuel Macron (En marche !), Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), et Philippe Poutou (Nouveau parti anticapitaliste).
Travailleurs détachés : « Vérifiez votre vote ! »
Parmi les premiers sujets de controverse figure la question de la suppression ou non de la directive européenne sur les travailleurs détachés, qui remonte à 1996 et est censée contribuer au développement du marché intérieur de l’Union européenne (UE) en facilitant la circulation de la main-d’œuvre.
Nicolas Dupont-Aignan a annoncé vouloir supprimer cette directive dès le « premier jour de [son] élection », jugeant « inacceptable que des personnes viennent de Roumanie, de Pologne, d’Espagne et ne payent pas les charges sociales quand nos artisans, nos indépendants les payent ».
Le souverainiste a regretté qu’Emmanuel Macron soit « très clair » et veuille « maintenir » cette directive. Jean-Luc Mélenchon l’a alors interrompu pour montrer du doigt Marine Le Pen : « Vous vous êtes abstenue, vous », a-t-il lancé alors que cette dernière secouait la tête : « Vous vérifiez votre vote, vous vous êtes abstenue (…), je vous le dis. »
Après l’intervention de M. Dupont-Aignan, Mme Le Pen a répondu n’avoir « évidemment pas voté » ce texte au Parlement européen, sans nier s’être abstenue. « Je ne veux pas de cette directive détachement, même si on respecte la loi, je la trouve profondément injuste parce qu’elle crée une priorité étrangère à l’emploi », a-t-elle développé.
Réplique de M. Mélenchon : « Il fallait voter contre ». « Je lui ai dit qu’elle s’était abstenue, elle en convient, tout me va », a-t-il ironisé.
Europe : « Si vous êtes si sûr de vous, vous pouvez consulter les Français »
Les travailleurs détachés n’ont pas été le seul point de friction entre les candidats sur la question de l’Europe. Nicolas Dupont-Aignan a notamment profité de la séquence pour attaquer François Fillon, à qui il tente de grignoter des électeurs de droite troublés par les affaires.
« Comment croire le premier ministre qui a bafoué le vote des Français en 2005, a fait voter le traité de Lisbonne par le Parlement, cela a été un viol du peuple ? Comment vous croire alors que vous avez fait ça ? »
M. Fillon lui rétorque qu’en 2007, « il y a eu une élection présidentielle, les Français ont choisi », faisant allusion à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Mais M. Dupont-Aignan n’en a pas démordu : « Si vous êtes si sûr de vous, vous pouvez consulter les Français. En vérité, les gouvernements de Fillon et Hollande sont passés en force alors que les Français avaient dit qu’il fallait réorienter l’Union européenne. »
Terrorisme : « Je ne me servirais pas des attentats pour faire des amalgames »
Plus effacée lors du chapitre sur l’économie, Marine Le Pen s’est voulu virulente et sans nuances au sujet de la lutte contre le terrorisme. « La France est une université des djihadistes », a-t-elle lancé. La candidate d’extrême droite a reproché à François Fillon d’avoir « supprimé 54 000 militaires » lorsqu’il était premier ministre (2007-2012) :
« Le moins que l’on puisse dire c’est que vous n’êtes pas visionnaire car chacun était capable de dire à l’époque que terrorisme était un danger majeur. »
« Non je ne réponds pas à Mme Le Pen », a asséné François Fillon. Le candidat du parti Les Républicains propose de juger les djihadistes partis en Syrie pour « intelligence avec l’ennemi ». Une proposition déjà formulée justement par Marine Le Pen par le passé, mais qui correspond mal à cette problématique. Cet article du code pénal ne s’applique pas aux djihadistes. Il est en effet destiné aux faits d’espionnage.
Sur le terrorisme, Nathalie Arthaud a voulu marquer sa différence avec M. Fillon et Mme Le Pen qui, selon elle, « creusent un fossé dans la population ».
