Jean-Louis Bourlanges : « Emmanuel Macron pourrait accomplir les rêves inavoués de François Hollande »
Jean-Louis Bourlanges : « Emmanuel Macron pourrait accomplir les rêves inavoués de François Hollande »
Propos recueillis par Gaïdz Minassian
Pour l’ancien député centriste, le candidat d’En marche !, s’il était élu le 7 mai, serait « le successeur mais pas l’héritier du président sortant ».
Emmanuel Macron et Francois Hollande, le 20 juin 2013, lors de la conférence sociale. | PHILIPPE WOJAZER / AFP
Ancien député européen (centriste), Jean-Louis Bourlanges a quitté la scène partisane mais continue d’observer la vie politique française et européenne. Il a apporté son soutien à Emmanuel Macron, arrivé premier à l’issue du premier tour de la présidentielle, dimanche 23 avril.
Qualifié pour le second tour, Emmanuel Macron, ancien ministre de l’économie du gouvernement Hollande, pourrait devenir le nouveau président. Est-il pour autant l’héritier de François Hollande ?
Emmanuel Macron a des chances sérieuses d’être le successeur de François Hollande. En sera-t-il pour autant l’héritier ? La réponse est délicate, car l’actuel président est lui-même un être “biface”. Il est l’héritier d’une tradition dont François Mitterrand aura été l’accoucheur infidèle, celle d’une gauche sacralisée dans son unité et dotée par rapport à la droite et au centre d’une légitimité historique qui se veut sans rivale.
Tout au long de son quinquennat, l’actuel président a continué de cultiver discrètement le mythe de l’union de la gauche. Il est resté le thuriféraire d’un Parti socialiste voué à la « synthèse » entre les courants idéologiques les plus disparates ; le bricoleur d’un arrangement boiteux et chaotique entre économie de marché et accroissement continu de la pesée fiscale et réglementaire de l’Etat et, enfin, l’adversaire de toute vraie alliance avec la droite moderne et un centrisme qui en serait le faux nez.
Cet héritage-là, M. Macron le récuse en bloc : il ne croit pas à l’unité d’une gauche écartelée entre des visions du monde et des stratégies économiques, politiques et internationales parfaitement opposées ; il a refusé d’inscrire son combat dans le cadre du Parti socialiste et semble résolu à tout faire pour détruire celui-ci.
Sur le plan économique, il a clairement choisi la ligne du social-libéralisme et le rejet des oripeaux du socialisme bureaucratique.
Sur le plan politique enfin, il s’est employé avec une énergie et un succès étonnants à refermer la parenthèse de l’union de la gauche ouverte en 1965 et a inscrit sa démarche dans la recherche d’une alliance privilégiée avec les centristes. C’est une démarche à l’allemande qui s’enracine en France dans la tradition de la « troisième force » en usage sous la IVe République et des tentatives avortées de Gaston Defferre en 1965 et de François Bayrou en 2007.
Et qu’en est-il du legs politique de François Mitterrand ?
Emmanuel Macron serait la négation de François Hollande comme de François Mitterrand, si ces deux hommes n’avaient pas eux-mêmes été « doubles ». L’un et l’autre ont toujours été tentés par des choix centristes, européens et modérés qui contredisaient l’inspiration première de leur action et qui introduisaient au sein des gauches et de leur gouvernement un ferment de discorde permanente difficilement gérable.
Or, c’est précisément cette confusion des idées, des ambitions, des stratégies et des alliances, ce goût immodéré des demi-mesures – ce que j’appellerais ironiquement le « syndrome de Leonarda » [affaire lors du quinquennat Hollande d’une mineure rom reconduite en 2013 au Kosovo] – que récuse avec une incroyable ténacité Emmanuel Macron. Il a compris que le combat le plus significatif et le plus fécond n’était plus celui qui opposait la droite et la gauche. Il a compris que la cohérence de l’action gouvernementale supposait au préalable l’éclatement de chacun des deux blocs et l’émergence d’une majorité nouvelle fédérant les valeurs de liberté, de solidarité et de sécurité dans une perspective ambitieusement européenne.
François Hollande, comme d’ailleurs François Mitterand mais avec moins de brio, aura été un arrangeur. Emmanuel Macron ambitionne d’être un « clarificateur ». Entreprise difficile car si les Français sentent bien quelque part que l’opposition droite-gauche a perdu une bonne partie de son sens et de sa saveur, ils peinent encore à imaginer la synthèse politique « en marche ».
Un duel Macron-Le Pen n’est-il pas le scénario le moins dérangeant pour François Hollande ? La droite républicaine est éliminée, le socialiste frondeur Benoît Hamon, candidat PS, est battu et Emmanuel Macron, son ancien ministre de l’économie, arrive en tête du premier tour alors que la popularité du président sortant n’est pas élevée.
François Hollande a échoué parce qu’il a, par une sorte de terreur sacrée d’homme de gauche, refusé de tirer les conséquences qui s’imposaient du diagnostic qu’il portait en lui, mais honteusement et parcimonieusement. Son quinquennat a été un long chemin de croix qui lui a fait récuser François Bayrou mais souffrir sous Martine Aubry, demeurer pratiquement inerte sur le dossier européen qui était censé être au cœur de ses convictions les plus profondes, pratiquer un stop and go fiscal inintelligible et ne jamais prendre ou laisser prendre une initiative sans s’en désolidariser.
Emmanuel Macron n’est pas la marionnette d’un Hollande ventriloque qui parlerait à travers elle. Il est l’ange exterminateur d’une confusion générale des esprits qui avait fini par paralyser une gauche et une droite divisées en leur sein. C’est curieusement Benoît Hamon qui porte la part la plus significative de l’héritage hollandais : une tenace incapacité à concilier les logiques de gouvernement et de dénonciation. Peut-être Emmanuel Macron est-il l’homme qui accomplira les rêves inavoués de son prédécesseur, c’est-à-dire ceux d’un homme précisément incapable d’accomplir et même de s’avouer ses propres rêves.
Comment François Hollande peut-il réussir sa sortie de l’Elysée ?
Si Emmanuel Macron est élu président de la République, François Hollande n’aura aucun moyen ni de réussir ni de rater sa sortie. Il lui suffira de partir et de soigner les roses de son jardin, si tant est qu’il en ait un. Si c’était Marine Le Pen, il devrait sans doute, avant de quitter l’Elysée, prendre l’attache des grands dirigeants républicains du pays afin de les exhorter à adopter une attitude commune de responsabilité face au péril. Il me paraît raisonnable de penser que ce second scénario n’est pas le plus probable. Et fort heureusement !