C’est l’un des rares points sur lesquels Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont clairement exprimé leur accord lors du débat télévisé du mercredi 3 mai. Alors que le candidat d’En marche ! expliquait qu’avec lui, « toute peine prononcée sera exécutée » et qu’il « reviendr[a] sur la loi qui a fait que pour toutes les peines de moins de deux ans, il n’y a pas d’exécution de peine », la candidate du Front national lui a coupé la parole pour lui demander si en conséquence il « reviendr[a] sur la loi Taubira ».

- « Vous considérez qu’elle avait tort ? », insiste Mme Le Pen.
- « Mais bien évidemment », répond M. Macron.

Cet échange révèle à la fois que les deux finalistes de la présidentielle partagent le même constat sur l’illisibilité de la justice et des mécanismes d’aménagement de peine, mais que l’un et l’autre se trompent sur les faits.

Rien à voir avec la loi Taubira

Tout d’abord, la possibilité d’aménager les peines de prison fermes inférieures à deux ans avant même leur exécution n’a rien à voir avec la loi Taubira de 2014. Elle a été introduite dans la loi Dati de 2009, au cours du mandat de Nicolas Sarkozy. Auparavant, seules les peines inférieures à un an pouvaient être aménagées. La principale raison de cette extension était de permettre d’apporter de la souplesse dans la gestion de la population carcérale au moment où était supprimée la soupape qu’avaient toujours constituée les lois d’amnistie et les grâces présidentielles collectives du 14 juillet.

De plus, contrairement à ce qu’a affirmé M. Macron mercredi – comme il l’écrit d’ailleurs dans son programme, tout comme Mme Le Pen –, il est faux de dire que la loi prévoit qu’il n’y ait pas d’exécution de peine pour toutes les peines inférieures à deux ans.

En réalité, seules les personnes condamnées avec un mandat de dépôt à l’audience (environ 30 % des condamnations à de la prison ferme) vont directement en prison. Les autres sont convoquées chez un juge d’application des peines. Celui-ci aménage ou pas tout ou partie de la peine prononcée par le tribunal. Il n’y a aucun automatisme.

Surtout, l’aménagement d’une peine n’a rien à voir avec la non exécution d’une peine. En fonction de la situation familiale, sociale et professionnelle du condamné, le juge d’application des peines, qui est du même tribunal qui a prononcé la sanction, peut transformer une partie des mois de prison en travail d’intérêt général, en port du bracelet électronique, en assignation à résidence, en obligation de soin pour un alcoolique ou un toxicomane, etc. La prison n’est effectivement pas la seule peine possible.

La quasi-totalité passent par la case prison

En pratique, la quasi-totalité des personnes condamnées à plus d’un an ferme passent par la case prison. L’objectif de ce dispositif promu par la loi pénitentiaire de 2009 était d’éviter des courts passages en détention, dont l’effet désocialisant est évident, tandis que leur impact sur la prévention de la récidive apparaît nul… Quand la maison d’arrêt n’est pas, au contraire, accusée de constituer une école du crime.

Le problème est que ce mécanisme d’aménagement des peines rend difficilement compréhensible la justice pénale, tant pour les condamnés que pour les victimes. De fait, une personne condamnée à quinze mois ferme se retrouve dans la rue dès le lendemain, et peut croiser la personne qu’il a agressée, en attendant son rendez-vous chez le juge d’application des peines. Et même s’il va en prison, il fera moins de quinze mois.

Que proposent les deux prétendants à l’élection présidentielle face à ce problème ? En réalité, deux visions opposées de la justice. Leurs programmes respectifs en disent plus que le débat de mercredi.

Supprimer la formation des juges

Mme Le Pen ne fait pas confiance à la justice, qu’elle accuse depuis toujours de laxisme. Au point de vouloir supprimer l’Ecole nationale de la magistrature qui, selon elle, nourrit une culture de bienveillance des magistrats à l’égard des délinquants et criminels. Comme si supprimer la formation des juges permettrait d’améliorer la qualité de la justice.

Cette défiance à l’égard des magistrats se retrouve dans la restauration des peines planchers, pourtant contraire à la justice censée s’appliquer individuellement, la suppression des aménagements de peine en amont, des crédits de réduction de peine en aval (ces crédits attribués à un condamné lors de son incarcération sont supprimés ou pas en fonction de son comportement en détention) ou l’instauration d’une « peine de perpétuité réelle incompressible ».

Pour faire face à l’augmentation de la population carcérale de cette justice plus sévère marquée par plus de peines de prison et des peines plus longues, la candidate du FN annonce vouloir construire 40 000 places de prison en cinq ans, soit 68 % de plus que le parc pénitentiaire disponible aujourd’hui.

M. Macron annonce de son côté que toute peine de prison ferme prononcée sera exécutée, en supprimant la possibilité de l’aménager avant l’incarcération. Une mesure qui devrait faire exploser le nombre de détenus à court terme. Pourtant, le candidat d’En marche ! ne table pas sur une forte croissance du nombre de détenus. Il propose la construction de 15 000 places supplémentaires tout en affichant un objectif de 80 % de détenus en cellules individuelles.

Aménagement aux deux tiers de la peine

Il veut jouer sur deux leviers pour éviter cette explosion annoncée du nombre de détenus. D’abord, développer l’aménagement aux deux tiers de la peine. Il prévoit dans cet objectif de renforcer les effectifs des services d’insertion et de probation afin de mieux suivre les condamnés bénéficiant de tels aménagements. D’autre part, en créant une « agence des mesures alternatives à l’incarcération » afin en particulier que des sanctions comme le travail d’intérêt général soient davantage prononcées par les juges correctionnels pour les petits délits. Il compte enfin sur la responsabilisation des juges, qui sauront désormais que lorsqu’ils prononcent une peine de prison ferme, la personne qu’ils ont devant eux ira effectivement en prison.

Au chapitre de l’indépendance de la justice, Emmanuel Macron fait quelques timides propositions. Il se contente de reprendre la réforme constitutionnelle avortée sous le quinquennat de François Hollande sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cette réforme obligerait en particulier que les membres du parquet soient nommés sur avis conforme du CSM. Cela consacrerait une pratique respectée par les gardes sceaux successifs depuis seulement six ans.

Comme pour souligner cette opposition de deux visions, Marine Le Pen ne formule pas la moindre proposition pour renforcer l’indépendance de la justice à l’égard de l’exécutif.