Quatre cas emblématiques de dumping social
Quatre cas emblématiques de dumping social
LE MONDE ECONOMIE
Terra Fecundis, Ryanair, Norbert Dentressangle et Bouygues, accusées de violer la loi, ont connu des fortunes judiciaires diverses.
Plusieurs grandes entreprises, françaises ou étrangères, ont été accusées de violer la loi pour pouvoir employer une main-d’œuvre bon marché dans l’Hexagone. Ces affaires de dumping social ont connu des fortunes diverses – relaxe, peines jugées clémentes… –, ce qui prouve combien il est ardu de combattre le travail illégal.
- Terra Fecundis
Chaque saison, ils sont 3 000 ou 4 000 à venir travailler dans les exploitations agricoles françaises. Des ouvriers originaires pour la plupart d’Amérique latine, qui ramassent des asperges dans les Landes, des fruits dans le delta du Rhône ou qui font les vendanges en Bourgogne.
Employés par Terra Fecundis, une société d’intérim espagnole, ils sont sous le régime du détachement. Leurs conditions de travail sont parfois indignes et des frais seraient abusivement prélevés sur leurs salaires. En juillet 2011, un Equatorien est mort après un coup de chaleur dans une exploitation des Bouches-du-Rhône.
Malgré une enquête préliminaire pour « travail dissimulé en bande organisée » ouverte en 2014 à Marseille, Terra Fecundis continue ses activités. En 2015, la société a envoyé une lettre à ses clients dénonçant des pratiques « totalitaires » et une « vendetta fiscale » de la part de la France.
En retour, et face à la lenteur de la justice, l’inspection du travail du Gard a écrit, en mars, aux 104 exploitants du département ayant recours à ses services pour les avertir que leur responsabilité pourrait être engagée en cas de fraude avérée. Mais ceux-ci continuent d’apprécier une main-d’œuvre flexible, facturée entre 14 et 15 euros de l’heure.
- Ryanair
La compagnie aérienne irlandaise à bas coûts reste dans le collimateur de la justice. Elle a été de nouveau mise en examen, en janvier, pour travail dissimulé. La direction est soupçonnée de ne pas avoir déclaré, de 2011 à 2014, ses salariés de l’aéroport de Marseille-Provence et de leur avoir appliqué la législation irlandaise, ce qui lui permettait de payer des charges moins lourdes.
Les faits, qui ne relèvent pas stricto sensu de la fraude au détachement, sont de même nature que ceux commis de 2007 à 2010 : ils ont valu à Ryanair d’être condamnée à 200 000 euros d’amendes et 8,1 millions d’euros de dommages et intérêts. Un pourvoi en Cassation a été formé contre la décision. Le fait que la compagnie irlandaise fasse l’objet de nouvelles investigations montre qu’elle s’obstine à contester les règles.
- Norbert Dentressangle
Le transporteur Norbert Dentressangle s’est-il livré à du dumping social, en faisant travailler en France, et à moindre coût, des chauffeurs étrangers employés par certaines de ses filiales européennes ? A ce stade, la réponse est non pour la justice.
Le tribunal correctionnel de Valence a relaxé, en mai 2016, six cadres de l’entreprise (qui s’appelle désormais XPO Logistics) et trois sociétés du groupe, poursuivies en tant que personne morale. Des syndicats, dont la CFTC et la CFDT, mais aussi l’Urssaf, étaient parties civiles, tout comme de nombreux conducteurs. L’enquête avait permis de mettre au jour une organisation millimétrée.
Me Georges Meyer, l’avocat des syndicats, avait indiqué, peu avant le procès, que « tout était piloté depuis la France : les plannings des conducteurs, les rotations de personnels, les sanctions, l’attribution de primes… ». Mais le tribunal a donné raison à la défense. Les syndicats et le parquet, qui avait requis à l’audience trois ans de prison avec sursis contre les six cadres, ont fait appel.
- Bouygues
C’est une demi-victoire pour la CGT Construction, qui était partie civile dans une vaste affaire de travailleurs irrégulièrement détachés sur le chantier de la centrale nucléaire de Flamanville (Manche).
Le 20 mars, la cour d’appel de Caen a confirmé la condamnation prononcée en première instance contre – entre autres – Bouygues Travaux Publics, alourdissant au passage l’amende (portée de 25 000 à 29 950 euros). La responsabilité de la société a été reconnue dans le recrutement, par l’intermédiaire d’une société d’intérim, de 163 salariés polonais, qui n’étaient pas dûment déclarés.
Pour la CGT, les sommes réclamées sont « dérisoires [pour] un groupe qui déclare des centaines de millions d’euros de résultat net ». Une appréciation partagée par la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, qui trouve « scandaleuse la légèreté de cette amende face à l’ampleur de la fraude, qui porte sur plusieurs centaines de salariés ».