« Les candidats n’ont pas chiffré précisément la sortie du nucléaire »
« Les candidats n’ont pas chiffré précisément la sortie du nucléaire »
Propos recueillis par Stéphane Foucart, Pierre Le Hir, Gary Dagorn
Que proposent les candidats à la présidentielle sur les questions d’environnement ? nos journalistes spécialisés Gary Dagorn, Stéphane Foucart et Pierre Le Hir ont répondu à vos questions.
A l’occasion de notre journée spéciale #AvantLeVote, nos journalistes spécialisés Gary Dagorn, Stéphane Foucart et Pierre Le Hir ont répondu, dans un tchat, à vos questions sur le contenu des programmes en matière d’environnement des candidats à la présidentielle.
-Rémi : Comment le rapport de l’ADEME sur le 100 % renouvelable a-t-il été intégré au programme des candidats ?
Trois candidats proposent de passer à 100 % d’énergies renouvelables en 2050 (Mélenchon, Hamon et Poutou). L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a effectivement commandé, en 2015, une étude montrant qu’un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 était possible. Mais les candidats ne se réfèrent pas directement à cette étude. En réalité, Hamon et Mélenchon vont même plus loin en proposant un mix énergétique 100 % renouvelable en 2050 (et non pas un mix électrique). Rappelons que l’électricité ne représente que 25 % de l’énergie totale consommée en France.
Le scénario 100 % renouvelable en 2050 est celui qui est porté par l’association d’experts negaWatt.
-Kat : Que deviennent les Accords de Paris en fonction des candidats ?
Aucun candidat ne propose de revenir sur l’Accord de Paris, adopté en décembre 2015 à l’issue de la COP 21, signé le 22 avril 2016 et entré en vigueur le 4 novembre.
-Nicolas : L’un d’eux a-t-il chiffré la sortie du nucléaire ?
Les candidats n’ont pas chiffré précisément la sortie du nucléaire. Ce chiffrage est très complexe à réaliser, car il dépend de la consommation d’électricité dans les prochaines décennies, des coûts futurs du nucléaire et des énergies renouvelables… Les études réalisées indiquent que sortir du nucléaire ou y rester se chiffrera en centaines de milliards d’euros. Ajoutons que les coûts du nucléaire futur (EPR) seront beaucoup plus importants que ceux du parc nucléaire déjà amorti, alors que ceux du renouvelable ne cessent de diminuer.
-Maxarion : Y a-t-il déjà eu une étude estimant le nombre de postes que créerait une transition écologique 100 % renouvelable, comme le souhaitent Mélenchon ou Hamon d’ici 2050 ?
En France, la filière nucléaire représente aujourd’hui environ 220 000 emplois directs et indirects. En face, le secteur des énergies renouvelables représente déjà 100 000 emplois directs et indirects selon le syndicat professionnel. Ce nombre pourrait doubler d’ici à 2023 si les objectifs de la loi de transition énergétique, adoptée en 2015, sont respectés.
Ajoutons que l’arrêt d’une centrale nucléaire ne signifie pas la suppression de tous ces emplois : EDF estime que les activités de démantèlement occuperont entre 10 % et 20 % de l’effectif durant la phase d’exploitation. L’Ademe, elle, estime qu’en 2050 un mix électrique entièrement renouvelable créerait entre 800 000 et 900 000 emplois de plus qu’un système énergétique inchangé.
-djo : En matière de nucléaire, les candidats qui sont pour une diminution des centrales nucléaires « classiques » (à eau pressurisée) seraient-ils favorables à l’exploration de centrales nucléaires à sels fondus ? Une autre technologie, connue depuis des années, et jamais exploitée.
Non, les candidats qui sont favorables à la sortie du nucléaire se prononcent pour un abandon total de cette filière. Seuls Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Cheminade, qui soutiennent la filière atomique en France, mentionnent cette technologie dans leurs programmes.
-Schnock : François Fillon a-t-il précisé le contenu de son « principe de responsabilité », censé remplacer le principe de précaution ?
A notre connaissance, François Fillon n’a pas précisé ce que recouvrirait le « principe de responsabilité ». Son programme ne mentionne d’ailleurs pas ce principe, mais parle de « réécrire le principe de précaution pour favoriser l’innovation responsable ».
