Hausse significative des troubles psychologiques aux Etats-Unis
Hausse significative des troubles psychologiques aux Etats-Unis
Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)
D’après une étude publiée lundi, 8,3 millions d’Américains souffrent de pathologies qui nécessitent un suivi médical.
« Les maladies mentales sont en hausse, les suicides sont en hausse et l’accès aux soins psychiatriques se détériore. » Ce sombre tableau des Etats-Unis est celui dépeint par Judith Weissman, chercheuse au Centre médical Langone de l’Université de New York, dans une étude publiée, lundi 17 avril, dans la revue Psychiatric Services.
L’enquête révèle notamment que plus de 8,3 millions d’Américains souffrent de troubles psychologiques importants : un record. Ce sont ainsi 3,4 % de la population qui sont victimes de dépressions, de stress ou d’angoisses, qui nécessitent un suivi médical. Il y a dix ans la proportion n’était que de 3 %.
L’étude s’appuie sur les dossiers des 35 000 ménages – soit 200 000 individus –, participant chaque année à l’enquête menée par les Centres de prévention et de contrôle de la maladie répartis à travers l’ensemble des Etats-Unis. Les personnes interrogées doivent décrire leur état mental par rapport à six sentiments : la tristesse, le sentiment d’inutilité, le fait d’être incapable de faire des efforts, la nervosité, le sentiment d’agitation et celui d’épuisement.
Déclassement économique
La dégradation de la situation pourrait être liée à la crise financière de 2008 qui aurait causé des dommages émotionnels sur le long terme sur les populations les plus fragiles, avance le docteur Weissman. « La récession semble avoir poussé les malades mentaux à un point où ils ne s’en remettent jamais », explique-t-elle.
« Ce constat est très inquiétant en raison des conséquences que la maladie mentale peut provoquer sur une personne en termes de qualité de vie et d’espérance de vie. »
Une personne atteinte de troubles bipolaires ou de schizophrénie peut voir son espérance de vie amputée de 25 ans par rapport au reste de la population, estiment les spécialistes.
L’étude, qui porte sur la période 2006-2014, insiste sur le fait qu’une proportion importante des individus touchés psychologiquement par la Grande dépression n’ont pas été en mesure d’obtenir les soins dont ils avaient besoin, soit parce qu’ils n’en avaient pas les moyens, soit parce que leur état mental ne leur permettait pas de trouver des solutions. Le déclassement économique peut conduire à l’isolement par rapport à sa communauté, ce qui complique la prise en charge médicale.
Pénurie de professionnels
La dégradation de l’accès aux services de soins est significative. En 2014, près d’un Américain sur dix souffrant de détresse psychologique sévère n’avait pas de couverture médicale permettant de consulter un spécialiste. Le taux n’était que de 9 % huit ans auparavant. Par ailleurs, 9,9 % n’avaient pas les moyens en 2014 de payer leurs médicaments contre 8,7 % en 2006. L’étude souligne également la pénurie de professionnels de santé dans le domaine des maladies mentales.
Dans le même temps, la croissance des risques de maladie mentale s’est accompagnée d’une évolution des catégories de population les plus touchées. Selon Mme Weissman, les 45-59 ans sont désormais devenus un groupe à haut risque. Selon la chercheuse, il s’agit en particulier de la première génération d’individus qui ont le sentiment que leurs perspectives de vie seront globalement moins bonnes que celles de leurs parents.
La dégradation de l’accès au soin est spécifique aux maladies mentales, note le docteur. Le vote en 2008 d’une loi spécifique (« Mental Health Parity and Addiction Equity Act ») et celui de l’Obamacare en 2010 n’ont pas réussi à améliorer la situation dans le domaine psychiatrique et psychologique.
« Notre étude pourrait aussi aider à expliquer pourquoi le taux de suicide est en hausse pour atteindre 43 000 par an », avance Mme Weissman. Cet élément vient corroborer l’étude publiée fin 2015 par Angus Deaton, prix Nobel d’économie. Celle-ci montrait que le taux de mortalité de la population blanche américaine la moins éduquée et âgée de 45 à 54 ans a augmenté de façon inédite au cours de la dernière décennie, principalement en raison d’un bond des suicides, mais aussi de la forte progression des pathologies liées à la consommation de drogue et d’alcool.