Paroles de Français de l’étranger : « Depuis Montréal, j’ai honte de la France »
Paroles de Français de l’étranger : « Depuis Montréal, j’ai honte de la France »
Par Camille Bordenet
Installés en Finlande ou au Canada, des Français de l’étranger s’inquiètent des menaces que l’élection d’un candidat eurosceptique ferait peser sur l’Europe.
Drapeaux français et européens, à Berlin, le 2 avril. | Markus Schreiber / AP
Est-ce les plus de 5 000 kilomètres qui la séparent de la France ? Ou bien les « échos déformés » et pessimistes qui lui en parviennent de l’autre côté de l’Atlantique ? Installée à Montréal depuis 2013, Pernelle M., 26 ans, a suivi cette campagne présidentielle de loin. Au sens propre, comme au sens figuré. « A force d’entendre les débats se cristalliser sur l’immigration, alors que je suis moi-même une immigrée, de voir Marine Le Pen monter, d’entendre scandale sur scandale, je me suis déconnectée, par dégoût », déplore la jeune femme au bout du fil, un accent québécois chantant qu’elle a fini par attraper, en quatre ans sur place.
Originaire de la Drôme, Pernelle a quitté la France pour terminer ses études d’ingénieur ; et n’est plus revenue. Elle occupe aujourd’hui un poste de gestionnaire de projets logistiques dans l’aéronautique, au salaire confortable. Elle fait partie de ces quelque 1,3 million de Français de l’étranger inscrits sur les listes électorales consulaires, environ 2 % du corps électoral.
Pernelle ne s’est « jamais autant sentie française » que depuis qu’elle a quitté son pays. Mais en ce moment, elle n’arrive plus à en être fière : « J’ai honte de la France, honte de représenter, aux yeux de mes amis et collègues, un pays qui serait capable d’élire un dirigeant qui traîne autant de casseroles, ou qui divise les gens. Un pays à deux doigts de basculer dans l’extrême droite et de quitter l’Europe. » Après avoir vu leur voisin américain choisir Donald Trump, les Canadiens sont inquiets de voir leur partenaire français tenté par Marine Le Pen, raconte-t-elle.
Pernelle a toujours été « très politisée »
« Désenchantée », la jeune expatriée s’est décidée à aller voter, malgré tout. Elle est pourtant d’une « nature optimiste », comme elle le précise, et a toujours été « très politisée ». « Ce dégoût-là », c’est la première fois qu’elle le ressent. Elle s’est beaucoup documentée sur les programmes de chacun des candidats et est en train d’éplucher les professions de foi, qu’elle vient de recevoir.
Malgré tout, elle votera certainement blanc. « Sinon ce serait de toute façon un vote par défaut, il n’y aucun candidat qui fait battre mon cœur », précise-t-elle. 2012 et l’excitation qui la portait alors pour son premier vote lui semblent bien loin. C’était François Hollande aux deux tours, et qui l’avait « convaincue » : « J’avais l’impression d’avoir un poids, se souvient-elle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » (Elle soupire.) « Même l’acte de voter nécessite un effort pour les Français de l’étranger », ajoute la jeune femme.
N’habitant pas Montréal même, elle devra faire cinquante kilomètres aller-retour en voiture pour aller jusqu’à son bureau de vote. Elle déplore que des solutions plus simples ne soient pas mises en place, alors que les Français de l’étranger sont déjà privés de vote en ligne pour l’élection présidentielle, et les législatives de 2017. « Aux Etats-Unis, les gens peuvent voter par avance par correspondance. (…) Ça démobilise. On a l’impression que notre vote ne vaut rien », regrette-t-elle.
Ce qui préoccupe aussi Pernelle, ce sont ces candidats eurosceptiques qui prônent une sortie de la France de l’Europe. Depuis qu’elle vit au Canada et travaille dans un domaine où les frontières sont des barrières, elle réalise plus encore à quel point « la libre circulation des personnes et des biens est précieuse » : « La force de vingt-sept pays réunis ça représente pour moi un idéal. »
Pour Bruno, la notion d’Europe fait sens
« La pérennité de l’Europe », c’est aussi la principale préoccupation de Bruno D., 37 ans, responsable du contrôle de gestion dans un groupe d’ingénierie en Finlande. Ce n’est pas pour le travail que ce Lyonnais d’origine est venu s’installer à Helsinki, mais parce que sa femme, Elina, qu’il a rencontrée lors d’un échange scolaire au lycée il y a vingt ans, en est originaire. Le couple fino-français a trois enfants de 7, 5 et 2 ans. Tous les cinq ont la double nationalité.
