Sur le court n° 1, le public est si proche du terrain qu’il se sent autorisé à jouer les coachs : « Respire bien Richard », « tu peux le faire, accroche-toi », pouvait-on entendre, mercredi 29 mai, lors du match entre Richard Gasquet et l’Argentin Juan Ignacio Londero / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Ils sont venus dire adieu à l’arène. Saluer un monument qui, une semaine après la fin du tournoi de Roland-Garros, sera réduit en poussière après trente-neuf années de bons et loyaux services. Les Anglo-Saxons le désignaient par sa forme bullring, en raison de sa forme ronde, quand les Français l’appelaient pudiquement par son matricule : le court n° 1. Victime collatérale de la modernisation du site, l’amphithéâtre sera, en 2020, remplacé par un jardin. Une pelouse de près d’un hectare à son emplacement et celui de la place des Mousquetaires qui le jouxte.

Depuis qu’ils ont appris sa disparition, les fidèles de la porte d’Auteuil s’y rendent comme en pèlerinage. Histoire de « l’immortaliser, garder des souvenirs », comme dit, avec un petit pincement au cœur, Romeo Boieiro, qui patiente ce mercredi 29 mai dans la file pour pouvoir y entrer. Un disciple de la première heure ou presque : il y a trente ans, adolescent, il y avait disputé le tournoi juniors. Aujourd’hui, le quadragénaire y accompagne les enfants de son club, le TC Coignières (Yvelines).

Au départ, le court – inauguré en mai 1980 par Jean Borotra, l’un des quatre glorieux Mousquetaires – fut conçu comme un « central bis ». Construire une enceinte ronde autour d’un court rectangulaire ? En voilà une idée saugrenue, avaient d’abord raillé les sceptiques. Ses 4 300 places (3 800 aujourd’hui) en font alors la deuxième jauge du stade. Avec l’arrivée du Suzanne-Lenglen en 1994, il sera relégué au 3e rang. Cette année, il a encore rétrogradé, réduit à une simple annexe : pour la première et dernière fois, tous les détenteurs de billets peuvent y accéder.

Une acoustique inégalée

Mais le « 1 » a gardé ses inconditionnels, déjà nostalgiques de ce théâtre intimiste. On regrettera son acoustique inégalée, on pleurera sa proximité. Ici, la balle claque comme celle d’un pistolet. Le chuchotement des spectateurs parvient jusqu’aux joueurs. Ici, on voit ce qu’on ne discerne pas sur les autres grands courts, encore moins sur un écran, fût-il HD : l’effet d’une balle, sa trace, la souffrance d’un joueur sur son visage. En bout de course, celui-ci donne parfois l’impression qu’il va finir dans le siège d’à côté.

« Je ne suis pas un taureau que l’on met dans l’arène », aurait dit l’Américain John McEnroe, qui n’a jamais remporté les Internationaux de France. Dans ce décor, aucune mise à mort. Juste un combat entre gladiateurs, rarement les tout meilleurs. Mais l’essentiel était ailleurs.

Mercredi midi, les spectateurs ont pu y décortiquer une dernière fois le revers de Richard Gasquet (défait par l’Argentin Juan Ignacio Londero 6-2, 3-6, 6-3, 6-4), admirer la beauté du geste. On aurait dit qu’ils rendaient visite à un vieux cousin : comme le n° 1, le Français fait un peu partie des meubles à Roland.

Le public est si proche du terrain qu’il se sent autorisé à jouer les coachs : « Respire bien Richard », « allez Richard, c’est dans la tête », « tu peux le faire, accroche-toi ». Dans les tribunes, il fleure une odeur de vacances, mélange de crème solaire et de casse-croûte. Tout là-haut, les drapeaux plantés sur la ceinture extérieure flottent au vent.

Le court n°1 et la place des Mousquetaires laisseront bientôt la place au jardin des Mousquetaires. / DIDIER PALLAGES / AFP

Tout, sauf le bling-bling

Le court n° 1, c’était tout sauf le bling-bling, ces messieurs dames endimanchés n’y ont jamais mis les pieds, préférant fanfaronner sur le court Philippe Chatrier. Seuls les passionnés avaient droit de cité. La foule bigarrée, casquettes et bobs ajustés, ne craignait pas de s’asseoir sur des sièges rougis par la poussière ocre ni de recevoir en pleine poire une balle catapultée. Et ça beuglait, et ça donnait du « olé, olé, olé ». Chaudron il était, chaudron il est resté. Les spectateurs d’aujourd’hui sont juste un peu moins concentrés, smartphones à la main pour collectionner les clichés.

L’enceinte plaisait aux attaquants, car contrairement au Chatrier démesuré, la balle y est plus facile à cadrer. Et les conditions de jeu rapides, peut-être même les plus rapides de la Porte d’Auteuil. Certains joueurs, comme l’Espagnol Rafael Nadal (en 2005), y ont fait leur baptême à Roland. D’autres y ont tiré leur révérence, à l’image de l’Américaine Chris Evert en 1988, victorieuse du tournoi à sept reprises.

Certains bras de fer ont contribué à écrire sa légende. En 1993, c’est là que l’Argentine Gabriela Sabatini perdit le match de sa vie alors qu’elle menait 6-1, 5-1 en quarts de finale contre l’Américaine Mary-Joe Fernandez, qui sauva cinq balles de match.

C’est là aussi qu’un jeune inconnu brésilien, Gustavo Kuerten, avait fait sensation en 1997 en sortant l’Autrichien Thomas Muster au 3e tour, sur le chemin de son premier sacre. Là encore que le Russe Marat Safin avait remporté un marathon insensé sur deux jours (6-4, 2-6, 6-2, 6-7, 11-9) face à l’Espagnol Felix Mantilla en 2004, et baissé son short lors d’une séquence passée à la postérité. Le public avait ri, l’arbitre un peu moins.

Rolan Garros 2004 : Safin baisse son short | Archive INA
Durée : 00:41

Avec la disparition du court n° 1, Roland-Garros perd un peu une partie de son âme. Il était un témoin de l’histoire, avec ses acrotères en béton où sont gravés en lettres de bronze les noms de celles et ceux qui y ont triomphé. Depuis le Britannique H. Briggs en 1891 jusqu’à Rafael Nadal, en 2018. L’Espagnol, onze fois vainqueur, a paraît-il demandé à pouvoir conserver l’une des pierres. Il reste aujourd’hui trois plaques vacantes, le stade avait été conçu pour célébrer les vainqueurs jusqu’en… 2021.

Les nostalgiques pourront toujours ramener chez eux un petit bout d’histoire. A l’issue du tournoi, certains éléments du court seront recyclés et mis en vente au profit de l’association de Yannick Noah : des sacs et des pochettes créés avec des bâches de fond de court, des sièges à partir des gradins… Les images, elles, resteront.