On a testé… « Persona 5 », la fureur de vivre à la japonaise en jeu vidéo
On a testé… « Persona 5 », la fureur de vivre à la japonaise
Par Benjamin Benoit
Doté d’un immense charisme, d’un design fou et d’une histoire toujours aussi actuelle, le dernier opus de la série de jeux de rôles japonais iconique, sommet du genre.
Il aura fallu attendre neuf ans pour que sorte, mardi 4 avril, Persona 5 sur PlayStation 4. Persona, c’est la série iconique du japonais Atlus, dérivée de la saga Shin Megami Tensei, un peu de niche mais adulée des fans. Son squelette part toujours du même canevas : incarner un adolescent qui doit, à partir de rien, faire son trou dans un nouveau lycée. Et c’est ce qui a fait son succès, notamment auprès des nipponophiles, car on ne peut pas mieux faire pour restituer les émois de cette vie lycéenne, omniprésente dans la culture populaire, et la magnifier dans une histoire systématiquement passionnante.
Persona 3 était une aventure futuriste et crépusculaire. Dans le 4, une aventure plus légère et plus pop, le protagoniste arrivait à la campagne et résolvait des meurtres en série… en plongeant dans une télévision avec ses amis – ça a du sens dans le contexte. Pour cette cinquième itération – qui a su se faire attendre – bonjour l’ambiance hyperurbaine de Tokyo, Shibuya, le métro et les mille activités à faire entre deux cambriolages. Car Persona 5 est l’histoire d’un casse.
Persona 5 Trailer ENGLISH (E3 2016)
Durée : 05:28
Prendre l’argent (et le rendre)
A la manière de Lolita version Kubrick, Persona 5 est une confession qui se déroule très lentement. Vous et votre gang, les « voleurs fantômes », êtes attrapés de manière bien suspecte après le braquage d’un casino. Vous allez vous mettre à table et lentement rejouer ce qui a pu se passer pour en arriver là.
Tout démarre lorsque le protagoniste se retrouve accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Paria affublé d’un casier judiciaire, il est envoyé à Tokyo chez un vague proche de la famille, à l’étage d’un café miteux. C’est dans un lycée de la capitale qu’il va démarrer une année de probation, constamment sous les huées des rumeurs environnantes, étiqueté comme délinquant de la classe.
Divers éléments surnaturels vont apparaître, vous allez vous lier d’amitié avec un camarade qui souffre du même problème et vous confronter à un premier obstacle d’envergure dans l’année scolaire – un prof de sport despote, harceleur et violent. Quelques entrechats plus tard, vous voilà dans son « palais », un donjon métaphorique créé par la perversité de son âme, déguisés en gentlemen cambrioleurs.
Trouver le butin, déposer une carte, provoquer l’ennemi et revenir le lendemain pour finaliser le casse et affronter un boss… Réussir un coup, c’est triompher d’une épreuve et ressentir une satisfaction idoine. Tout ça en suivant l’année scolaire et sans se faire remarquer, accompagné de Ryuji l’impulsif, Morgana l’étrange chat polymorphe, puis bientôt d’Ann et de quatre autres personnes – tous d’un grand charisme – qui vont constituer le gang le plus célèbre d’Internet, dont la réputation va grandir en parallèle d’une longue chaîne d’événements.
Vivre, jour par jour, toute une année scolaire
« Persona 5 ». | Atlus
Comme à l’accoutumée, Persona 5 est un jeu au scénario dantesque. Suicide, harcèlement, corruption, des thèmes très forts, universels et liés avec la société japonaise – et pas que – sont de mise dans un jeu où tout le monde vous traite comme un criminel. Ce qui va vous pousser, dans un sens, à en devenir un… Mais là est le point essentiel de la série : vivre, jour par jour, toute une année scolaire.
Après une longue introduction qui s’approche du livre interactif, vous voilà de plus en plus libre de vos mouvements. Chaque après-midi, chaque soirée compte. Déciderez-vous d’aller étudier (points de connaissance en plus !) ? D’aller au sauna (plus de charisme !) ? D’aller travailler à mi-temps ? Ou d’aller au cinéma ? Persona 5 offre mille petits détails du quotidien à optimiser pour développer la personnalité de votre personnage et ouvrir des voies qui faciliteront le jeu dans ses phases de combat.
