TV : « Pepys Road » ou l’anatomie d’une artère
TV : « Pepys Road » ou l’anatomie d’une artère
Par Renaud Machart
Notre choix du soir. A travers le prisme des habitants d’une rue du sud de Londres, cette mini-série décrit les évolutions de la société britannique (sur Arte à 20 h 55).
Main basse sur Pepys Road (1/3) - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:46
Capital, diffusé à la fin de l’automne 2015 par BBC 1, en Grande-Bretagne, et qu’Arte propose sous le titre Main basse sur Pepys Road, est-il une minisérie ou un long téléfilm en trois parties ? On balancera plutôt pour la seconde solution, d’autant que la chaîne franco-allemande a choisi de diffuser les épisodes de près d’une heure en une seule soirée, alors que la chaîne britannique avait préféré le rythme de trois rendez-vous hebdomadaires.
Main basse sur Pepys Road est-il (ou elle) une série policière ? Si l’on s’en tient aux cartes postales (qui indiquent toutes : « Nous voulons ce que vous avez »), aux photos et aux films passablement inquiétants que reçoivent les habitants de cette tranquille rue résidentielle du sud de Londres, il pourrait bien s’agir de cela. Mais, à ce compte-là, le téléspectateur pourrait être surpris – et, d’une certaine façon, déçu – par un dénouement pour le moins inattendu.
Pourtant l’essentiel du propos de Peter Bowker, qui a adapté pour la télévision le roman Capital (Chers voisins), de John Lanchester, est ailleurs : Main basse sur Pepys Road fait le portrait choral des habitants de ce quartier autrefois très middle class et désormais soumis à l’inflation incontrôlable des prix de l’immobilier londonien.
Portrait de groupe aigre-doux
Y cohabitent la famille pakistanaise qui tient la petite épicerie du coin ; un courtier de banque enrichi par ses bonus puis soudainement ruiné par les jeux d’écritures en yo-yo de son entreprise et les méfaits d’un assistant qui le trahit ; son épouse, détestable et snob, qui passe son temps à donner des consignes de redécoration à un ouvrier polonais ; une veuve âgée et en fin de vie qui ne veut pas quitter, malgré les pressions, la maison qu’elle a toujours connue ; la pervenche du quartier travaillant sans papiers qui se voit menacée d’expulsion dans son Rwanda natal… Leurs existences entremêlées ou simplement juxtaposées constituent un portrait de groupe assez aigre-doux de l’Angleterre d’aujourd’hui, dont la paisible tradition multiculturelle est menacée par la radicalisation religieuse et les règles inflexibles de l’immigration…
Joseph Kpobie et Toby Jones dans la série « Pepys Road ». | © KUDOS/HAL SHINNIE
On remarque, en tête d’affiche, Toby Jones, vu dans la série Wayward Pines et qui incarna, au cinéma, un formidable Truman Capote dans Infamous (2006), de Douglas McGrath (la ressemblance de Jones avec l’écrivain est assez frappante). Dans Main basse sur Pepys Road, il compose un personnage subtilement inquiétant dans sa banalité d’homme peu sensible à sa vie de famille et à ce qui l’entoure.
On note la présence d’autres grands acteurs britanniques comme Lesley Sharp – qu’on avait vue autrefois dans la minisérie Bob & Rose (2001), diffusée deux ans plus tard en France par Canal Jimmy – ou l’étonnante Gemma Jones, que Woody Allen avait choisie pour incarner le principal second rôle féminin de Vous allezrencontrer un bel et sombre inconnu (2010). En ne « jouant » quasiment pas – sinon en faisant passer dans son regard la tristesse et la détresse d’une fin de vie désolée –, la comédienne semble incarner à elle seule ces petites gens cernés par la « gentrification » des quartiers populaires au profit des « bobos » et des nouveaux riches.
Main basse sur Pepys Road (Capital), minisérie créée par Peter Bowker et réalisée par Euros Lyn. Avec Toby Jones, Rachael Stirling, Gemma Jones, Danny Ashok, Shabana Azmi, Robert Emms, Lesley Sharp (GB, 2015, 3 × 58 min).