Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, en mars 2016 à Bruxelles. | Virginia Mayo / AP

C’est un vrai coup de massue que la justice espagnole a asséné, mardi 18 avril, au premier ministre, Mariano Rajoy, en décrétant qu’il devra comparaître comme témoin au procès du vaste réseau de corruption Gürtel, l’un des plus graves à avoir éclaboussé son parti. Ainsi en a décidé l’audience nationale, tribunal spécialisé dans les affaires politico-financières et de terrorisme. M. Rajoy sera cité en tant que président du Parti populaire (PP), poste qu’il occupe depuis 2004.

Selon les dispositions de la loi espagnole, il pourra, s’il le souhaite, comparaître par téléconférence depuis sa résidence de la Moncloa. Ce sera au tribunal d’en décider. Aucune date n’a été encore fixée. Dans un communiqué, le gouvernement s’est contenté de dire qu’il ne commentait « jamais les décisions judiciaires et les respectait toujours ».

M. Rajoy sera le premier chef de gouvernement en exercice à témoigner devant un tribunal. En 1991, c’est par écrit que le socialiste Felipe Gonzalez avait répondu aux questions qui lui avaient été adressées lors du procès des Groupes antiterroristes de libération, responsables d’une « guerre sale » contre ETA. En 1998, lorsqu’il avait de nouveau comparu, cette fois en personne, dans le cadre de la même affaire, M. Gonzalez n’était plus premier ministre.

Détournement de fonds publics

Gürtel est un scandale qui ne fait plus vraiment la « une » des journaux, perdu dans les méandres interminables d’une enquête débutée en 2007. Dans le cadre du procès, qui s’est finalement ouvert en octobre 2016, trente-sept personnes – dont plus de douze anciens élus et ex-responsables du PP – ont été mises en examen, soupçonnées d’avoir participé à un réseau sophistiqué de détournement de fonds publics entre 1999 et 2005. Plus de trois cents témoins ont été cités devant les juges.

Au centre de ce réseau, deux inculpés vedettes : l’homme d’affaires Francisco Correa, qui versait pots-de-vin et cadeaux à des fonctionnaires et des élus pour que ces derniers attribuent des marchés publics (autoroutes, maintenance de voies ferrées, travaux environnementaux) à certaines entreprises « amies ». C’est lui qui a donné son nom à l’affaire : correa veut dire « courroie » en espagnol. Par jeu de mot, la police l’a baptisé « Gürtel », « ceinture » en allemand.

Et puis, il y a Luis Barcenas, ami de M. Rajoy et ancien trésorier du PP. M. Barcenas est tenu de s’expliquer sur l’origine de son immense fortune, jusqu’à 48 millions d’euros placés sur des comptes en Suisse. En janvier, devant les juges, il avait admis que le parti disposait « de ressources qui n’apparaissaient pas dans sa comptabilité officielle », alimentées selon lui par des donations d’entrepreneurs espagnols.

« Intentionnalité politique »

Mariano Rajoy a toujours déclaré ne rien savoir de l’affaire Gürtel, parlant de « complot contre le Parti populaire » et « d’événements qui ont eu lieu il y a de nombreuses années ». Le procès « n’est pas ma priorité », répétait-il en janvier, lors d’une interview à la radio Onda Cero. M. Rajoy a aussi affirmé ne pas connaître M. Correa, mais a reconnu avoir envoyé en 2013 un SMS de soutien à son ami Barcenas, « Luis, soit fort », alors que la presse s’emparait de l’affaire. Il l’a depuis regretté. « J’ai commis une erreur », reconnaissait-il deux ans après.

Après avoir été reconduit au gouvernement fin octobre 2016, le Parti populaire pensait avoir amorti les retombées politiques des scandales de ces dernières années. L’affaire Gürtel avait notamment entraîné la démission en 2014 de la ministre de la santé, Ana Mato, dont l’ex-mari est jugé en tant que bénéficiaire présumé d’importants cadeaux du réseau.

Le PP, qui a été complètement pris au dépourvu, a dénoncé une situation « d’abus de droit » et durement critiqué « l’intentionnalité politique » d’une décision judiciaire « qui n’apporte rien ». Les conservateurs accusent l’Association des avocats démocrates d’Europe, à l’origine de la demande, d’être proche des socialistes et d’avoir attribué à Rajoy « des fonctions qui ne correspondaient pas à ses responsabilités ».

En plein débat sur le budget 2017, la nouvelle ne pouvait pas plus mal tomber pour le parti du premier ministre. Toutes les formations politiques ont demandé à M. Rajoy de comparaître devant les députés. L’un des porte-parole du Parti socialiste ouvrier espagnol a « exigé [de lui] des explications » sur le financement illégal du PP. Le parti de gauche Podemos a parlé de « honte nationale ». Et la formation centriste Ciudadanos, la seule à s’être alliée avec le PP, a annoncé qu’elle demanderait la démission du chef du gouvernement « s’il venait à être mis en examen pour corruption ».