« Emmanuel Macron est loin de susciter un véritable engouement »
Présidentielle 2017 : « Emmanuel Macron est loin de susciter un véritable engouement »
Patrick Roger, journaliste au service politique du Monde, a répondu à vos questions sur la dernière enquête électorale du Cevipof avant le second tour de la présidentielle.
Patrick Roger, journaliste au service politique du Monde, a répondu à vos questions sur la dernière enquête électorale du Cevipof avant le second tour de la présidentielle.
Infographie Le Monde
Lucas : La dernière enquête électorale du Cevipof révèle-t-elle une différence majeure entre les intentions de vote au second tour de ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle et les intentions de vote des militants de La France insoumise qui se sont exprimés lors de la consultation ?
Patrick Roger : Il y a effectivement un écart significatif entre le résultat de la consultation des « insoumis », qui à 35 % seulement se sont prononcés pour un vote en faveur d’Emmanuel Macron, et les intentions de vote des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, selon l’enquête du Cevipof, qui se reporteraient à 48 % sur le candidat d’En marche ! Les militants actifs semblent beaucoup plus réticents à voter pour Macron que les électeurs.
FX : Les intentions de vote en faveur de M. Macron ne risquent-elles pas de baisser avec la prise de position des « insoumis » d’hier soir ? Je suppose qu’il n’y aura pas de nouvelle enquête Cevipof avant le second tour ?
Patrick Roger : Il s’agit effectivement de la dernière enquête Cevipof avant le second tour. Je ne pense pas que le résultat de la consultation des « insoumis » influera dans des proportions significatives sur le choix des électeurs.
Jibé : Bonjour, pouvez-vous expliquer rapidement quels sont les signes de fragilité du « score » de Macron ?
Patrick Roger : Tout d’abord, avant d’évoquer les fragilités, notons que 91 % des sondés de l’enquête Cevipof ayant l’intention de voter Macron assurent que leur choix est définitif, ce qui consolide plutôt sa position. Toutefois, il est loin de susciter un véritable engouement. Une nette majorité (60 %) des électeurs ayant l’intention de voter pour lui déclarent le faire par défaut et seulement 40 % par adhésion. C’est quasi exactement l’inverse des intentions en faveur de Mme Le Pen. L’image de M. Macron s’est également dégradée au fil de la campagne : 47 % des électeurs déclarent ne pas aimer sa personnalité, soit 6 points de plus qu’en janvier. La dernière enquête du Cevipof aborde également l’enjeu du protectionnisme, thème porté par la candidate du FN, alors que le candidat d’En marche ! défend une conception plus ouverte de la France vers l’extérieur. Or, sur ce point, un tiers seulement des sondés estiment que la France doit s’ouvrir davantage au monde, 35 % qu’elle doit s’en protéger davantage et 32 % ni l’un ni l’autre. En outre, 43 % pensent que plus de protectionnisme contribuerait à réduire le chômage en France, contre 26 % qui pensent le contraire. Sur ce terrain, la vision portée par M. Macron est loin de rencontrer une large adhésion.
Jibé : Quels reports de voix expliquent que MLP passe de 20 % au premier tour à 41 au second ?
Patrick Roger : Selon l’enquête du Cevipof, un tiers des électeurs de François Fillon (32 %) se reporterait sur la candidate du FN, la moitié (50 %) de ceux de Nicolas Dupont-Aignan, 14 % de ceux de Jean-Luc Mélenchon et 4 % de ceux de Benoît Hamon. Après avoir obtenu un peu moins de 7,7 millions de voix au premier tour, Mme Le Pen disposerait ainsi d’un réservoir potentiel de plus de 4 millions de voix au second tour. Elle pourrait atteindre ou dépasser les 12 millions de suffrages. En 2002, son père en avait recueilli 5,5 millions.
La Bigoudenn : Quelles sont les marges de variations, les écarts-types de cette enquête sur les intentions de vote ? 59 % + ou - combien de % ? Idem pour les 41 % de Marine Le Pen ?
Patrick Roger : Compte tenu de la taille de l’échantillon (13 742 personnes dont 8 936 certaines d’aller voter au second tour), l’intervalle de confiance – ou marge d’erreur – est de plus ou moins 1,1 point pour les intentions de vote.
