Macron « à contrecœur », vote blanc ou Le Pen pour le « choc » : les électeurs de Mélenchon tiraillés
Macron « à contrecœur », vote blanc ou Le Pen pour le « choc » : les électeurs de Mélenchon tiraillés
Par Camille Bordenet
Alors qu’ils sont consultés par le chef de file de La France insoumise, de nombreux électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont expliqué au « Monde.fr » leurs choix et leurs hésitations.
Le 23 avril, soutiens de Jean-Luc Mélenchon, à Paris. | CYRIL BITTON / FRENCH POLITICS POUR LE MONDE
Voter Emmanuel Macron pour faire barrage au Front national (FN), « à contrecœur » ou « sans hésitation ». Voter blanc ou s’abstenir. Voire, pour certains, choisir Marine Le Pen, la candidate du FN. Les électeurs qui ont choisi Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle se retrouvent d’autant plus tiraillés pour le second tour que leur candidat – arrivé en quatrième position du scrutin, avec 19,58 % des voix – n’a pas donné de consigne de vote, renvoyant cette décision à une consultation des électeurs, qui a débuté mardi 25 avril.
Dans un appel à témoignages sur Le Monde.fr, de nombreux électeurs de La France insoumise ont expliqué leurs choix et leurs hésitations pour le second tour.
Emmanuel Macron, « la mort dans l’âme »
« Tout sauf Le Pen. » C’est « à contrecœur », « la mort dans l’âme », ou « en se bouchant le nez » que certains électeurs de M. Mélenchon se sont résignés à glisser un bulletin Macron dans l’urne, dimanche 7 mai. Loin d’adhérer, voire farouchement opposés à la politique qu’ils jugent trop libérale du leader d’En marche !, ils se sentent un « devoir » de faire barrage au Front national.
« Je ne soutiens pas cet homme, ses idées, ses projets. (…) Il ne me représente pas. Mais Marine Le Pen et tout ce qu’elle représente est à l’opposé complet de ce que je suis et de mes valeurs », témoigne Marion G., 23 ans, étudiante à Tours (Indre-et-Loire). La jeune femme fera partie « de ce front républicain pour faire barrage au FN », mais prévient : « Ce sera la seule fois », parce que cela va lui « coûter de voter Macron ». Si une situation similaire se représente dans cinq ans, on ne l’y reprendra pas.
Programmeur de 29 ans, Thomas, lui, se sent « pris en otage ». Mais il « préfère combattre l’extrême droite aujourd’hui où le risque est réel, plutôt que de laisser faire en votant blanc ». Etudiante en cinéma à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Marie F., 21 ans, s’inquiète de voir « de nombreuses personnes qui s’apprêtent à s’abstenir », ce qui lui semble « irresponsable » : « Prendre ses responsabilités, c’est aller voter et faire barrage au FN. »
« La seule idée de participer à cette supercherie me répugne déjà, mais j’imagine que comme beaucoup, je finirai par rentrer dans le rang et insérer un bulletin Macron dans l’urne », abonde Sullyvan, 23 ans, étudiant à Tours. Pour d’autres, comme Thomas D., Parisien de 26 ans, moins d’hésitation : « Même si je ne suis pas en accord avec le programme de Macron, je n’hésiterai pas une seule seconde dans l’isoloir. (…) S’abstenir ou voter blanc reviendrait à cautionner un peu plus le vote FN. »
Refus de choisir « entre la peste et le choléra »
Nombreux sont celles et ceux qui, au contraire, expliquent pourquoi ils refusent de choisir et opteront pour le vote blanc ou l’abstention. Certains d’entre eux restent marqués par leur vote de barrage à Jean-Marie Le Pen en 2002, voire le regrettent. Pour Geoffrey B., menuisier-isoleur de 34 ans, pour qui c’était le premier scrutin à l’époque, « plus question » de « mettre un mouchoir » sur ses convictions. Pas de choix possible « entre la peste et le choléra », résume Sylvain M., trentenaire de Fougères (Ille-et-Vilaine), employant une expression revenue dans les témoignages.
Pour ce dernier, ce sera « blanc ou abstention », car il juge les deux aspirants à l’Elysée « aussi dangereux l’un que l’autre » : « Un ultralibéral convaincu et revendiqué, une xénophobe de bas étage et nationaliste. » « Je ne peux pas donner mon suffrage au Medef, je ne peux pas non plus le donner à la peste brune », abonde Pierre B., 42 ans, fondateur d’une galerie d’art contemporain associative à Lyon. « Ni dictature fasciste ni dictature financière », renchérit J., 63 ans, compositeur en Bourgogne.
Pour Abel R., 25 ans, ingénieur en sciences des matériaux et doctorant en métallurgie à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), « entre l’extrémisme libéral et l’extrême droite » ce sera « un ni-ni » : « Si le FN est un parti qui a le droit de concourir, alors je ne vois pas pourquoi il faudrait faire front républicain. »
Ce front républicain, Julie, 23 ans, estime que « la France l’a assez pratiqué, sans autre résultat qu’une montée toujours plus forte du FN ». L’étudiante habite Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), fief du parti d’extrême droite. Dans dix jours elle ira voter blanc, pour pouvoir affirmer que « oui », elle a voté, mais que « ce deuxième tour n’est pas le [s] ien ». Et parce que ce vote « aura au moins le mérite de montrer le manque de légitimité du futur président ».
