LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine, Laurent Chalumeau épingle les travers d’une société repue d’images, Martin Caparros revient sur les séquelles de la dictature en Argentine et Léonora Minao questionne l’enfant blessée qu’elle fut et la femme qu’elle est. Enfin, les articles politiques du grand critique Maurice Blanchot sont publiés pour la première fois dans leur intégralité.

ROMAN. « VIP », de Laurent Chalumeau

Disons que l’affaire a mal tourné. A la fin du premier chapitre de VIP, de Laurent Chalumeau, une tentative de cambriolage s’est, en effet, soldée par la mort de quatre personnes : les braqueurs (deux lascars de banlieue), la maîtresse de maison (une jeune actrice en pleine ascension), ainsi qu’un garde du corps affecté à l’Elysée. Et celui qui les a tous dessoudés n’est autre que le président de la République.

Dès lors, les ennuis commencent pour l’unique témoin de la scène, un paparazzo en planque dans l’immeuble d’en face. Il pensait découvrir l’identité du dernier flirt de la starlette, le voilà qui se retrouve avec un secret d’Etat sur les bras…

Il y a quelque chose de vivifiant dans cette comédie policière de Laurent Chalumeau, dont l’intrigue rappelle Les Pleins Pouvoirs, de Clint Eastwood (1997). Le romancier livre une étude convaincante des mœurs contemporaines. Laquelle épingle les travers d’une société repue d’images, fascinée par les people et perfusée aux réseaux sociaux. « VIP », very inventif prosateur. Macha Séry

« VIP », de Laurent Chalumeau, Grasset, 272 pages, 18,90 €.

Grasset

ROMAN. « A qui de droit », de Martin Caparros

Les disparus de la dictature tenaillent toujours l’Argentine et sa littérature. Dans A qui de droit, l’écrivain Martin Caparros met en scène deux anciens mononeros – un mouvement de guérilleros péronistes dont il fut membre, avant de s’exiler à Paris en 1976.

Juanjo est devenu ministre ; Carlos, le narrateur, représentant de commerce. Ce dernier ne s’est jamais remis de l’absence d’Estela, sa fiancée qui fut emmenée par des militaires pour ne jamais réapparaître. Il avait renoncé à comprendre ce qu’il lui était arrivé, mais une conversation avec Juanjo va le pousser à retrouver les témoins du calvaire de sa compagne, dont un prêtre – bientôt assassiné.

Alternant l’enquête sur la vie puis le meurtre du prêtre, et des conversations (entre Carlos et ses camarades de militantisme, mais aussi avec sa femme morte, et Valeria, sa nouvelle compagne), Caparros interroge la pertinence d’une vengeance, si longtemps après les faits. Avec verve et colère, il signe, à travers ce puissant requiem argentin, un roman vibrant sur les espoirs déçus du retour à la démocratie. Ariane Singer

Buchet-Chastel

« A qui de droit » (« A quien corresponda »), de Martin Caparros, traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco, Buchet-Chastel, 366 pages, 22 €.

ROMAN. « Crépuscule du tourment 2. Héritage », de Léonora Miano

Héritage saisit, au volant de sa berline, un homme qui vient de commettre un acte ignoble : Amok a battu sa compagne, Ixora, et l’a laissée pour morte. S’éloignant de la ville sous l’orage, s’embourbant dans les chemins de terre, il file vers la maison de son père, décidé à le défier. Tout à coup, c’est l’accident, et Amok s’évade dans ses pensées.

Perte de repères et début d’une quête de soi qui, par sa forme, évoque aussi bien les cercles de l’« Enfer » de Dante qu’un morceau de jazz. De son rythme chaotique et entêtant, le roman remonte les années, passe du monde des vivants à celui des morts, du rêve à l’introspection, revient au même motif et s’interroge : d’où cette violence lui vient-elle ? De quoi Amok a-t-il hérité, en plus de la richesse de son père ? Ses pensées se cristallisent autour du viol subi dans son enfance et dont il pensait s’être remis.

Amok était déjà au centre de Melancholy, premier volet de Crépuscule du tourment (Grasset, 2016), dont Héritage est le deuxième, où quatre femmes s’adressaient à lui et se confrontaient à son silence. De retour au pays, après un séjour dans « le Nord » où il a élevé un fils qui a souffert du racisme, Amok semble leur répondre ici en racontant les « bizarreries » de sa sexualité, sa boulimie de sexe, son attirance pour les hermaphrodites. Au plus près de l’expérience humaine, Léonora Miano questionne l’écho des blessures anciennes dans notre intimité. Gladys Marivat

Grasset

« Crépuscule du tourment 2. Héritage », de Léonora Miano, Grasset, 320 pages, 20 €.

RECUEIL. « Chroniques politiques des années trente (1931-1940) », de Maurice Blanchot

Avec ces Chroniques politiques des années trente sont enfin révélés au public dans leur intégralité les très nombreux articles d’actualité que le critique et écrivain Maurice Blanchot (1907-2003) a donné à la presse d’extrême droite dans les années 1930 (lui-même était défavorable à leur publication).

Alors proche de l’Action française de Maurras (avant de passer à l’anticolonialisme et à l’extrême gauche après-guerre), dont on retrouve le vocabulaire et la pensée chez le jeune et talentueux journaliste, celui-ci en appelle à l’insurrection contre une république démocratique détestée et contre le Front populaire.

L’ami du philosophe juif Emmanuel Levinas – dont il protégera la femme et la fille sous l’Occupation – se laisse, ça et là, aller à quelques propos antisémites, visant notamment le premier ministre socialiste Léon Blum. Indispensable pour comprendre la complexité de certains itinéraires intellectuels du XXe siècle. Nicolas Weill

Gallimard

« Chroniques politiques des années trente (1931-1940) », de Maurice Blanchot, édité par David Uhrig, Gallimard, « Les cahiers de la NRF », 552 pages, 29 €.