La gauche européenne effarée par l’effondrement du PS français
La gauche européenne effarée par l’effondrement du PS français
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Les partis socialistes d’Europe s’interrogent après la déroute de Benoît Hamon au premier tour de l’élection présidentielle.
La performance catastrophique de Benoît Hamon au premier tour de la présidentielle consterne une gauche sociale-démocrate européenne déjà marquée par ses récents revers au Royaume-Uni, en Grèce et aux Pays-Bas, ses difficultés en Espagne ou la démission de Matteo Renzi en Italie, après l’échec de son référendum. L’effondrement du PS français ponctue une série que la mise en place du gouvernement de Stefan Löfven, fin 2014, en Suède, ou l’accession au pouvoir d’une coalition (minoritaire) de socialistes et d’indépendants au Portugal ne suffisent pas à égayer. Seul le SPD, emmené par Martin Schulz, offrira enfin, espèrent les sociaux-démocrates, une bonne surprise en septembre, lors des élections fédérales allemandes.
A quoi attribuer la lourde défaite du PS ? « C’est la revanche de l’histoire, diagnostique l’eurodéputé social-démocrate allemand Jo Leinen. En 2005, le PS s’était divisé entre partisans du oui et du non à la Constitution européenne. Le clivage en son sein, notamment sur l’Europe, n’a cessé de grandir et, comme d’habitude, les électeurs ont fini par préférer l’original à la copie, à savoir Mélenchon… »
« Dès le moment où les électeurs potentiels étaient tiraillés entre Mélenchon et Macron, la situation du candidat était plus que difficile, d’autant que les sondages incitaient au vote utile », estime de son côté le Belge Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie et ex-président intérimaire du PS francophone.
Il prédit, en tout cas, « cinq années très difficiles » à un PS français qui devra, selon lui, « réaffirmer une identité forte » tout en s’incarnant encore en possible parti de gouvernement. « La social-démocratie a deux pôles et se perdrait à ne vouloir être que l’un ou l’autre », explique M. Magnette, dont le parti est également soumis à la pression d’une gauche radicale, le Parti du travail de Belgique (PTB), très proche du mouvement La France insoumise.
« Remède à l’impuissance des politiques »
« Le grand problème de la gauche social-démocrate, c’est surtout la fragmentation du paysage politique, estime l’eurodéputé travailliste néerlandais Paul Tang. Les gens s’enferment désormais dans leur groupe, leurs propres convictions, ce qui rend les choses très complexes pour les grandes formations populaires traditionnelles. » Le parti de M. Tang, le PVDA, est tombé de 24,8 à 5,7 % lors des dernières législatives, en mars. Supplanté par la Gauche verte du jeune dirigeant Jesse Klaver et attaqué tant par une gauche eurosceptique que par un centre libéral et des formations communautaristes.
Dans la Flandre belge voisine, les socialistes sont désormais exclus des niveaux fédéral et régional et sont, eux aussi, supplantés par les écologistes, après quelque trente années quasi ininterrompues au pouvoir. « A gauche aussi, il y a un souhait évident d’un changement radical, d’un remède à l’impuissance des politiques, analyse le politologue Marc Hooghe, de l’Université catholique de Leuven (KUL). Or, les socialistes forment traditionnellement un parti de ce système, respectueux des institutions. »
Sur la pauvreté, le chômage, le travail, les retraites, leurs thèmes de prédilection, les sociaux-démocrates européens sont attaqués sur leur flanc gauche par des formations comme La France insoumise, Podemos en Espagne ou le PTB en Belgique.
Le clash entre les « élites » et le « peuple »
L’Europe est un autre sujet complexe pour cette gauche « classique » en plein questionnement. « Un problème pour nous tous, qui en sera un aussi pour Macron », souligne M. Tang. « L’enjeu pour la gauche gestionnaire c’est désormais de combiner un agenda social fort avec l’ouverture sur le monde et l’Europe », indique M. Leinen. Pour l’élu allemand, la situation du PS français n’est pas très différente de celle d’autres partis : il doit gagner la compétition avec de nouveaux rivaux de gauche tout en intégrant un électorat plus « centriste ». « Cela a été l’intuition de Macron », estime M. Leinen.
Le PS francophone belge de M. Magnette est, lui, parvenu jusqu’ici à conserver, bon gré mal gré, un électorat ouvrier qu’il combine avec des fonctionnaires, des diplômés, des créatifs, des intellectuels. Il est toutefois lui aussi soumis à la pression d’une gauche radicale qui profite surtout du fait que plusieurs mandataires du PS sont, à nouveau, au cœur de scandales politico-financiers. Là comme ailleurs, le clash entre les « élites » et le « peuple » menace.
Démocratie, justice sociale, société inclusive : ces thèmes classiques de la social-démocratie peuvent-ils encore passer la rampe ? Au sein de la gauche européenne elle-même on paraît en douter. « Nous n’avons pas su capitaliser sur notre critique du néolibéralisme, avoue un cacique de l’Internationale socialiste, qui réclame l’anonymat. Nous avons su partager les fruits de la croissance, pas élaborer une alternative pour les perdants de la mondialisation ou ceux qui vivent mal les évolutions du monde moderne. »