Jacob Zuma obligé de fuir la cérémonie du 1er-Mai en Afrique du Sud
Jacob Zuma obligé de fuir la cérémonie du 1er-Mai en Afrique du Sud
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Des bagarres entre partisans du président et ceux qui demandent son départ dans la coalition au pouvoir l’ont contraint à quitter la Fête du travail.
A Pretoria, le 7 avril 2017, manifestation contre le président sud-africain Jacob Zuma. | James Oatway/REUTERS
Ce ne devait pas être une fête de l’harmonie, de la classe ouvrière, ou de quoi que ce soit d’approchant. Le 1er-Mai cette année, en Afrique du Sud, ne devait pas être une fête du tout mais un moment de discorde, peut-être larvé, mais embarrassant pour le Congrès national africain (ANC) et son président contesté, Jacob Zuma. On attendait, au grand rassemblement organisé par la Cosatu, la centrale syndicale, une ambiance plombée, mais aussi des efforts désespérés pour cacher, aux regards extérieurs, les divisions au sein du parti au pouvoir et des syndicats, avec, au centre des antagonismes, le chef de l’Etat, Jacob Zuma.
Ce fut pire. D’abord, les jours précédents, des syndicats faisant partie de la Cosatu avaient demandé, chose inédite, qu’on interdise à Jacob Zuma de s’exprimer sur la scène, comme cela est la tradition, dans la mesure où l’Afrique du Sud est dirigée par une alliance tripartite qui réunit l’ANC, la Cosatu et le Parti communiste sud-africain (SACP). L’ANC est déchirée, le SACP est ouvertement anti-Zuma, la direction de la Cosatu a montré des signes d’hostilité bien que dévorée par ses contradictions.
Pyramide clientéliste
Et puis, comme par magie, Jacob Zuma avait réussi à être rétabli sur la liste des personnalités investies de la mission de prononcer un discours. Cela aurait pu constituer l’une de ses éternelles pirouettes, nouvelle démonstration que rien ne l’atteint, surtout pas les menaces, celles de la justice ou de l’opposition au sein de son parti. Comment fait-il ? La plupart du temps, on l’ignore. Il peut compter sur des obligés, des responsables dans les instances qui lui sont redevables. La gabegie sud-africaine, les scandales de corruption sont les signes apparents d’une pyramide clientéliste au sommet de laquelle se trouve le chef de l’Etat. En dessous, de multiples obligés qui n’ont pas l’intention que la fête s’arrête.
Des obligés, donc, à beaucoup de niveaux. Alors, jusqu’ici, Jacob Zuma se joue de tout, se rit de tout. Mais à Bloemfontein, ville à 400 km de Johannesburg, où a été fondée l’ANC il y a plus d’un siècle, rien n’est allé comme prévu. Et le président n’avait plus le cœur à la plaisanterie. Dans l’assistance, composée de membres des syndicats, il y avait des pro et des anti-Zuma. Ces derniers en grand nombre, sifflant, huant, le chef de l’Etat. Le ton est monté avec les pro-Zuma, faciles à reconnaître à leurs tee-shirts à l’effigie du président. Il y a eu des coups échangés, des bousculades. Pas de blessés graves mais une atmosphère de débordement, qui montre la dégradation du climat. Pas une réunion publique, pas un enterrement, pas une grande cérémonie ne se déroule en Afrique sans que des personnalités de l’ANC y prennent la parole, et appellent Jacob Zuma au départ. Cela ne concerne plus seulement les « figures historiques » qui portent la réputation du parti de Nelson Mandela, mais aussi des cadres dirigeants, des rouages importants au sein des instances, tendant vers la gauche du parti.
Menaces de mort
A Bloemfontein, l’alerte a déjà été plus chaude que les sifflets et huées qui ne sont, du reste, pas exceptionnels depuis plusieurs années – et souvent réservés à Jacob Zuma. Compte tenu de la peur de voir la situation échapper à tout contrôle, la sécurité présidentielle a jeté le chef de l’Etat dans une voiture, et le convoi s’en est allé, toutes sirènes hurlantes. Ces derniers, temps, il règne une ambiance d’avant-violence, marquée par de nombreuses menaces de mort, et quelques assassinats étranges. Lindiwe Sisulu, grande figure de l’ANC, ex-adjointe de Jacob Zuma au temps de la lutte armée, ex-ministre de la défense, qui compte désormais parmi ses opposants, a fait savoir qu’elle recevait des menaces de mort et avait été contrainte de « prendre ses dispositions ». La veille du 1er-Mai, une bonne source au sein du gouvernement sud-africain disait redouter des assassinats politiques entre factions de l’ANC et de l’alliance tripartite. « Il est impossible de savoir où nous allons, il se passe chaque jour quelque chose », concluait cette même source.
La semaine passée, l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition (à tendance, au contraire, libérale), avait organisé sa propre manifestation anti-Zuma : personne n’y a prêté attention. Désormais, c’est au sein du parti, et de l’alliance tripartite, que se joue le choc des factions. Cela promet d’être dur, et sans doute sanglant. Le champ de la tension s’étend. Géographiquement, d’abord. D’autres responsables pro-Zuma ont été aussi empêchés de prendre la parole ce 1er-Mai sous les huées. Jessie Duarte, secrétaire générale adjointe de l’ANC, a subi le même sort dans le Limpopo. Sihle Zikalala, imposée par les pro-Zuma à la tête de la région Kwazulu-Natal (KZN), la section locale de l’ANC (la plus importante du pays), a elle aussi été huée à Durban. Le KZN, dans les années 1990, avait été ravagé par une mini-guerre civile dont les plaies sont mal refermées. C’est là que la compétition entre candidats aux investitures locales de l’ANC fait le plus de morts lors des élections. La violence y est à présent à fleur de peau, menaçant de mettre aux prises pro et anti-Zuma.