« Je peux dire ce que je ne ferai pas : me saisir de chaque attentat, de chaque drame pour faire des amalgames entre terroristes, migrants, immigrés et musulmans, ce que vous faites en permanence, Marine Le Pen et François Fillon. »
Affaires : « Nous, on n’a pas d’immunité ouvrière »
Philippe Poutou : « Nous, quand on est convoqués, on n’a pas d’immunité ouvrière »
Durée : 01:45
Philippe Poutou a été le quatrième à prendre la parole pendant la séquence sur « l’exemplarité en politique ». Et le premier à faire directement référence aux affaires qui visent François Fillon et Marine Le Pen :
« Depuis janvier, c’est le régal. Fillon, que des histoires. Plus on fouille et plus on sent la corruption et la triche. (…) On a aussi Marine Le Pen, pareil, on pique dans les caisses publiques et le FN, qui est antisystème, ne s’emmerde pas car se protège grâce à l’immunité parlementaire, donc peinard. »
Marine Le Pen et François Fillon ont tous deux tenté d’interrompre le candidat du NPA, qui a fini par signer l’une des phrases les plus percutantes de ce débat :
« Nous, quand on est convoqué par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière. L’antisystème, c’est de la foutaise. Le problème des politiques corrompus, c’est la professionnalisation de la politique. Les hommes politiques sont déconnectés, surpayés, c’est écœurant. »
« Nous, on pense qu’il faut limiter le salaire des politiques. (…) Ils auront peut-être envie d’augmenter le smic car ils seront directement concernés. Il faut arrêter le cumul de mandat, de carrière politique sur la durée. »
Une intervention ponctuée par des applaudissements nourris – les seuls en plus de 3 h 30 de débat – mais qui n’a pas empêché François Fillon de « refuser de répondre aux journalistes qui pendant deux mois ont fait [son] procès » sur les affaires et de filer une anaphore pour le moins inattendue : « Moi, président exemplaire. »
« Un président exemplaire, c’est... » : quand Fillon réplique au Hollande de 2012
Durée : 00:37
Fonction publique : « Les fonctionnaires tiennent le pays ! »
Quelle politique les candidats souhaitent-ils mettre en œuvre en matière de fonction publique ? La séquence a fourni à Benoît Hamon, jusque-là discret, l’occasion d’attaquer François Fillon en se démarquant franchement de sa proposition de supprimer 500 000 postes dans la fonction publique. « J’ai un désaccord total avec François Fillon sur la manière dont il voit l’avenir de notre pays », a lancé le candidat du PS.
« Lors de la crise financière, [les] fonctionnaires ont tenu le pays. Lorsqu’ils se lèvent le matin, ils ne se lèvent non pas comme des fonctionnaires mais comme des infirmières, des gendarmes,… Ce sont des hommes et femmes qui ont tenu le pays et on va leur demander des sacrifices en plus. (…) J’aime la fonction publique. »
François Fillon le coupe alors : « Vous l’aimez tellement que vous allez ruiner le pays. » De quoi relancer Benoît Hamon :
« Vous avez ruiné le pays et vous venez nous donner des leçons ? Il y a un vrai clivage sur ces questions. C’est là ou il faut mettre des moyens. Particulièrement en période de crise. Nous devons donner plus d’effectifs, revaloriser les carrières, plus de profs dans les écoles, de policiers… »
Laïcité : « Fichez-nous la paix avec la religion ! »
« Fichez-nous la paix avec la religion ! », a assené Jean-Luc Mélenchon lorsque Marine Le Pen défendait l’installation de crèches en mairie. Interrogée sur ses propositions pour réformer les institutions, la candidate d’extrême droite a proposé d’inscrire dans la Constitution « le droit de défendre notre patrimoine culturel et historique ».
« Qu’est-ce que ça veut dire ? », a fait mine de s’interroger M. Mélenchon. Réponse de Mme Le Pen : « Ça veut dire que les crèches font partie de notre patrimoine culturel et historique. » Le candidat de La France insoumise a de nouveau répliqué par une question : « Vous voulez mettre des symboles religieux dans nos mairies ? C’est ça votre laïcité ? »
Allant dans le même sens que Jean-Luc Mélenchon, Nathalie Arthaud a estimé que « la laïcité de Marine Le Pen » sert « en réalité à dénoncer l’islam, se mettre en travers d’autres pratiques religieuses ». Toujours selon la candidate d’extrême gauche, il s’agit pour le FN « d’avancer sur votre racisme, votre xénophobie. La laïcité sert de paravent ».