-Robin : L’interdiction future des perturbateurs endocriniens semble être une priorité de plusieurs candidats dont l’environnement est un thème central de campagne (Hamon, Mélenchon, quid des autres candidats ?). Cette mesure est largement conditionnée à l’avancée des négociations au sein de la Commission européenne (enjeu de définition, etc.). Comment, concrètement, ces deux candidats (au moins) comptent-ils s’y prendre pour appliquer une telle mesure ? Merci.
En effet, l’interdiction des perturbateurs endocriniens repose sur la définition qui est adoptée pour appliquer des mesures. Or, cette question est au centre d’une bataille réglementaire et scientifique à Bruxelles - c’est en effet la Commission qui est chargée de statuer sur le sujet. Les candidats ne précisent généralement pas quels leviers juridiques leur permettraient d’interdire ces fameuses substances. Emmanuel Macron a précisé par exemple qu’il porterait cette question au niveau de l’Union, mais c’est déjà ce qui est fait, la position de la France étant favorable à une réglementation ambitieuse.
Enfin, au niveau européen, la définition des perturbateurs endocriniens, préalable à leur interdiction ou leur restriction, ne concerne pour l’heure que deux catégories : les pesticides et les biocides. Une large part de l’exposition de la population à ces substances se fait par le biais d’autres catégories (cosmétiques, produits de traitement des meubles ou des textiles, etc.). Quel que soit le candidat élu, il n’y aura donc pas d’interdiction immédiate et générale des perturbateurs endocriniens au sens large.
-Thierry : Comment les candidats Mélenchon et Hamon comptent-ils concilier forte baisse des émissions de CO2 et sortie du nucléaire ? Les Allemands n’y sont pas arrivés : les émissions ne baissent pratiquement plus depuis six ans, et elles restent à un niveau très élevé, malgré des centaines milliards d’euro investis dans les énergies renouvelables. Que comptent faire de plus, ou de différent, nos candidats pour satisfaire les engagements climatiques de la France qu’ils disent soutenir ?
Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon proposent une sortie complète du nucléaire d’ici à 2040 (arrêt de fonctionnement au bout de quarante ans de service pour chaque réacteur pour Mélenchon et une fermeture sur une génération, soit 25 ans, pour Benoît Hamon). La décrue sera donc relativement rapide mais progressive. Un élément important à prendre en compte est que le nucléaire ne représente que 75 % de l’électricité produite en France, qui elle-même ne représente que 25 % de la consommation énergétique. On ne parle donc au total que de remplacer 19 % du mix énergétique français.
Les gros postes de consommation et d’émissions de gaz à effet de serre sont les transports et le bâtiment.
-duffodu : Que dit Emmanuel Macron sur le principe de précaution ?
Le programme d’Emmanuel Macron ne contient aucune réforme du principe de précaution. Par ailleurs, ce dernier s’est dit opposé à l’exploitation des gaz de schiste en France, si telle était votre question.
-Virgile : En quoi consiste concrètement le plan de transition énergétique de Macron (10 milliards sur les 50 de son plan d’investissement global, il me semble) ?
Emmanuel Macron se contente de confirmer la loi de transition énergétique adoptée en 2015, qui prévoit la baisse de 75 % à 50 % de la part de l’électricité produite par le nucléaire en 2025, ainsi que la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Il n’a pas détaillé la façon dont seront affectés les 15 milliards d’euros qu’il souhaite consacrer à la transition énergétique et écologique.
-Mry : Quid de l’usage des pesticides dans l’agriculture française ? Que proposent les candidats ?
La plupart des candidats s’engagent sur une réduction de l’usage des pesticides agricoles mais ne précisent pas par quels moyens. Les seuls principaux candidats à ne pas s’engager outre mesure sur la question sont Marine Le Pen et François Fillon. Le candidat de droite met en avant la compétitivité de l’agriculture française et sa capacité exportatrice.
La réduction des pesticides est une priorité gouvernementale depuis le Grenelle de l’environnement de 2008 et la mise en place du plan Ecophyto, qui visait une division par deux de l’usage des pesticides en dix ans. Or, non seulement cet objectif n’a pas été atteint, mais l’usage des pesticides a augmenté depuis 2008.
