Test anal : les médecins tunisiens sont contre, mais les homosexuels craignent que la pratique perdure
Test anal : les médecins tunisiens sont contre, mais les homosexuels craignent que la pratique perdure
Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
Selon le code pénal, hérité du protectorat français, la sodomie est passible en Tunisie de trois ans de prison. Les médecins sont souvent appelés à établir la réalité du « crime ».
Un pas dans la bonne direction, mais encore insuffisant. En Tunisie, les partisans de la cause homosexuelle saluent avec prudence le communiqué diffusé, le 3 avril, par le Conseil national de l’ordre des médecins, qui durcit sa dénonciation de la pratique – courante en Tunisie – du test anal requis dans les procédures judiciaires déclenchées contre des homosexuels. Dans ce document, le conseil de l’ordre « appelle » les médecins légistes réquisitionnés par la justice à « informer les personnes qu’ils ont à examiner de leur droit de refuser un tel examen ».
En vertu de l’article 230 du code pénal – hérité du protectorat français –, la sodomie est passible en Tunisie d’une peine de trois ans d’emprisonnement. Une vingtaine de condamnations ont été prononcées en 2016 sous ce chef d’accusation, selon les militants des droits homosexuels. Le concours des médecins légistes est souvent requis par les magistrats pour établir la réalité du « crime ».
« On met les points sur les i »
L’organisation Human Rights Watch (HRW) a qualifié, mercredi 12 avril, de « courageuse » la prise de position du conseil de l’ordre. Elle la juge toutefois « insuffisante ». Même son de cloche à l’association Shams, qui milite pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie : son porte-parole, Bouhdid Belhedi, invite le conseil de l’ordre à « aller encore plus loin » en prononçant des « sanctions disciplinaires contre les médecins qui acceptent de pratiquer les tests anaux ». « Cela permettra de passer vraiment de la théorie à la pratique », souligne-t-il.
Le communiqué du conseil de l’ordre ne « constitue pas une révolution », selon son président, Mounir Youssef Makni : « Il s’inscrit dans la continuité », précise-t-il, d’une précédente prise de position datant de septembre 2015 et par laquelle le conseil avait « condamné fermement tout examen médico-légal non consenti ou non justifié touchant à la dignité et à l’intégrité physique ou mentale de la personne examinée ». Passer d’une « condamnation » générale à un « appel » plus explicite aux médecins à « informer » les prévenus de leur « droit de refus » du test anal fait assurément monter d’un cran la réprobation. « On met les points sur les i, résume M. Makni. C’est un éclaircissement. »
Un tel « éclaircissement » laisse néanmoins entière la question de l’impunité des médecins légistes ignorant « l’appel » du conseil. M. Makni reconnaît volontiers la part du chemin restant à parcourir. « Il y a une résistance des médecins légistes, qui ne veulent pas discuter de ce sujet », admet-il. « Le problème est réel, ajoute Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de HRW. Ces médecins légistes estiment être passibles de poursuites s’ils n’exécutent pas les réquisitions judiciaires. Le communiqué du conseil de l’ordre ne leur permet pas de se couvrir au plan pénal s’ils refusent une réquisition. »
L’Afrique, un continent homophobe ?
Durée : 02:43
C’est pourquoi, selon Mme Guellali, la prise de position du conseil de l’ordre « n’est pas suffisante ». Tant que l’article 230 figurera dans le code pénal, la solution pourrait consister à ce que « le ministère de la justice édicte des directives ou des instructions considérant que le test anal ne doit plus être utilisé comme un moyen de preuve ». Les ministères de l’intérieur et de la santé pourraient transmettre également ce type d’instructions aux policiers et aux médecins, ajoute-t-elle. A défaut d’une implication de ces administrations, la seule position éthique du conseil de l’ordre ne suffira pas à décourager les tests anaux.
La répression continue
Il reste bien sûr la racine du problème : l’existence de ce fameux article 230, dont les associations de défense des droits des homosexuels réclament l’abrogation. S’il existe une petite scène associative homosexuelle s’activant autour cette revendication – Shams, Damj, Mawjoudin, Chouf Minorities –, son impact sur la classe politique demeure très limité, dans un contexte de profond conservatisme socio-religieux. Quand Shams a adressé aux députés un projet de réforme visant à abroger l’article 230, aucun élu n’a daigné répondre. « Les plus progressistes d’entre eux veulent bien faire quelque chose, rapporte Bouhdid Belhedi. Mais ils disent vouloir rester discrets. Ils ont peur de perdre leur base électorale vu le tabou dans la société autour l’homosexualité. »
En attendant une hypothétique réforme, la répression continue à un rythme soutenu, comme l’illustrent les affaires ayant défrayé la chronique ces dernières semaines. Le 8 avril, un couple a été arrêté à Tataouine (sud) pour un simple échange de messages Facebook. Le 13 mars, le cinéaste Karim Belhaj a été arrêté à Tunis à son domicile en présence de son partenaire. Le même jour, à Sousse (est), un couple était condamné à deux mois de prison pour « atteinte aux bonnes mœurs » (article 226 bis du code pénal) après avoir été supris à son domicile en possession d’effets féminins. Le 10 mars, un autre couple a été condamné à huit mois de prison ferme, toujours à Sousse.
Dans la Tunisie démocratique, qui s’enorgueillit de sa société ouverte et éclairée, le code pénal continue de frapper sans relâche les homosexuels.