Shigeru Ban : « Mes bâtiments publics sont connectés à la ville »
Shigeru Ban : « Mes bâtiments publics sont connectés à la ville »
M le magazine du Monde
Ses structures légères et ses habitats d’urgence l’ont rendu célèbre. L’architecte japonais Shigeru Ban dévoile La Seine musicale sur l’Île Seguin, à Boulogne-Billancourt. Un immense complexe culturel, coiffé d’un œuf de verre et d’un écosystème.
Shigeru Ban. | SHIGERU BAN ARCHITECTS
Comment se fait-il que la Seine musicale ressemble aussi peu à vos précédents projets ?
Les contraintes étaient fortes. Le conseil départemental voulait que j’en fasse un symbole, une porte pour Paris, comme l’Opera House, à Sydney. En outre, je devais respecter le plan directeur de l’Île Seguin dessiné par Jean Nouvel. Il a fallu que je m’inspire de l’esthétique des usines Renault qui couvraient auparavant le site. J’ai prolongé la rue commerçante à l’intérieur du bâtiment, et j’ai végétalisé le toit, pour faire écho à la ceinture verte qui file le long de l’île. Enfin, le programme requérait 6 000 m² de panneaux solaires – je les ai appliqués sur une voile qui enveloppe le dôme de l’auditorium et qui, arrimée à des rails, suit la course du Soleil. À l’arrivée, La Seine musicale est une construction très marquée, presque iconique, ce qui est inhabituel pour moi.
Un autre élément marquant est l’immense baie vitrée du hall. Pour le coup, cette volonté d’ouvrir le bâtiment sur son environnement est une constante dans votre travail.
La Seine musicale, vue de l’intérieur. | DIDIER BOY DE LA TOUR
C’est vrai. Contrairement à la plupart des musées, pensés comme des boîtes noires, les bâtiments publics que je conçois sont toujours connectés à la ville. Les gens doivent s’y sentir invités. C’est pour cela que j’ai imaginé cette baie vitrée, qui bascule de façon à ce que l’esplanade se poursuive à l’intérieur du bâtiment. Pour la même raison, j’ai fait installer sur la façade un écran géant sur lequel j’espère que les concerts seront retransmis.
L’autre originalité du lieu tient à l’usage que vous faites des tubes en carton, que l’on retrouve jusque dans les plafonds et les fauteuils de la salle de concert. Comment avez-vous découvert les propriétés de ce matériau ?
Inspirée de l’esthétique des usines Renault de l’Île Seguin, La Seine musicale sera inaugurée le 21 avril par un concert de Bob Dylan. | DIDIER BOY DE LA TOUR
Je suis fan de l’architecte finlandais Alvar Aalto. Lorsqu’en 1986, j’ai scénographié l’exposition qui lui était consacrée à la galerie Axis de Tokyo, je n’avais pas les moyens d’utiliser du bois. Aussi, je me suis rabattu sur des tubes en carton qui, depuis, sont devenus des éléments centraux de mes projets, notamment en habitat d’urgence. Après le tremblement de terre de L’Aquila en Italie, par exemple, nous avons construit une salle de concert en tubes de carton. À Camerino l’an dernier, nous les avons utilisés pour fabriquer des rideaux qui offraient un peu d’intimité aux familles relogées dans le gymnase.
Pourquoi vous impliquez-vous autant dans l’habitat d’urgence ?
En 2013, l’architecte Shigeru Ban utilisait des tubes en carton pour bâtir une cathédrale provisoire deux ans après le séisme qui a frappé la ville de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. | STEPHEN GOODENOUGH
J’ai été déçu le jour où j’ai compris que mon métier consiste à travailler pour des gens qui ont de l’argent et du pouvoir, deux attributs invisibles qu’ils veulent montrer en commandant aux architectes des bâtiments monumentaux. Bien sûr, j’assume cette partie de mon travail, mais j’ai aussi souhaité prendre mes responsabilités. L’habitat d’urgence s’est imposé
à moi comme un champ d’action évident, dans la mesure où j’estime que ce sont les architectes qui sont en faute, lorsque les immeubles s’effondrent et que les habitants se retrouvent à la rue.
Ces projets temporaires deviennent parfois permanents, comme la cathédrale
de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Comment travaillez-vous sur ces deux
temporalités ?
Quand je dessine, je ne sais jamais si l’édifice sera temporaire ou permanent. Ainsi, l’église en papier que j’avais dessinée à Kobé a tenu dix ans avant d’être démantelée… pour être envoyée à Taïwan à la suite d’un tremblement de terre. Vingt-deux ans plus tard, elle sert toujours d’église aux Taïwanais. Ce qui fait la différence entre le temporaire et le permanent ce n’est pas le matériau, mais la qualité du projet. Un bâtiment en béton développé par un promoteur avide n’aurait peut-être pas duré aussi longtemps que certains de mes bâtiments temporaires en carton…