Dans les quartiers Nord de Marseille, le meurtre comme solution à tous les conflits
Dans les quartiers Nord de Marseille, le meurtre comme solution à tous les conflits
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Le procès d’un jeune homme, cette semaine aux assises des Bouches-du-Rhône, illustre comment, chez les trafiquants, les règlements de comptes armés sont devenus banals.
A 24 ans, Mohamed Belhacene est soupçonné de trois meurtres. C’est pour celui de son meilleur ami, son « frère » avec lequel il a « tout partagé », qu’il est jugé, à compter de mardi 2 mai, par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Il est par ailleurs mis en examen pour l’assassinat d’un jeune homme de 20 ans dans les quartiers Nord de Marseille et il vient de l’être, mi-mars, pour avoir poignardé un codétenu, en août 2016, dans une cour de promenade de la prison d’Aix-en-Provence. Des affaires qui illustrent à quel point, pour certains délinquants des cités marseillaises, le meurtre est devenu le mode de règlement ordinaire de tous les conflits, si mineurs soient-ils.
Avec Mohamed Belhacene, « Momo », le gamin grandi en foyers et famille d’accueil, on est loin des caïds d’une des quatre ou cinq bandes rivales marseillaises qui, depuis 2008, se livrent des guerres de territoires pour la suprématie du marché des drogues. En 2016, 40 % des règlements de comptes perpétrés en France l’ont été à Marseille, faisant trente morts et une vingtaine de blessés. « Une spécificité marseillaise », estime la police judiciaire.
« On m’accuse de meurtre, mais je ne suis pas le Bon Dieu pour enlever des vies. » Mohamed Belhacene se défend d’avoir tué son ami Yann Fuentes, retrouvé mort au matin du 1er mai 2014, au volant de la Twingo de sa mère, exécuté de deux balles en pleine tête, sur un parking de Septèmes-les-Vallons, commune limitrophe de Marseille. Walid H., un dealer marseillais, a raconté comment Mohamed Belhacene lui aurait avoué, en août 2014, être l’auteur de ces faits.
Une histoire de « carottage »
A cette époque « Momo » se cachait, ayant été blessé par plusieurs tirs, trois semaines seulement après la mort de Yann Fuentes. Terré chez Walid H., ce dernier les décrit en train de regarder une scène de la série Mafiosa dans laquelle un personnage exécute son meilleur ami. Selon Walid H., le jeune homme se serait confessé, lui racontant comment, après avoir enfilé un gant, il aurait froidement tiré une balle dans la tête de Yann Fuentes. « Comme il n’était pas mort sur le coup et qu’il agonisait, il lui a mis une deuxième balle dans la tête », précise Walid H.
Magistrats et enquêteurs évoquent un mobile à ce meurtre « fratricide » : une ancienne histoire de « carottage » – vol d’argent ou de drogue au sein d’une équipe de trafiquants. Selon le récit de Walid H. – dont les jurés auront à mesurer la crédibilité –, Mohamed Belhacene aurait assouvi une vengeance. En 2009, alors qu’il était censé surveiller la drogue du réseau de la Gavotte-Peyret, une cité de Septèmes-les-Vallons, dix kilos de résine de cannabis auraient disparu de la cave où elle était entreposée. Yann Fuentes et son oncle auraient faussement dénoncé « Momo » auprès des patrons du réseau, provoquant son enlèvement et sa séquestration. Un des patrons du trafic a confirmé cette vieille « embrouille » : « On a tous pensé que Mohamed était l’auteur du vol. On l’a attrapé et on l’a mis à l’amende. »
Yann Fuentes tué par vengeance ? Dans les réseaux de drogue, la mort pourrait se donner pour encore moins que cela. Selon l’accusation, le premier meurtre dont est soupçonné Mohamed Belhacene, commis le 13 janvier 2014 devant un snack du quartier de la Cabucelle, l’aurait été pour un mobile d’une grande futilité. Kader Yilmaz pourrait bien avoir été tué à 20 ans pour 75 euros de cannabis barboté dans une boîte aux lettres, la drogue appartenant à Walid H. Selon le dossier d’instruction, Yann Fuentes et Mohamed Belhacene se seraient chargés d’aller « lui faire peur ».
« Banalisation »
La possession d’un arsenal par le plus petit réseau de stupéfiants se traduit par un usage courant des kalachnikovs et autres armes de poing pour régler toutes sortes de conflits. « Dans ce monde des stupéfiants, observe un avocat pénaliste, au minimum, on tire dans les jambes au moindre dérapage. L’assassinat est devenu une sanction exemplaire, destinée à marquer les esprits. Dans les équipes de voleurs, il existe encore des modes alternatifs pour régler les différends. »
L’examen des mobiles probables de récents règlements de comptes semble attester d’une « forme de banalisation » pointée par les magistrats chargés de la lutte contre le narco-banditisme. Au début de l’année, un jeune revendeur de 21 ans serait mort au seul motif qu’il a refusé de céder sa sacoche de « charbonneur », contenant la drogue et la recette, à un homme venu la lui arracher.
Ce mode très violent de règlement des confits s’élargit à des différends personnels : un mauvais regard, une bagarre dans lequel un protagoniste a eu le dessous, voire des jalousies amoureuses. Le 3 mars, un jeune homme de 21 ans est abattu dans une rue du 3e arrondissement de Marseille, dans le plus pur style du règlement de comptes, avec un acharnement qui a étonné les enquêteurs. Alors qu’il tente de fuir sous les tirs, la victime est rattrapée par son agresseur qui l’achève d’une balle dans la tête. Des policiers interpellent quelques instants plus tard l’homme qui vient d’incendier le véhicule ayant servi lors de l’assassinat, un délinquant dans les radars de la police judiciaire. Les deux hommes étaient amis, ils ont eu successivement la même petite amie. L’auteur présumé du meurtre se serait vengé : la victime lui avait administré une raclée après avoir appris qu’il avait frappé la jeune femme. Commentaire d’un enquêteur : « On a peut-être là notre premier règlement de comptes passionnel. »