Marissa Mayer, la PDG de Yahoo!, en 2013. | EMMANUEL DUNAND / AFP

Elle part avec un parachute doré de 190 millions de dollars, mais en quittant Yahoo! après le rachat de l’entreprise par Verizon, Marissa Mayer a cependant laissé beaucoup de son image. En cinq ans, depuis son arrivée en 2012 à la tête du géant américain du Web, Mme Mayer a multiplié les déceptions.

Longtemps considérée comme la femme la plus puissante de la Silicon Valley, avec Sheryl Sandberg, de Facebook, Marissa Mayer a eu une trajectoire stratosphérique. Née en 1975, elle a étudié la psychologie cognitive et l’informatique à Stanford (Californie), où elle se spécialise dans l’intelligence artificielle avant de rejoindre Google en 1999 comme la vingtième employée de l’entreprise — refusant au passage des offres prestigieuses, dont un poste d’enseignante à Carnegie Mellon (Pennsylvanie).

Au sein de Google, qui croit à une très grande vitesse au début des années 2000, elle occupe rapidement des postes à responsabilités — elle est notamment nommée responsable de la page d’accueil de Google, à une époque où cette page est non seulement la vitrine mais aussi l’unique produit de ce qui n’est encore qu’un moteur de recherche. Elle a laissé dans l’entreprise l’image d’une travailleuse compulsive, obsessionnelle du détail — elle systématise les « tests A/B », consistant à présenter à deux échantillons de visiteurs des versions légèrement différentes du site pour voir laquelle est la plus efficace. Sous la direction de Marissa Mayer, chaque élément de la spartiate page d’accueil de Google est testé, depuis les nuances de couleur du logo jusqu’à la taille des éléments, au pixel près.

Chez Google, Marissa Mayer participe à de très nombreux projets clés, dont la création d’AdWords, celles de Gmail, Google Maps ou Google News, tout en enseignant à temps partiel à Stanford. Nommée vice-présidente à la recherche et à l’expérience utilisateur en 2005, elle fait partie des « poids lourds » de l’entreprise, a l’oreille des deux fondateurs de Google (Larry Page et Sergueï Brin), et tout semble lui réussir.

Mais à partir de 2010, lorsque Larry Page reprend le poste de PDG occupé par Eric Schmidt, les équilibres politiques se modifient : Marissa Mayer, qui a aussi son lot de critiques en interne, change de titre, perd une partie de son pouvoir, et est partiellement écartée des grandes décisions stratégiques.

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La sauveuse annoncée de Yahoo!

En juillet 2012, elle quitte Google pour diriger Yahoo!, qui est à l’époque au creux de la vague ; l’entreprise, longtemps leader, est dans une situation catastrophique. Marissa Mayer est chargée de la redresser, et pour ce faire, elle lance un grand plan ambitieux, qui commence par la revente d’une partie de la participation de Yahoo! dans le groupe de vente en ligne chinois Alibaba, en plein essor. L’argent dégagé lui permet de lancer une série d’acquisitions spectaculaires, dont Tumblr en 2013, la plate-forme de microblogs qui connaît alors un succès spectaculaire — mais que Yahoo! a dû payer au prix fort, 1,1 milliard de dollars, et dont la valorisation est aujourd’hui estimée à 700 millions de dollars.

Parallèlement, elle met en place une vaste réorganisation de Yahoo!. Alors que les actionnaires la pressent de licencier des milliers d’employés pour redresser les comptes, elle les convainc de lancer plutôt de nouveaux projets, et s’engage à trouver d’autres sources d’économies. Elle instaure un système de vote interne qui permet aux employés de soumettre des questions à la direction, organise de rencontres régulières sur le campus de l’entreprise… Surtout, elle met en place un nouveau système d’évaluation des performances des salariés, censé les rendre plus productifs et pousser vers la sortie les moins impliqués.

Baptisé « Quarterly Performance Reviews », le système, inspiré de celui en vigueur à Google, est particulièrement byzantin : tous les manageurs doivent noter, chaque trimestre, tous leurs subordonnés, mais ils doivent le faire en respectant des pourcentages de notes. En pratique, seuls 10 % des employés d’une équipe peuvent obtenir la meilleure note, et 5 % de chaque équipe doit recevoir la pire notation. Structurellement injuste, notamment dans les plus petites équipes, le système bloque l’avancement et les augmentations salariales des employés, est critiqué à la fois par les salariés du bas de l’échelle et par les manageurs, et provoque en 2013 une vaste fronde au moment où l’entreprise a pourtant réussi à redevenir « cool », vue de l’extérieur.

S’y ajoutent de vives critiques contre l’interdiction, instaurée par Marissa Mayer, du télétravail, qui pénalise principalement les femmes ; le recrutement de plusieurs anciens « googlers », perçu comme du favoritisme ; et des procès pour licenciements abusifs intentés par des employés mis à la porte par la nouvelle direction.

Piratages, problèmes juridiques…

En un an, Marissa Mayer, accueillie en sauveuse par Yahoo!, est confrontée à des difficultés importantes en interne, tandis que Yahoo! ne parvient pas à redresser la barre sur le plan financier. Les problèmes s’enchaînent aussi pour l’entreprise s’agissant de la vie privée des utilisateurs : Edward Snowden révèle que l’espionnage de masse auquel se livre la NSA concerne notamment les données des utilisateurs de Yahoo!, lequel dément toute coopération avec l’agence de renseignement américaine.

Plusieurs autres scandales se succèdent. En 2014, l’entreprise est victime d’un piratage de masse des données personnelles de près de un milliard d’utilisateurs : c’est le plus important vol de données de l’histoire, qui ne sera rendu public que deux ans plus tard — et dont l’annonce viendra plomber les négociations de rachat par Verizon, qui obtiendra un rabais substantiel lors des discussions. Un autre revers majeur pour Marissa Mayer survient en 2015, lorsque des incertitudes juridiques conduisent à l’abandon du projet de scission de la participation dans Alibaba, un projet majeur ardemment défendu par la PDG de Yahoo!.

Marissa Mayer a finalement suivi la longue descente aux enfers de Yahoo!, alors que l’entreprise continue de perdre des parts de marché. Le magazine Fortune, qui l’a placée plusieurs années dans son classement des plus puissants patrons au monde, la fait passer en 2016 dans sa liste des chefs d’entreprise les plus décevants — au dernier trimestre 2015, son entreprise a perdu la somme astronomique de 4,4 milliards de dollars.

Les départs de personnes clés se multiplient à Yahoo! — dont celui du responsable de la sécurité du groupe, le très respecté Alex Stamos, à qui Marissa Mayer avait caché un accord secret avec le gouvernement américain pour détecter en temps réel des mots-clés dans les e-mails des utilisateurs de Yahoo!.

Malgré ces multiples échecs, avant que son départ de Yahoo! ne soit officialisé, Marissa Mayer avait laissé entendre à plusieurs reprises qu’elle souhaitait continuer à diriger l’entreprise après son rapprochement avec AOL, décidé par Verizon. Mais cette option était jugée très peu crédible par tous les observateurs.