Argument proche pour Philippe T., 30 ans, autoentrepreneur dans les métiers de la culture à Marseille, qui ne se déplacera pas pour le second tour. S’il ne se sent « pas capable » d’apporter sa voix à M. Macron, il espère que ce dernier sera élu, « mais mal élu ».
Pour Yves D., 60 ans, « voter Macron, c’est porter Le Pen à 30 % au premier tour de la présidentielle de 2022. » | CYRIL BITTON / FRENCH POLITICS POUR LE MONDE
« Macron = Le Pen dans cinq ans »
Parmi les électeurs qui voteront blanc ou s’abstiendront, plusieurs justifient leur choix par le fait que voter Macron reviendrait, selon eux, à « faire le lit du FN demain ». « Voter Macron, c’est porter Le Pen à 30 % au premier tour de la présidentielle de 2022 ! », calcule Yves D., 60 ans, directeur de recherche au CNRS, pour qui la politique « néolibérale » qu’entend mener Emmanuel Macron est « celle qui a conduit à l’affaiblissement de notre pays (…), et in fine à l’émergence du vote Le Pen ».
Analyse partagée par Francis R., 41 ans, développeur à Paris : « Le choix se résume entre voter pour Macron qui favorisera la montée de l’extrême droite ou voter directement pour l’extrême droite. Je ne peux pas choisir et je vais donc voter blanc. » Le quadragénaire juge qu’« il restera les législatives pour mettre en place une opposition ». Et va jusqu’à estimer que « si le FN passe, au moins il ne servira plus d’épouvantail pour nous imposer des politiques libérales dont on ne veut pas ».
« Après Mélenchon, Le Pen »
Quelques électeurs de M. Mélenchon se disent prêts à choisir la candidate du Front national. Par opposition au leader d’En marche !, parce qu’ils veulent « du changement », un « choc violent »… Ainsi de Camille L., 24 ans, étudiant en droit à Lyon, qui a opté pour « la méthode dure » et votera Le Pen, « parce que Macron représente quelque chose qu’[il] déteste plus que la xénophobie de Le Pen : la vieille symbiose du PS et LR qu’on ne veut plus ». Pour le jeune homme, « hors de question de donner un nouveau souffle au système politique en place. Même Le Pen propose le référendum d’initiative populaire (…) [et] me donne l’occasion de la contester », argumente-t-il.
Lycéen à Amiens (Sommes), Vincent P., 18 ans, votera « Marine, uniquement pour faire barrage à Macron » qui est, pour lui, « la copie conforme de François Hollande ». Raison identique avancée par Fabrice C., 35 ans, chef de cuisine à Alès (Gard), qui parie sur le fait que Marine Le Pen, élue, « n’aura jamais une majorité à l’Assemblée », où elle « ne pourra rien faire passer ». « Le gouvernement sera complètement bloqué, il y aura une instabilité politique. Si on ajoute à ça les manifestations anti-FN, la France sera ingouvernable, dans le chaos le plus total », anticipe le restaurateur, selon qui « c’est un choc violent comme ça qu’il faut pour faire changer les choses totalement ».
« Les changements que veut établir le FN » ne sont pas ceux que souhaite Victor V., 22 ans, mais il juge « bien plus intéressant de voter pour un parti qui souhaite du changement que pour un candidat qui ne cherche que le statu quo ».
Au soir du premier tour, Jacques J., lui, n’a « pas dormi de la nuit », « avec la conviction grandissante d’être vraiment pris pour un con ». Ce fonctionnaire parisien de 60 ans, « après avoir toujours voté communiste, y compris sous l’avatar Front de gauche et Mélenchon », votera Le Pen, « une grande première ». « Avec la curieuse certitude d’être encore du côté du peuple et de mes origines », assure-t-il.
Tempête sous les crânes
Mais pour nombre d’électeurs de M. Mélenchon, le choix est encore loin d’être tranché et l’heure est à la tempête sous les crânes. François M., 29 ans, bibliothécaire à Paris, se dit « tiraillé par des sentiments contraires ». Comédien de 37 ans à Oullins (Rhône), Benoît L., qui s’interroge « sur la pertinence même du front républicain », se « laisse le temps de discuter, d’écouter, de lire ». Avec une « ligne de conduite » : « Quelle est la meilleure manière de barrer durablement la route à l’extrême droite ? »
Dans ce contexte, l’absence de consigne de vote de Jean-Luc Mélenchon, certains la comprennent, d’autres la trouvent « inacceptable ». « Ne pas faire la différence entre un républicain, même de droite, et l’extrême droite… Serait-il devenu un irresponsable, ou l’allié (…) de Marine Le Pen ? », s’emporte Gérard C., qui dit regretter son vote Mélenchon et fera barrage au Front national. Au contraire, Valentin P., 24 ans, comme d’autres, « remercie » le candidat « d’estimer que [s] a voix [lui] appartient ».