Laurent Berger juge la démocratie « en grave difficulté »
Laurent Berger juge la démocratie « en grave difficulté »
Par Françoise Fressoz
Invité de l’émission « Questions d’info » sur LCP, le secrétaire général de la CFDT met en garde contre le risque d’une « dérive totalitariste » en France.
Laurent Berger est inquiet. Invité mercredi 12 avril de l’émission « Questions d’info » sur LCP en partenariat avec Le Monde, France Info et l’AFP, le secrétaire général de la CFDT a fustigé une campagne électorale « sans vision, sans cap, sans horizon », au moment où le pays « est soumis à beaucoup de mutations et à beaucoup d’angoisses qui sont parfois mauvaises conseillères ».
La démocratie est, selon le syndicaliste, « en grave difficulté » car « les candidatures à l’élection présidentielle se sont constituées autour d’une personne », sans qu’il y ait eu au préalable « une réflexion collective sur ce que le pays doit faire ». La faute, selon lui, aux partis qui n’ont pas travaillé et ont abandonné le débat d’idées. Il en résulte, dit-il, un risque de « dérive totalitariste ».
« Quand on écoute la quasi-totalité des candidats, le sentiment qu’on peut avoir c’est : “donnez-moi le pouvoir, ensuite je sais où sont les solutions et je vais les appliquer de façon extrêmement radicale”. C’est très dangereux. Pour vivre ensemble, on a besoin de donner des marges de manœuvre aux corps intermédiaires, de donner la possibilité aux citoyens de s’exprimer et en même temps de participer à du collectif. »
Interrogé sur la volonté d’Emmanuel Macron de recourir aux ordonnances pour réformer le marché du travail, s’il est élu président de la République, le leader syndical s’est dit « stupéfait ». « C’est une divagation. Il n’a pas réfléchi au rôle du syndicalisme dans la contribution à l’intérêt général », a-t-il répondu.
« Débat caricaturé » sur l’Europe
Depuis quelques semaines, un candidat, Jean-Luc Mélenchon, a le vent en poupe. Laurent Berger ne se laisse pas séduire : « Son talent oratoire, son sens tactique peuvent expliquer que sa candidature marche auprès d’un certain nombre de gens qui disent : “il y en a marre, il faut tout changer”. Mais ce n’est un mystère pour personne que nous ne partageons pas exactement la même vision de l’Europe. »
Le patron de la CFDT fustige « un débat caricaturé » sur l’Europe et regrette qu’aucun candidat ne parvienne à défendre un projet articulé autour du « respect de l’environnement, de la performance économique et de l’attention aux plus fragiles de façon beaucoup plus forte ».
Dans la foulée, il s’en est vivement pris à Pierre Gattaz, le président du Medef, qui vient de prendre parti dans la campagne en estimant que voter pour Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon ce serait « ruine, désespoir et désolation ».
« Pierre Gattaz fait une profonde erreur de se positionner comme ça dans l’élection présidentielle. D’abord parce qu’il y a de l’outrance dans ses propos… Ensuite parce que notre rôle à nous, syndicat, patronat, c’est d’éclairer le débat, pas d’essayer de faire gagner tel ou tel. »
La CFDT ne donnera pas de consigne de vote avant le premier tour mais elle combat le Front national qui incarne, indique Laurent Berger, « le risque totalitariste et le risque de sortie de l’euro ». Si Marine Le Pen se qualifie pour le second tour, le syndicat appellera à lui faire barrage sans que cela vaille soutien explicite à son adversaire. Le secrétaire général de la CFDT souhaite un 1er-Mai unitaire mais note que « Force ouvrière n’en veut pas » et se montre plutôt pessimiste sur la possibilité de l’organiser.
Resserrer les liens
Dénonçant le mythe d’un « blocage syndical » qui empêcherait le pays de se réformer, Laurent Berger, dont le syndicat domine désormais dans le secteur privé, dit vouloir resserrer les liens avec les syndicats réformistes : CFTC, UNSA, CFE-CGC.
« Je me sens aujourd’hui une responsabilité en tant que secrétaire général de la première organisation syndicale dans le privé à faire en sorte que nous ayons davantage de points de convergence encore et de travaux en commun. »
Quant à la recomposition politique, il affirme que la CFDT ne s’en désintéressera pas, mais qu’elle n’a pas vocation à en être le chef de file. « Ce chemin-là, nous l’avons fait dans un sens puis dans un autre pour obtenir durement notre indépendance à l’égard de tous partis politiques et de tous candidats aux élections présidentielles. Et je vous assure que je le défends ardemment », a-t-il déclaré.