François Delattre, porte-voix de la France à l’ONU
François Delattre, porte-voix de la France à l’ONU
M le magazine du Monde
Le diplomate siège aux Nations unies depuis près de trois ans. Cet homme prudent, au contact facile, entend renforcer le rôle de trait d’union joué par l’Hexagone au sein du Conseil de sécurité, divisé sur la question syrienne.
L’ambassadeur français à l’ONU François Delattre, entouré de ses homologues britannique Matthew Rycroft et américaine Nikki Haley, au siège des Nations unies, le 28 février 2017. | Li Muzi/Xinhua-Réa
Vendredi 7 avril au petit matin. Lorsque les premiers Tomahawk tombent sur une base de l’armée syrienne située près de Homs, François Delattre, l’ambassadeur français à l’ONU, n’est pas surpris. Comme son partenaire britannique Matthew Rycroft, il a été prévenu de l’imminence des frappes américaines par Nikki Haley, la représentante de Washington aux Nations unies. La veille encore pourtant, M. Delattre négociait avec les Russes, les Américains et les Britanniques un texte condamnant fermement les attaques chimiques sur le village de Khan Cheikhoun, imputées à l’aviation syrienne, et visant à établir une enquête poussée. Une négociation « ardue », comme il les affectionne. Le but de la négociation était clair : obtenir le soutien russe et créer une dynamique positive. A défaut, pousser au veto pour pointer publiquement les responsabilités.
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Tout a changé en moins de vingt-quatre heures. Les échanges ont été incessants entre le groupe dit du « P5 », ces cinq ambassadeurs dotés du pouvoir de droit de veto, puis avec les 10 membres non permanents. M. Delattre, tenant d’une diplomatie plus tranquille, a cherché le point de stabilité dans l’asymétrie des relations russo-américaines. Mais quand Nikki Haley brandit, en pleine réunion publique du Conseil de sécurité, deux photos insoutenables des corps enchevêtrés de jeunes enfants, la politique a définitivement télescopé l’effort diplomatique. L’ancienne gouverneure de Caroline du Sud, sans aucune expérience de politique étrangère, assure que les Etats-Unis sont prêts à mener une action unilatérale en Syrie sur instruction de l’administration Trump.
Comme tous les ambassadeurs, François Delattre rapporte immédiatement à sa capitale ce qui s’est joué. Son message est clair et déjà tourné sur le « jour d’après ». Il regrette « une posture pour se racheter à bon compte une position de fermeté sur la Syrie » et martèle la nécessité d’un réengagement américain pour une solution politique. Porte-voix de la position française, il assure néanmoins dans le cadre solennel du Conseil de sécurité que cette intervention est « une réponse légitime à la récente attaque chimique et un avertissement important pour l’avenir afin de dissuader [les Syriens] ». Mais au contraire de ses partenaires américains et britanniques qui assurent que « Bachar Al-Assad a humilié la Russie », il prend garde à ne pas vitrioler Moscou. « En diplomatie, la méthode est clé… », assure-t-il. Paris ne s’est d’ailleurs pas résigné, continuant à négocier en coulisse pour obtenir le soutien russe ou, à défaut, pousser Moscou au veto pour le mettre face à ses responsabilités.
Issu du moule classique de la diplomatie française, passé par Sciences Po puis l’ENA, cet homme de 53 ans, marié et père de deux enfants, a vécu ces dix dernières années en Amérique, entre New York, en tant que consul général (2004-2008), le Canada,
où il a été ambassadeur entre 2008 et 2011, puis Washington, comme ambassadeur
de France aux Etats-Unis pendant trois ans. C’est François Hollande qui l’a nommé
à l’ONU en 2014.
Trouver le mot juste
Jusque-là à l’aise dans son cadre bilatéral, François Delattre a plongé dans le chaudron du multilatéralisme et le rythme harassant de l’organisation internationale. Ses plus proches collaborateurs louent ses qualités de dialogue et d’analyse « en trois points » sans s’étonner de recevoir un mail à deux heures du matin. La France est l’un des membres les plus actifs, à l’origine de plus d’un quart des textes adoptés, en particulier sur l’Afrique. Lors des réunions du Conseil de sécurité, c’est l’un des rares, stylo à la main, à biffer et à annoter ses discours, se tournant régulièrement vers ses conseillers pour trouver le mot juste.
Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni le 5 avril en urgence, après l’attaque chimique de Khan Cheikhoun, en Syrie. | Luiz Roberto Lima/Citizenside
Ses propos sont calibrés et didactiques. Une prudence jugée parfois excessive. François Delattre entend ainsi résister à la pression des réseaux sociaux, y voyant le risque d’« une machine infernale » qui conduit « à de l’autopromotion et à se servir de l’Etat plutôt que le servir ». Sa carte maîtresse est le contact humain, que tout le monde lui reconnaît facile et chaleureux. La maxime de Richelieu « Il faut toujours négocier de près comme de loin » pourrait être sienne.
Le premier à évoquer la victoire de Trump
Toujours proche des membres du Congrès américain, qu’ils soient républicains ou démocrates, et de l’ex-secrétaire d’Etat John Kerry avec qui il avait négocié directement une résolution contre Daesh suite aux attentats de Paris, François Delattre est le premier à avoir évoqué off the record devant les journalistes l’hypothèse d’une victoire de Donald Trump. C’était près d’un an avant l’élection. Une intuition nourrie de sa très bonne connaissance du terrain. « C’est l’aspect le plus fascinant du métier de diplomate de jouer sur cette combinaison des espaces-temps », admet-il. Le temps très court d’une négociation diplomatique « et le temps plus long des évolutions politiques, religieuses et démographiques ».
A l’heure du Brexit, François Delattre espère une France encore plus impliquée à l’ONU. La Russie joue sa carte. Avec l’administration Trump, le multilatéralisme est en option. Et la Chine renforce son rôle sur la scène internationale. Dans ces jeux de puissance, la France veut valoriser ses atouts, à commencer par son statut de « trait d’union » indispensable en temps de crise. Ses jours à l’ONU sont-ils comptés, à quelques semaines de l’élection présidentielle française ? Un nouveau chef de l’Etat ne signe pas forcément le départ du représentant de l’Hexagone, même si tout dépendra sans doute du vainqueur.