Jours fériés, golden week, vacances et une myriade de détails et de scènes de vie quotidienne vous invitent à expérimenter, sortir de chez vous, devenir quelqu’un de meilleur dans un jeu de gestion un peu bâtard qui donne des envies tokyoïtes. Ce rythme, tantôt haché, tantôt intense, donne au jeu une durée de vie d’une centaine d’heures, sans jamais que l’ennui ou la répétition ne soient un problème. Et ceci sans parler du Mementos, un donjon dans les couloirs du métro où il faudra résoudre des quêtes annexes. Pour simplifier, Persona 5 prend toutes les bonnes recettes de ses deux derniers épisodes et leur offre une couche bien personnelle, le tout mâtiné d’une sévère mise à jour graphique.
Mais Persona, c’est surtout une ode à l’amitié. Chaque lien que vous créez est – symbolisme ! – sous le signe d’un arcane du tarot. Plus vous prenez le temps de renforcer un lien, plus les monstres du même arcane avec lesquels vous combattez seront potentiellement forts. Cultivez au maximum votre lien avec un personnage, il pourra prendre un coup fatal pour vous. La métaphore est profonde et touchante.
Des donjons où l’on progresse à pas de loup
Persona 5. | Atlus
Vivre sa vie de lycéen est une chose, évoluer dans la psyché des gens en est une autre. Des échéances vont apparaître. Expulsion, examens, chantage… restera un temps limité, environ tous les mois, pour triompher d’un donjon qui demandera trois ou quatre jours à sacrifier. Des donjons délicieux à parcourir – casino, banque, musée –, moins labyrinthiques et uniformes que dans le 4, mais où l’on progresse à pas de loup, à voler des objets précieux (classe et élégance obligatoires, s’il vous plaît, sinon vous vous ferez rosser) et à ne pas trop tenter le diable – on ne peut sauvegarder qu’à des endroits précis et l’accident bête est vite arrivé.
Tomber sur un monstre, une « ombre », c’est démarrer le démentiel thème de combat de Shoji Meguro, qui signe un énième bijou d’ambiance acid jazz. Un vrai moment de grâce qui enjolive un jeu nettement plus beau et fin que son prédécesseur – les connaisseurs reconnaîtront la patte du jeu Catherine.
Ces combats, traditionnellement difficiles dans la série, sont ici un peu radoucis – dans une sorte de Pokémon survitaminé, tout tourne autour des éléments et de leurs interactions. Si vous touchez la faiblesse d’un ennemi, vous pouvez frapper à nouveau, et si tous les ennemis sont en état de faiblesse, vous pouvez les achever, leur soutirer de l’argent, ou négocier avec eux pour pouvoir les invoquer plus tard, héritage des Shin Megami Tensei. Un système un tout petit peu complexe mais expliqué au travers d’un tutoriel de… quasiment vingt heures.
Dans ces phases de casse, chaque héros invoque pour la première fois son « Persona » (le vôtre s’appelle Arsène) en s’arrachant du visage un masque métaphorique, puis en incarnant un gentleman cambrioleur. Tout, dans Persona 5, affûte une direction artistique très réussie, jusque dans ses menus, de « crime à la française ». Pour fusionner et améliorer vos monstres, vous vous retrouvez dans une prison, façon Monte-Cristo, à les guillotiner.
Cette dualité entre vie de lycéen et casses offre une routine dont, paradoxalement, il est difficile de se défaire. L’expérience de jeu se picore ou se savoure sur de longues heures, l’appel du « encore un dernier jour, juste pour voir » devenant rapidement irrésistible.
Persona 5 est une expérience flamboyante, d’une grande finesse, dont le travail est significatif et dont l’universalité cachée en font un grand jeu. Repasser ses examens, être jeune à nouveau et affronter des monstres n’a jamais été aussi passionnant, surtout quand c’est enrobé avec autant de soin, de charisme et de glamour. Pour un peu, il donnerait presque envie de retourner au lycée.
L’avis de Pixels
On a aimé :
- Une direction artistique incroyable et l’une des interfaces les plus travaillées du jeu vidéo.
- Des thématiques profondes, parlantes, actuelles et symboliques.
- Ambiance, personnages et musiques au top.
- Rendre une année scolaire addictive : pari relevé.
- Les donjons, passionnants.
On a moins aimé :
- Certaines séquences trop scriptées et frustrantes.
- Un décorum parfois trop « de niche » pour son propre bien.
- Une difficulté sporadiquement injuste qui peut faire perdre de grandes sessions de jeu.
C’est plutôt pour vous si :
- Vous aimez la pop culture japonaise, et Tokyo en général.
- Vous voulez découvrir un excellent JRPG.
- Vous aimez le tarot, le symbolisme, la mythologie et les histoires de casses à la française.
Ça n’est pas pour vous si :
- Vous ne parlez pas un traître mot d’anglais (le jeu n’est pas en français, mais la traduction anglaise est excellente).
- Vous manquez vraiment de temps.
La note de Pixels :
100 heures ferme.