Autant dire que dans cette famille la notion d’Europe fait sens. Et l’épouvantail d’un « Frexit » brandi par certains candidats inquiète. Bruno se sent « intrinsèquement européen ». Dans sa façon de vivre, ses amitiés, ses valeurs, et dans la famille qu’il a fondée. Son épouse et lui avaient décidé d’embrasser la nationalité de l’autre « pour le symbole ». « Mais aujourd’hui, avec le Brexit et alors que l’Union européenne affronte des vents contraires, ça a pris une signification particulière », raconte le père de famille.
Il se dit que ce sera peut-être « pratique », d’avoir une nationalité de secours si la France ou la Finlande venaient à sortir de l’UE. Car la montée des extrêmes et l’euroscepticisme il l’observe dans les deux pays : « Quand j’entends le discours de Marine Le Pen qui vise à séparer ceux qui seraient purement Français des binationaux, ce sont mes enfants, ma femme et moi qu’elle exclue. Je me sens visé au même titre que pourrait l’être un algéro-français. »
Inquiet, Bruno a suivi cette présidentielle de près. Son choix n’est pas encore complètement arrêté, mais il pense voter Emmanuel Macron. Son cœur à gauche l’aurait plutôt porté vers Benoît Hamon, mais depuis « le choc » du 21 avril 2002, Bruno vote quasi systématiquement utile au premier tour, pour s’éviter un choix impossible au second. Et même s’il n’adhère pas à tout le programme, Emmanuel Macron lui semble le mieux à même de porter sa vision de l’Europe : « Une Europe plus dynamique, qui libère les énergies plutôt que de légiférer. Plus au service des citoyens, pour que les gens en comprennent l’utilité. Et qui renforce son rôle en matière de défense. »
« Vivre à l’étranger a été une révélation »
L’Europe. On retrouve le même attachement et les mêmes motifs d’inquiétude chez d’autres Français de l’étranger, du Danemark au Royaume-Uni. « Toute ma vie personnelle et professionnelle est liée à l’Europe », raconte Laure P., 38 ans, chercheuse en biologie à l’université de Copenhague.
Quinze ans déjà qu’elle a quitté la France, à 23 ans. Elle a vécu successivement en Suisse, en Suède, en Allemagne et est installée depuis cinq ans, désormais, au Danemark. Et la trentenaire, célibataire, espère « qu’il y aura encore d’autres » pays, revenir ne fait pas partie de ses plans. Avoir soudain besoin d’un visa de travail ; risquer de perdre le droit de travailler dans son pays d’adoption ; ne plus pouvoir naviguer librement entre ses amis répartis aux quatre coins du continent… « Vivre à l’étranger a été pour moi une révélation, une ouverture d’esprit incroyable, un changement de ma façon d’être », raconte-t-elle.
« Mes amis anglais rient doucement, car on ne les a pas beaucoup soutenus au moment du Brexit. Maintenant ils se disent que ça nous pend peut-être au nez, nous aussi », raconte Laure. Elle aussi votera principalement en fonction de l’Europe. Egalement marquée par 2002, elle hésite encore entre MM. Hamon ou Macron, entre un vote « plus proche de (s) es idées et un vote utile ».
Les effets concrets du Brexit
A Londres, Mathilde C., 24 ans, assistante de direction dans une ONG, vit les effets concrets du Brexit : « On se rend compte de la catastrophe que c’est et de ce que cela signifie vraiment, de quitter l’Union européenne. » Le plus angoissant, raconte la jeune Française, c’est « d’être dans l’incertitude totale », « de ne pas savoir ce qu’on va devenir. On ne sait pas si on aura le droit de rester sans visa, ou bien si on aura un visa mais sous quelles conditions ».
Comme au Canada, en Finlande ou au Danemark, ses collègues et amis observent la présidentielle française avec attention, inquiets à l’idée que Marine Le Pen puisse « passer » : « Ils me disent qu’il faut qu’on fasse attention à ne pas faire les mêmes erreurs qu’eux sur l’Europe. »
Si « le pire » devait arriver, Pernelle, elle, envisagerait de demander la nationalité canadienne, car, explique-t-elle, « si 50 % des Français choisissent Marine Le Pen, ce pays ne me représentera plus, je n’aurai plus envie d’en faire partie. » Dimanche, Bruno, sa femme et leurs trois enfants iront voter en famille à l’ambassade d’Helsinki. L’occasion de « matérialiser le concept “France” aux enfants autrement que par les vacances chez les grands-parents ». Ce sera aussi le premier vote en tant que Française de son épouse.