François Fillon, en annonçant une division par deux du recours aux pesticides d’ici 2025, ne fait que reprendre les objectifs du plan Ecophyto II, qui a pris la suite du premier plan, lequel a échoué. Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon veulent une interdiction progressive des phytosanitaires les plus dangereux. Cependant, définir un pesticide comme dangereux ne dépend pas du pouvoir politique, mais de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement (Anses) pour les formules commerciales. Emmanuel Macron, de son côté, souhaite séparer les activités de conseil aux agriculteurs des activités de vente de pesticides pour faire baisser leur utilisation - ce conflit d’intérêt institutionnalisé (conseil et vente) est régulièrement dénoncé par les rapports parlementaires publiés ces dernières années sur l’addiction de l’agriculture française aux pesticides. Le candidat d’En marche ! a promis une enveloppe de 5 milliards d’euros pour les agriculteurs, mais entretient le flou sur la destination de cette somme : baisser la quantité d’intrants ou augmenter la compétitivité des exploitations ?
-Marisol : Est-ce que l’un des candidats a parlé d’actions qu’il ou elle mettrait en œuvre pour résoudre le problème des abattoirs qui tuent les animaux de manière inhumaine ? Que disent les candidats de la nourriture « bio » ?
Plusieurs candidats veulent accroître le contrôle des abattoirs (Hamon, Fillon, Dupont-Aignan, Le Pen). La condition animale est présente dans le programme de sept candidats sur onze (Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon semblent les plus en pointe sur ce sujet).
-Christine : Concernant les pesticides, Macron écrit dans son programme « Nous placerons la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens et les pesticides » sans dire comment. Puis, il écrit quelques pages plus loin « Nous ne rajouterons aucune norme nationale aux normes européennes dans les secteurs agricole, maritime et de la pêche ». N’est-ce pas en contradiction ? Que compte faire Macron contre l’usage massif des pesticides ?
Il y a effectivement une contradiction dans ces propos puisque l’adoption d’une réglementation ambitieuse sur les perturbateurs endocriniens conduira mécaniquement à l’interdiction d’une part non négligeable des molécules aujourd’hui utilisées par les agriculteurs pour contrôler les insectes, les mauvaises herbes, etc. Cependant, cette réglementation étant définie au niveau européen, elle ne pénaliserait pas les agriculteurs français par rapport à leurs homologues européens. C’est peut-être comme cela qu’il faut lire la déclaration de M. Macron.
-cerise : Qu’en est-il des néonicotinoïdes, pesticides responsables de la disparition des insectes pollinisateurs ? Quels candidats se prononcent-ils pour un programme vraiment articulé autour de la transition agricole vers le bio ? Quels sont ceux qui défendent un projet un peu plus conséquent que juste un peu de bio à la cantine : aides à la reconversion avec une vraie réorientation de celles-ci, formation professionnelle etc. ?
La question des néonicotinoïdes a fait l’objet d’une loi qui devrait les interdire en France à partir de 2018, avec dérogations possibles jusqu’en 2020. Toutefois, ces molécules pourraient être de toute façon interdites au niveau européen dans le courant du prochain quinquennat. Quant à la question de la transition vers l’agriculture biologique, MM. Hamon et Mélenchon sont les deux candidats les plus volontaristes sur la question. De son côté, M. Macron assume de plutôt miser sur une réduction globale de l’usage des pesticides, en incitant les exploitations conventionnelles à réduire leurs intrants chimiques.
-Sissi de GdV : Selon l’OMS, le diesel semble devenir un problème de santé publique. Quelles sont les mesures proposées par les candidats ? Suppression, taxation, énergie « verte » ou… rien.
Deux mesures reviennent principalement pour lutter contre les effets néfastes du diesel (classé comme cancérigène avéré pour l’Homme par l’OMS) : réaligner la fiscalité avantageuse du diesel sur celle de l’essence afin de limiter les effets incitatifs (Hamon, Lassalle, Mélenchon, Macron) et en sortir progressivement (Hamon, Cheminade, Mélenchon). Sur les modalités, M. Hamon souhaite interdire la vente de véhicules neufs fonctionnant au diesel en 2025.
Marine Le Pen, en revanche, ne souhaite pas réformer la fiscalité du diesel afin de ne pas pénaliser le pouvoir d’achat.
-Thierry : Vous ne répondez pas à ma question. Les Allemands n’arriveront pas à tenir leurs objectifs climatiques, malgré leur investissement. Comment comptent faire nos candidats ? Par ailleurs, les transports sont en cours d’électrification (voiture électrique, tramways,…). Les bâtiments le sont aussi, du moins en France. L’électrification est donc bien un moyen de réduire les émissions de CO2. Vous évoquez le scénario negaWatt, mais celui-ci requiert une baisse de presque 4 % par an de la consommation d’énergie primaire, pendant vingt ans (division par trois). Pensez-vous que c’est crédible, et compatible avec la croissance économique ? Il requiert aussi 18 000 éoliennes terrestres de 3MW. Pensez-vous qu’elles seront acceptées ?