ToutMaisPasÇa : Votre sondage indique un vote de 41 % pour Mme Le Pen, malgré une forte participation. Peut-on dire que la porosité entre le vote de droite et d’extrême droite est désormais forte, y compris dans un contexte à enjeu important comme celui de la présidentielle ? Considérez-vous qu’une digue a cédé lors de cette élection ?
Patrick Roger : Oui, c’est incontestable. Non seulement Mme Le Pen est parvenue, pour la première fois, à conclure un accord en bonne et due forme avec un de ses concurrents du premier tour, Nicolas Dupont-Aignan, mais un tiers des voix qui se sont portées sur François Fillon au premier tour se reporterait sur elle. Signe indéniable d’un élargissement des fractures au sein de la droite, qui n’a réussi à s’accorder que sur une position a minima pour le second tour, et de la porosité croissante des électorats. Le cordon sanitaire ne tient plus qu’à un fil.
Adbuv : Votre enquête permet-elle de relativiser la portée des résultats de la consultation des « insoumis » par rapport au report de voix possible venant des électeurs de Mélenchon au premier tour, en faveur de Macron ?
Patrick Roger : Comme nous l’avons déjà dit précédemment, il y a une nette différence entre le positionnement des militants de La France insoumise et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, dont une partie s’est recrutée, sur la fin de la campagne d’avant premier tour, dans les rangs de l’électorat socialiste.
Lilène : Dans quelle mesure les estimations sur l’abstention et les votes blancs et nuls sont-elles fiables ? Avez-vous fait des estimations en fonction des variations possibles du bloc abstentions + votes blancs + votes nuls ?
Patrick Roger : Selon la dernière vague d’enquête du Cevipof, la participation au second tour serait de 76 %, en hausse de 4 points par rapport à la précédente enquête datant des 16 et 17 avril et en progression de 2 points par rapport au premier tour. Toutefois, elle ne prend pas en considération les votes blancs et nuls, qui s’étaient élevés à un peu plus de 2,5 % des votants le 23 avril. Rappelons que l’effet sur les résultats, en pourcentage des exprimés, est exactement le même avec les abstentions, les bulletins blancs et nuls. Il est probable que le nombre de ces derniers progressera fortement. Toutefois, compte tenu du réservoir de voix dont dispose Mme Le Pen, même si elle peut aller au-delà, il faudrait que près de la moitié des électeurs s’abstiennent ou votent blanc ou nul pour qu’elle puisse l’emporter.
Vachtam ! : Est-ce qu’il y a un risque que certains électeurs du FN aient intentionnellement faussé leurs réponses à ce sondage sachant que plus grande est la marge en faveur de Macron, moins certains électeurs se déplaceront pour voter utile. Ainsi le sondage pourrait être utilisé par le FN pour convaincre ces électeurs que ce n’est pas la peine d’aller voter contre Marine Le Pen puisqu’elle a « déjà perdu ».
Patrick Roger : Si j’ai bien compris votre question, oui, il y a bien sûr un risque de démobilisation d’une partie de l’électorat si la victoire de M. Macron semble acquise par avance. Cela dit, cette campagne présidentielle a été suffisamment riche en surprises de taille pour ne pas en réserver d’autres. En outre, de récents exemples étrangers (Grande-Bretagne, Etats-Unis…) sont là pour montrer que les certitudes en matière électorale peuvent être démenties. Enfin, une candidate d’extrême droite à 40 %, voire plus, serait déjà une situation inédite, qui la mettrait en position de force pour peser sur l’ensemble des forces politiques.
Xavier : L’enquête du Cevipof permet-elle d’avoir un aperçu de la carte de France des intentions de vote ? Des régions s’apprêtent-elles donner plus de 50 % à Marine Le Pen ?
Patrick Roger : Selon les résultats détaillés par région de l’enquête, PACA voterait majoritairement (sur les suffrages exprimés) pour Mme Le Pen (51,1 %). Ailleurs, elle obtiendrait ses meilleurs scores en Bourgogne-Franche-Comté (47,7 %) et dans les Hauts-de-France (45,4 %).