La justice fait obstacle à l’exécution de plusieurs condamnés à mort en Arkansas
La justice fait obstacle à l’exécution de plusieurs condamnés à mort en Arkansas
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Quatre des huit condamnés à mort que l’Etat du sud des Etats-Unis voulait exécuter d’ici à la fin du mois pourrait y échapper.
Ledell Lee, troisième en haut en partant de la gauche, a été exécuté jeudi 20 avril. Les sept autres sont dans le couloir de la mort. | HANDOUT / REUTERS
Un condamné à mort a été exécuté dans l’Arkansas, jeudi 20 avril, pour la première fois depuis 2005. Ledell Lee, 51 ans, jugé coupable il y a vingt-deux ans du meurtre d’une jeune femme, aurait dû être le troisième d’une série sans précédent de huit exécutions prévues du 17 au 27 avril. Mais des reports décidés par la justice ont contrarié les projets du gouverneur républicain de cet Etat sudiste, Asa Hutchinson. Quatre de ces condamnés à la peine capitale pourraient en effet échapper à cette vague.
Les raisons de cette urgence qualifiée d’« atypique » par le Death Penalty Information Center, qui milite contre la peine de mort, sont particulièrement prosaïques. Les stocks de l’anesthésiant utilisé dans le cocktail mortel administré aux condamnés à la disposition de l’Etat seront en effet périmés à la fin du mois. L’Arkansas a abandonné la chaise électrique en 1990 pour la remplacer par l’injection létale.
Depuis quelques années, la décision de nombreux fournisseurs pharmaceutiques, notamment européens, de ne plus approvisionner les Etats américains par hostilité à la peine de mort, a contraint ces derniers à recourir à des expédients à l’origine d’agonies dramatiques, en 2014, dans l’Ohio, l’Arizona et l’Oklahoma.
Fournisseurs anonymes
En 2015, la Cour suprême des Etats-Unis a pourtant validé le remplacement de l’anesthésique autrefois utilisé, le thiopental, par un anxiolytique, le midazolam, dont les experts assurent qu’il ne peut garantir l’endormissement avant l’injection d’un paralysant, puis d’un troisième produit provoquant un arrêt cardiaque.
Le midazolam n’est pourtant pas homologué comme anesthésiant par la Food and Drug Administration, et son inventeur, Armin Walser, qui a mis au point ce produit il y a près d’un demi-siècle, ne cesse de prendre ses distances avec ce qu’il considère comme un détournement. « Je ne suis pas favorable à la peine de mort, ni aux exécutions », a-t-il rappelé, début mars, dans le New York Times.
En 2013, l’Arkansas a adopté une loi permettant de masquer l’identité des fournisseurs, pour éviter qu’ils soient soumis aux pressions des abolitionnistes. Cela n’a pas empêché, le 14 avril, le dépôt d’une plainte par l’un des plus grands distributeurs de produits pharmaceutiques, McKesson, au motif que l’Etat aurait dissimulé la finalité de certains achats.
Une autre entreprise, Fresenius Kabi USA, s’était adressée en juillet à la responsable de l’administration pénitentiaire pour lui signifier que les contrats avec ses distributeurs interdisaient des ventes pour des exécutions. Cette responsable, Wendy Kelley, est passée outre, révélant sous serment s’être procuré elle-même des produits de cette firme à l’occasion d’un rendez-vous discret avec un fournisseur anonyme. Ce dernier les lui aurait donnés pour éviter toute trace de transaction, a-t-elle affirmé.
Progression du camp des abolitionnistes
Cette sensibilité des compagnies pharmaceutiques s’inscrit dans le cadre d’une évolution des mentalités. Selon le Pew Research Center, la proportion d’Américains favorables à la peine de mort est passée pour la première fois sous la barre de 50 % en juin 2016, à 49 %. Dans le même temps, le pourcentage de ceux y étant opposés a grimpé à 42 %. Il s’agit du plus faible écart entre les deux camps enregistré depuis la fin des années 1960, période pendant laquelle les abolitionnistes avaient été brièvement majoritaires. La part des défenseurs de la peine capitale avait atteint un pic (80 %) en 1995, au plus fort d’une vague de criminalité.
En 2016, vingt personnes ont été exécutées, dans cinq Etats. L’une d’entre elles, âgée de 72 ans, avait passé la moitié de sa vie dans le couloir de la mort. Il s’agit du plus faible nombre depuis les cent exécutions recensées en 1999. La baisse de la violence constatée depuis vingt ans explique sans doute la progression du camp abolitionniste. En novembre 2016, ce dernier a pourtant essuyé trois échecs à l’occasion de référendums organisés dans trois Etats : le Nebraska, l’Oklahoma et la Californie. Ce dernier, libéral, est celui qui compte le plus grand nombre de condamnés à mort aux Etats-Unis : plus de 700. La dernière exécution y remonte à 2006.