Les Allemands sont en effet en retard sur leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais ce retard n’est pas imputable à la sortie du nucléaire, puisque aucune centrale à charbon n’a été réouverte, contrairement aux idées reçues.
Le scénario negaWatt repose effectivement sur une baisse drastique de la consommation d’énergie, à la fois par la « sobriété énergétique » (lutte contre les gaspillages) et par l’efficacité énergétique (l’amélioration des performances des logements). Mais la loi de transition énergétique française prévoit elle-même une division par deux de la consommation d’énergie en France en 2050.
Quant à la question de l’acceptation des éoliennes, elle est effectivement cruciale : ce sont les multiples recours déposés par des associations et des habitants qui, jusqu’ici, ont empêché ce secteur de décoller en France. Il s’agit de choix de société sur lesquels nous ne pouvons nous prononcer.
-tlsepp : Comment analysez-vous le « virage » écologique pris par Jean-Luc Mélenchon lors de ces dernières semaines ?
Le virage écologique de M. Mélenchon n’est pas si récent : la « planification écologique » apparaît déjà en bonne place dans le programme du Front de gauche en 2012. L’un des angles d’approche de M. Mélenchon est notamment d’intégrer aux biens d’importation leur coût écologique en les taxant aux frontières. La préservation de l’environnement est ainsi mise en cohérence avec le projet de M. Mélenchon de lutter contre la mondialisation marchande. Il devra cependant, pour prendre ce virage, sortir de l’union douanière européenne ou en renégocier les termes.
-MarineA : Les « petits » candidats font-ils des propositions originales ou innovantes ?
Les « petits » candidats font effectivement assaut d’idées originales. En voici quelques-unes :
- Nathalie Arthaud souhaite interdire la chasse à courre.
- Jacques Cheminade souhaite développer la filière nucléaire au thorium et la fusion nucléaire contrôlée.
- Jean Lassalle veut créer une taxe carbone appliquée au kérosène.
- Philippe Poutou veut interdire les publicités énergivores.
- François Asselineau souhaite créer une taxe verte sur les importations.
-Mo : Quelle est la position des candidats sur la taxe carbone (application, modification du dispositif, abandon…) ?
Sur la fiscalité environnementale, Benoît Hamon, Jean Lassalle, François Asselineau ou encore Emmanuel Macron sont favorables à diverses formules de taxe carbone (sur les activités polluantes pour les uns, sur les importations ou le kérosène pour les autres).
Vous pouvez retrouver l’ensemble des propositions des candidats sur ce sujet sur notre comparateur de programmes.
-Guillaume : François Fillon a t-il un programme en faveur de l’environnement ?
Parmi les principaux candidats, François Fillon est le moins engagé en faveur de l’environnement. Il ne porte dans son programme aucune mesure spécifique sur ce thème. Il est notamment favorable à la suppression du principe de précaution, inscrit en 2005 dans la Constitution par Jacques Chirac, ce qui est le socle de la majorité des politiques environnementales. En outre, M. Fillon a été le seul candidat à soutenir une position proche du climatoscepticisme en déclarant que le changement climatique n’est qu’« en partie » provoqué par les activités humaines (le consensus scientifique qui prévaut est qu’il n’y a pas d’autres causes connues à la tendance actuelle au réchauffement).
-Sacha : Certains candidats sont-ils ouvertement climatosceptiques ?
François Fillon a déclaré le 3 avril que l’Homme était « en partie responsable » du réchauffement climatique. Ce n’est pas une négation de la réalité du phénomène, mais la tentative de relativiser le poids des activités humaines sur les changements climatiques. C’est une forme de climatoscepticisme. Il est, à notre connaissance, le seul à avoir tenu une position climatosceptique dans cette campagne présidentielle.
-Nico : Lequel des programmes de Mélenchon et de Hamon vous semble le plus abouti, le plus cohérent et le plus ambitieux ?
Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon sont les deux candidats qui ont le programme le plus complet et le plus structuré en matière environnementale. Ils en font un axe central de leur projet politique. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre comparateur de programme ainsi que cet article comparant les propositions écologiques des candidats.