Dans le quartier des Quatre-Chemins, entre Aubervilliers et Pantin (Seine-Saint-Denis), Chen Guangrong et une dizaine de collègues chauffeurs raccompagnent bénévolement les femmes d’origine chinoise après leur travail. | Laurent Hazgui/Divergence

C’est une colère qui ne se calme pas. Dimanche 2 avril, plusieurs milliers de Chinois ou de Français d’origine chinoise ont à nouveau manifesté, à Paris, autour de la place de la République. Non sans débordements. Comme à plusieurs reprises la semaine précédente. Une réaction à la mort, le 27 mars, d’un père de famille chinois, Liu Shaoyao, tué à son domicile par un policier dans des circonstances encore non élucidées.

Pour de nombreux protestataires, le décès de Liu Shaoyao a en effet tout de la bavure policière : « Comment penser que la réponse a été proportionnée alors qu’un homme asiatique de 1,60 mètre, 56 ans, faisait face à trois fonctionnaires de la BAC, protégés de gilets pare-balles », s’insurge ainsi Olivier Wang, adjoint au maire du 19e arrondissement et membre de l’Association des jeunes Chinois de France (AJCF).

Mort de Liu Shaoyao : la « profonde tristesse » des manifestants à Paris
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Si ce fait divers suscite cette réaction communautaire, c’est probablement parce que les Chinois d’Ile-de-France et Français d’origine chinoise s’estiment déjà insuffisamment protégés par la police. En août 2016, la mort de Chaolin Zhang, un couturier d’origine asiatique agressé à Aubervilliers, avait déclenché plusieurs mouvements de contestation. Huit mois plus tard, le constat est amer : « Il y a eu une amélioration, quelques policiers en plus, mais ce n’est pas suffisant. Même les clients ont peur de venir, il y a des agressions chaque jour », témoigne par exemple Jin Humin, 31 ans, grossiste à Aubervilliers.

« Une réponse sécuritaire inadéquate »

Comme lui, 7 000 commerçants d’origine chinoise y travaillent dans le triangle d’or du textile, qui fournit l’Europe en vêtements, chaussures ou sacs made in China. La plupart disent avoir déjà été victimes d’attaques : « Le sentiment général est celui d’une police qui n’est pas du côté des victimes et d’une réponse sécuritaire inadéquate devant l’ampleur du problème, qui dure depuis plusieurs années », affirme Tamara Liu, présidente de l’association Chinois de France-Français de Chine.

Mécontents du travail des policiers, à qui ils reprochent d’intervenir trop tardivement ou de relâcher les agresseurs mineurs, certains ont décidé de s’organiser par eux-mêmes. Parmi les récents manifestants, Chen Guangrong, 40 ans, un temps mis en garde à vue et libéré depuis. Résidant à Aubervilliers, Chen Guangrong est chauffeur Uber et le président d’une association locale, l’Union des jeunesses chauffeurs en France. Chaque samedi soir, avec une dizaine de bénévoles, il effectue depuis près d’un an une ronde nocturne dans les rues du quartier des Quatre-Chemins. A pied ou en voiture, le petit groupe raccompagne chez elles les jeunes femmes qui sortent de leur travail et ont peur de rentrer seules.

La commune de Seine-Saint-Denis, l’une des plus pauvres de France, compte en effet 3 000 à 4 000 personnes chinoises ou d’origine chinoise : « Les agressions sont souvent le fait de jeunes qui habitent le quartier, qui pensent que les Chinois sont riches et qui savent qu’ils ne risquent pas grand-chose, car beaucoup, sans papiers, n’osent pas porter plainte », explique Rui Wang, président de l’AJCF. « L’affaire Shaoyao Liu n’est qu’une manifestation de plus du fait que nous sommes traités comme des citoyens de seconde zone, par des policiers qui se montrent parfois hautains, voir insultants, notamment lors des contrôles d’identité », affirme Olivier Wang.

La tentation du FN

Ce mécontentement peut-il avoir des conséquences dans les urnes, au sein de cette communauté chinoise qui se raidit ? « Le Front national est le premier parti à
avoir envoyé une lettre de soutien à la communauté après la mort de Chaolin Zhang »,
indique Tamara Liu, selon laquelle quelques Français d’origine chinoise se sont montrés au FN ces dernières années. La mobilisation après la mort de Liu Shaoyao s’apparente toutefois davantage aux combats traditionnels de la gauche : « Etre victime de racisme et voter Le Pen, cela n’a pas de sens », assure Olivier Wang. « Nous réclamons simplement les mêmes droits que n’importe quel citoyen de ce pays. Cette affaire aurait dû avant tout être un drame français et être évoqué comme tel par les politiques », ajoute-t-il.

La sensibilité de la communauté sur les questions de sécurité explique probablement une partie du succès des rassemblements, et les débordements constatés. Mais ce n’est pas la seule raison. Alice Wu, une Chinoise de 29 ans rencontrée à la manifestation du samedi 1er avril à Bastille, pointe la présence de jeunes qui ne connaissent pas bien la société française. « Il existe une grande solidarité au sein de la communauté, mais aussi un fort esprit patriotique, notamment chez les jeunes. Cela peut expliquer que les personnes aient répondu à l’appel aussi rapidement, sans même avoir entendu la version du procureur. Parmi eux, certains viennent montrer que les Chinois ne se laissent plus faire », ajoute Tamara.

Pauline Bandelier